« THE LOST EMPIRE » Alan Howarth : ORIGINAL SOUNDTRACK (Death Waltz Records/Mondo)
Dans le monde des films à petits budget, on trouve une quantité astronomique de nanars en tous genres. Nous vous avons déjà parlé des nanars italiens avec « Les Nouveaux Barbares« , et des « Guerriers du Bronx« et évoqué de nombreux autres titres tous plus invraisemblables les uns que les autres. Et si les Italiens étaient les rois dans ce type de productions filmiques, les Américains n’étaient pas en reste … et ils continuent d’ailleurs. C’est surtout grâce à l’arrivée de la cassette vidéo que ce marché parallèle a explosé. Les plus anciens se souviennent peut être des vidéos clubs qui pullulaient dans les années quatre-vingt. On pouvait alors découvrir des pépites du nanar notamment dans les rayons fantastiques, Science-Fiction ou Horreur. On retrouvait alors des films diffusés en salle dans les 70’s de manière très discrète, voire confidentielle, mais également nombre de réalisations totalement inconnues jamais passées au cinéma ou alors directement produites pour le marché vidéo. Ce sont même des pilotes de séries télé qui arrivent directement en cassette dans notre pays alors que la série ne voit pas le jour dans son pays d’origine. Donc aux côtés des grandes productions et des blockbusters se trouvaient les nanars les plus improbables dont certains étaient d’origine variées allant du Mexique à Hong Kong en passant par la Turquie ou la Grèce sans oublier les Philippines et l’Inde. Bref l’époque des vidéos clubs a permis à toute une génération de se familiariser avec une toute autre production cinématographique en parallèle à celle déjà bien établie du film populaire. Avec un tel raz de marée de vidéo, le public découvre donc plusieurs films de petits budgets ainsi que des téléfilms sensés devenir des séries et qui, sans surprise pour beaucoup, ne verront jamais ce projet se concrétiser. Parmi ces nombreuses productions, on trouve des films qui mélangent un peu tous les styles. Si l’histoire débute dans un environnement plutôt habituel dans notre monde ou époque en cours, elle se poursuit dans un autre monde, une autre contrée, un autre temps un monde parallèle et bien d’autres endroits et époques plus ou moins insolites. C’est un peu la marque de fabrique des petites réalisations américaines de la décennie quatre-vingt. On voit alors surgir dans les rayons « Gor », « l’Archer et la Sorcière », « Yor, le Chasseur du Futur », « Les Aventuriers de la Quatrième Dimension » (ou l’on retrouve Dennis Hopper), « Les Aventuriers de l’Univers Perdu » (avec Richard Hatch), « Kaine, le Mercenaire », « Les Magiciens du Royaume Perdu » (avec David Carradine) parmi tout un tas d’autres films tous aussi simplistes les uns que les autres. Parmi toutes ces curiosités, on trouve une autre bizarrerie avec « The Lost Empire » premier film de Jim Wynorski, qui continuera dans la voie du nanar en réalisant et produisant plus de 70 films.
Mais si les nanars ont tendance à être filmés et montés à la va-vite, la partie musicale est souvent relativement beaucoup plus soignée. Nous avons déjà pu voir que les Italiens produisaient de nombreuses B.O. très intéressantes pour leurs séries Z … souvenez-vous de Stefano Mainetti, Fabio Frizzi, Francesco de Masi et surtout de Claudio Simonetti et même de Ennio Morricone (si si, il a fait des musiques pour des séries Z comme « l’Humanoïde » par exemple). Chez les Américains, on fait de même. Si les films et téléfilms sont de basses factures, la musique est quant à elle très souvent de bien meilleure qualité. Si on découvre quelques compositeurs inconnus, on a surprise de voir néanmoins des noms familiers comme Brian May (le compositeur australien de « Mad Max », pas le guitariste de Queen) avec « Les Traqués de l’an 2000 », Simon Boswell avec « Hardware », Tangerine Dream avec « Spasms » ou encore « Strange Behavior », l’ex Tangerine Dream Michael Hoenig avec « Phantom », Klaus Schulze avec « Barracuda, le projet Lucifer » et même Ennio Morricone avec « Hundra » (et plein d’autres nanars). On pourrait en citer plein. Donc pas surprenant que pour « The Lost Empire », on retrouve un nom familier en la personne d’Alan Howarth surtout connu pour avoir longtemps été le complice de John Carpenter.
Avec « The Lost Empire », Jim Wynorski entame une carrière de réalisateur de nanars en tous genres. Mais au lieu de bâcler ses productions, il va tout de même essayer de leur donner une ambiance sonore de qualité. Pour son premier film donc, il fait appel à Alan Howarth, devenu alors une des valeurs sures du moment. À cette époque, beaucoup de musique de film et séries télé étaient essentiellement composée sur des synthétiseurs. James Horner en avait fait une incursion avec « 48 heures » et « Commando« . Brad Fiedel avait marqué le public avec la musique de « Terminator », mais aussi « Vampires, vous avez dit Vampires ? ». On voit d’autres noms comme Harold Faltermeyer avec notamment les B.O. du « Flic de Beverly Hills » et bien évidemment l’un de ceux qui ont initié la musique électronique dans les films John Carpenter . Le style de ce dernier est d’ailleurs tellement typique que beaucoup ont suivi dans cette voie et Alan Howarth qui a largement contribué à cette « Patte Carpenter » n’est pas en reste.
