Il y a beaucoup de film qui sont de véritables fours à leur sortie, mais certains en deviennent culte, tant ils ont marqué le public. Parfois, c’est simplement parce que le film en lui-même est tellement mauvais qu’il en devient célèbre. Mais de temps en temps, un film qui ne rencontre pas le succès n’est pas forcément dû à une réalisation désastreuse, non, c’est simplement que ça ne devait pas être le moment pour lui de voir le jour. Si on rajoute à çà un héros complètement gauche et relativement incompétent, et vous obtenez un cocktail assez surprenant pour que le film soit mal perçu au départ mais en devienne un véritable objet de culte dans les années qui suivent. C’est le cas du film « Les Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin » (rien que ce titre à rallonge, ça en dit long sur le côté série B culte en devenir) œuvre magistrale à contre-courant des films d’action de l’époque réalisé par John Carpenter, le roi incontesté des séries B. Une des choses caractéristiques des films de Carpenter, c’est la musique. Et pour la plupart d’entre eux, c’est le cinéaste lui-même qui en signe les partitions, très souvent en association avec d’autres musiciens.

Vous l’aurez compris on ne va pas parler de John Carpenter le cinéaste mais plutôt de John Carpenter le musicien. Car rappelons-le : il EST musicien. Il s’est mis à la musique avant de se lancer dans le cinéma. Mais si on le connaît pour ses films, et donc en tant que réalisateur qui compose la plupart de ses soundtracks, rares sont ceux qui réalisent que ses talents musicaux n’ont rien à envier à ses pairs compositeurs. Sa musique est reconnaissable de par son minimalisme dans les arrangements et les sons utilisés. On identifie tout de suite ses morceaux dès que l’on entend une séquence lente de basse parfois bien lourde. On reconnaît tout de suite les sons de ses synthétiseurs et l’ambiance que ceux-ci génère. John Carpenter a non seulement un univers cinématographique, mais aussi une patte musicale propre. Mais dans les années quatre-vingt, avec l’arrivée des synthétiseurs numériques et des séquenceurs plus complexes, sa musique va subir une véritable mutation en ayant de nouveaux sons et des compositions plus élaborées. C’est en 1986 qu’il teste ses nouvelles sonorités avec la B.O. de « Jack Burton … » (je ne vais pas écrire le titre complet à chaque fois, je vais me retrouver avec un tendinite). Alors associé à Alan Howarth depuis déjà quelques années, John Carpenter et lui livrent une musique radicalement différente de tous ce qu’ils avaient produits jusqu’à lors.

Pour ce qui est du film, John Carpenter nous plonge au cœur du Chinatown de San Francisco, le plus ancien Chinatown des USA et la plus grande communauté asiatique du monde, hors Chine. La culture chinoise et le surnaturel se mariant bien, le réalisateur nous invite à l’aventure, où action et magie s’entremêlent à un rythme effréné. Jack Burton, routier plutôt bravache et crâneur n’arrêtant pas de rouler des mécaniques, accompagne son ami Wang Chi à l’aéroport pour y accueillir la fiancée de celui-ci, Miao Yin une des rarissimes chinoises à avoir les yeux verts. Elle est enlevée par les sbires de Lo Pan, un très ancien sorcier qui la convoite. Jack et Wang vont alors tout faire pour libérer la belle, accompagnés de Gracie Law dont la vocation et d’aider les femmes asiatiques qui fuient leur pays. Les héros, ou plutôt anti-héros, vont alors faire face à la sorcellerie de Lo Pan, aux hommes de main de ce maléfique mage, mais surtout aux Trois Trombes, de puissants guerriers aux pouvoirs surnaturels. En s’inspirant de nombreux films de kung fu venus de Hong Kong et en reprenant certains codes de films fantastiques, domaines dans lequel il excelle, John Carpenter crée un univers mêlant magie, arts martiaux et dépaysement total. Ce patchwork stylique qui met en scène un héros complètement à la ramasse va à l’encontre de tous les films à succès de l’époque. Les films d’action dans lesquels se distinguent Stallone, Schwartznegger et consorts ont établi un code bien défini. Avec un héros comme Jack Burton, qui ne se distingue que par sa tchatche, son ego surdimensionné et surtout son manque total de maîtrise dans tout ce qui concerne le combat et autre affrontements en tous genres, le film ne pouvait donc pas trouver son public. Et pourtant les années passant il gagne son statut de film culte et la musique n’est pas en reste car elle devient vite épuisée et demeure pendant des années, un album assez compliqué à dénicher. Seules les conventions de disques permettaient de trouver cette perle rare signée par John Carpenter et Alan Howarth sur leurs tous nouveaux synthés numériques.

Alors je vous ai déjà longuement parlé de John Carpenter il y a près d’un an,et d’Alan Howarth , je ne vais donc pas vous refaire leur bio détaillée, mais on peut toutefois évoquer quelques points sur ces deux compositeurs.

John Howard Carpenter, né à Carthage dans l’état de New York en 1948, découvre le cinéma dès l’âge de 4 ans en accompagnant sa mère dans les salles obscures faisant ainsi connaissance avec « African Queen » de John Huston. Carpenter apprécie beaucoup cette première expérience, à tel point qu’il décide, dès lors, de passer son temps libre d’adolescent au cinéma. Très vite il se passionne pour les films fantastiques, de SF et de western. En 1971, John Carpenter sort diplômé de l’Université de la Californie du Sud (USC) avec sous le bras son film de fin d’étude « Dark Star » réalisé avec son ami Dan O’Bannon qui joue le rôle principal. Avec ce film, il montre qu’il est réalisateur mais aussi compositeur puisque la musique est de lui. Il tourne « Assaut » (Assault on precinct 13). Très fortement inspiré de « Rio Bravo » de Howard Hawks, ce film amorce la carrière de John Carpenter qui livre un film nerveux mais également une musique qui va marquer de manière indélébile l’univers de la musique de film. En utilisant les deux synthétiseurs qu’il a à sa disposition, John Carpenter compose une musique minimaliste avec des sons basiques et des notes simples. En 1978, John Carpenter marque le monde filmique avec « Halloween » qui va marquer le public de plusieurs façons notamment avec la musique. Se remémorant un exercice de gamme que son père (prof de musique) lui apprenait quand il était enfant, il compose une suite de huit petites notes au piano qu’il répète en boucle avec l’apparition d’un son de basse issue de son synthétiseur qui sonne de manière incomparable. John Carpenter se lance par la suite dans la réalisation de « The Fog ». Ici aussi, Il décide d’en composer la musique. Il réutilise les mêmes ingrédients qui ont fait de la B.O. d’ « Halloween » quelque chose d’unique. En rencontrant le musicien Alan Howarth, John Carpenter va étoffer sa palette sonore et son style musical. Une association fructueuse commence et avec la musique de « New York 1997 », le duo signe un chef d’œuvre électronique teinté parfois un peu rock ce qui permet au public de découvrir que le cinéaste gratte un peu de la guitare. Les deux hommes vont alors travailler ensemble sur les films suivants comme « Christine » par exemple. L’apparition des synthétiseurs numériques va révolutionner leur manière de composer. Fini les quelques notes qui tournent en bouclent, bienvenue aux compositions plus complexes et aux sons numériques et autres samples. Avec « Jack Burton … » le nouveau son est là. Pourtant avec « Le Prince des Ténèbres » ils reviennent à des compositions plus ambiantes et angoissantes tout en ayant ces sons numériques qui en changent complètement la perception. Howarth partant pour ses propres projets, Carpenter va collaborer avec plusieurs autres musiciens pour ses films suivants, enrichissant ainsi son répertoire et sa palette sonore qui aboutit tout naturellement à la compilation « Anthology ». Mais John Carpenter est de retour ! Avec le nouveau film « Halloween » prévu le 31octobre (normal), il décide d’en composer la musique avec son fils Cody et son filleul Daniel Davies.