Né en 1948 à South River dans le New Jersey (c’est aux USA), Alan Howarth est très tôt attiré par la musique et commence dès cinq ans à jouer de l’accordéon, son premier instrument. Puis il se met au piano, mais s’intéresse très vite aux sons étranges d’un nouvel instrument, le synthétiseur. C’est pourtant en jouant de la guitare et de la basse qu’il fait de nombreux concerts rock dans des groupes locaux de l’Ohio qui assurent les premières parties des tournées américaines de The Who et Cream. Il commence ses propres compositions sur des synthétiseurs pour les groupes Braino et surtout Pi Corp dont l’unique album « Lost in the Cosmic Void » enregistré entre 1973 et 1976 ne sortira qu’en 2001 en vinyle. Alan Howarth montre alors son goût très prononcé pour la création de sons électroniques en tous genres. En 1976, est contacté par le célèbre groupe de jazz rock Weather Report pour être technicien sur leurs synthétiseurs. Il finit par jouer avec eux en renfort dans certains concerts. Il est alors repéré par la Paramount qui voit en lui l’homme de la situation pour créer les effets sonores électroniques pour l’adaptation cinéma de l’ambitieux « Star Trek, the Movie ». Il sera d’ailleurs le designer sonore des six films suivant de cette franchise. C’est à ce moment qu’il croise le chemin d’un jeune réalisateur qui fait lui-même ses musiques aux synthétiseurs, John Carpenter. Lui aussi passionné de sons nouveaux, John Carpenter cherche à trouver une ambiance propre à ses films. Avec Alan Howarth, John Carpenter va créer un style avec l’utilisation de lignes de basses lourdes et souvent monocordes sur lesquelles s’empilent notes simples et ambiance glauques. John Carpenter et Alan Howarth deviennent en peu de temps une sorte de style tout de suite identifiable. Parallèlement à ses collaborations avec Carpenter, Alan Howarth continue ses propres travaux et livre plusieurs B.O. comme « The Dentist » 1 et 2, puis enchaîne seul les musiques de la franchise « Halloween » pour les n° 4, 5 et 6 tout en composant pour « Un meurtre parfait » ou encore « Children of the Living Dead » et en faisant de nombreux effets sonores pour plusieurs films. Tels que « Les Aventuriers de l’Arche Perdue », « Poltergeist », « Retour vers le Futur II » ainsi que « Total Recall ».
Pour « The Lost Empire », Alan Howarth est encore dans une période où sa collaboration avec John Carpenter est au zénith. Les synthétiseurs qu’ils utilisent alors sont encore analogiques et seulement quelques-unes de ses récentes acquisitions ont cette nouvelle synthèse numérique. Dès le début du film, on reconnaît la « patte Carpenter / Howarth » avec une progression de séquence simple de basses sur laquelle vient s’insinuer un thème discret à peine présent. Plusieurs morceaux vont d’ailleurs s’architecturer sur ce schéma bien établi et qui a fait école. Quelques passages plus calmes nous rappellent également que Howarth est bon dans le style ambiant et angoissant. Les synthétiseurs numériques étant peu nombreux dans son arsenal sonore, ils apparaissent en fait de manière très subtile et évitent d’avoir un son kitsch propre à ces instruments. Avec cette B.O. Alan Howarth s’affranchit de John Carpenter tout en continuant dans le style qu’ils ont mis en place ensemble. En écoutant la musique de « The Lost Empire », on pourrait vraiment croire qu’il s’agit d’une production faite ensemble.
Bien que le film soit sorti en 1984 il faudra pourtant attendre 1990 pour qu’un CD de la B.O. voie le jour chez le label de référence du genre Silva Screen. Mais les morceaux étant peu nombreux, le label décide d’y ajouter un autre soundtrack de Howarth avec la musique de « Retribution », petit film d’horreur de 1987. C’est en 2013 que le label BSX Records acquiert les droits de la musique de « The Lost Empire » et édite alors un double CD avec le score complet du film ainsi que la version de l’album de Silva Screen qui lui se voit réédité en vinyle en 2016 en vinyle chez le devenu mythique Death Waltz Records / Mondo Tees. Utilisant les masters originaux fournis par Alan Howarth, Death Waltz Records sort alors un disque de qualité sur un vinyle 180g décliné en trois couleurs.
Alan Howarth est connu de tous les amateurs de films fantastiques ne serait-ce que de par son implication majeure dans la musique des films de John Carpenter avec qui il a régulièrement travaillé. Il a également fait une incroyable carrière de sound designer sur plusieurs grands films pour lesquels il a eu d’ailleurs quelques prix comme l’Oscar des meilleurs effets sonores pour le « Dracula » de Francis Ford Copolla ainsi que pour « A la poursuite d’Octobre Rouge » de John McTiernan. Mais ce que l’on sait moins, c’est qu’il a été très impliqué dans l’élaboration des sons multicanaux pour le cinéma en travaillant avec Steven Taylor pour la création du système « Dimension Audio », prototype qui donnera par la suite le système DTS et Dolby Atmos.
Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.
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