Né en 1948 à South River dans le New Jersey (c’est aux USA), Alan Howarth est très tôt attiré par la musique et commence dès cinq ans à jouer de l’accordéon, son premier instrument. Puis il se met au piano mais s’intéresse très vite aux sons étranges d’un nouvel instrument, le synthétiseur. Il commence ses propres compositions pour des groupes comme Braino et surtout Pi Corp. Alan Howarth montre alors son goût très prononcé pour la création de sons électroniques en tous genres. En 1976, est contacté par le célèbre groupe de jazz rock Weather Report comme technicien pour leurs synthétiseurs et il les accompagne aux claviers pour certains concerts. Il est alors repéré par la Paramount qui voit en lui l’homme de la situation pour créer les effets sonores électroniques pour l’adaptation cinéma de l’ambitieux « Star Trek, the Movie ». Il sera d’ailleurs le designer sonore des six films suivants de cette franchise. C’est à ce moment qu’il croise le chemin de John Carpenter. Lui aussi passionné de sons nouveaux, Carpenter cherche à trouver une ambiance propre à ses films. Avec Alan Howarth, il va créer un style avec l’utilisation de lignes de basses lourdes et souvent monocordes sur lesquelles s’empilent notes simple et ambiances glauques. John Carpenter et Alan Howarth deviennent en peu de temps une sorte de style tout de suite identifiable. Parallèlement à ses collaborations avec Carpenter, Alan Howarth continue ses propres travaux et livre plusieurs B.O. comme « The Dentist » 1 et 2, « Lost Empire » puis enchaîne seul les musiques de la franchise « Halloween » pour les n° 4, 5 et 6 tout en composant pour « Un meurtre parfais » ou encore « Children of the Living Dead », et en faisant de nombreux effets sonores pour plusieurs films tels que « Les Aventuriers de l’Arche Perdue », « Poltergeist », « Retour vers le Futur II » ainsi que « Total Recall ».

Avec « Jack Burton … », le Duo Carpenter/Howarth livre une musique qui reprend un peu le style déjà établi mais en complexifiant les compositions. Quelques passages sombres s’installent mais ce sont surtout des morceaux vifs et rythmés qui prédominent. Les séquences qui tournent sont beaucoup plus complexes qu’avant. Les compositions s’en trouve plus riches avec des thèmes et des ambiances plus variés les sons numériques changent radicalement la perception de la musique. Là où on avait l’habitude d’entendre des ambiances caverneuses, on trouve des climats très froids. Là où l’on entendait des séquences cycliques aux basses lourdes, on perçoit des phrases de basses numériques qui racontent véritablement une histoire. Malheureusement, ce côté numérique des sons gâche un peu certains passages notamment avec l’utilisation du maintenant trop célèbre sample de pseudo guitare électrique, entre-temps devenu kitsch. L’ensemble est un véritable voyage d’action et de mystère grâce à l’ambiance que seuls John Carpenter et Alan Howarth peuvent composer.

Quand le film sort en 1986, il fait un bide retentissant, et pourtant il devient vite culte. La musique en devient d’ailleurs très recherchée et le vinyle se retrouve très vite épuisé (les collectionneurs aussi peut être à force de chercher). Il faut attendre 2016 pour que le label La La Land Records sorte la bande originale complète sur deux CDs. Mais c’est avec grande surprise que Mondo Tees nous offre depuis deux semaines cette même B.O. complète sur un double vinyle avec une toute nouvelle pochette qui illustre bien l’ambiance folle du film.

« Les Aventure de Jack Burton dans les griffes du Mandarin » est une œuvre à part dans la filmographie de John Carpenter. Complètement différent de tous ses films, celui-ci nous plonge dans un univers très dépaysant avec la culture asiatique en arrière-plan. Largement inspiré des films hong kongais de kung fu, on y trouve les codes indémodables avec des combats complètement fous. Mais l’inspiration la plus étonnante est celle qui a conduit à la création des Trois Trombes. Ces trois puissants guerriers aux pouvoirs surnaturels sont équipés d’armes blanches très particulières et sont vêtus de manière unique. Et pourtant certains d’entre nous pourraient dire que çà leur rappelle quelque chose. En effet, quand on voit les Trois Trombes on ne peut s’empêcher de penser aux trois mercenaires du deuxième volet de la série de films « Baby Cart » intitulé « L’Enfant Massacre ». Ces trois guerriers sont équipés d’armes blanches originales (l’une d’elle inspirera Len Wein et John Romita pour créer Wolverine) et ont les mêmes vêtements.

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.