Il est rare que je vous parle de musique orchestrale. Mais il faut quand même admettre que dans l’univers de la musique de film, la plupart des compositions sont prévues pour être jouées par un orchestre d’envergure différente suivant le budget du film. De plus quand il s’agit de film d’angoisse ou d’horreur, les bandes originales sont très souvent électroniques. Je vous ai parlé de Goblin, de Fabio Frizzi, de Claudio Simonetti, de John Harrison, de Rick Wakeman et bien évidemment de John Carpenter. Mais parfois certains films de genre se retrouvent dotés de musiques orchestrales, chose rare pour le souligner. Et pourtant on en trouve quelques-unes par exemple « Hurlements » par Pino Donaggio, « The Thing » par Ennio Morricone (avec des directives de John Carpenter) ou encore « Amityville » de Lalo Schiffrin. Avec un orchestre certains compositeurs sont capables d’installer une ambiance angoissante parfois assez palpable. Mais il faut pour cela que le film soit également dans un genre qui met le spectateur dans un climat adéquat pour que ça fonctionne. Quand Clive Barker décide de réaliser lui-même l’adaptation cinématographique de son roman « The Hellbound Heart » il crée alors ce qui devient une franchise à succès grâce à une atmosphère assez malsaine mise en valeur par une musique orchestrale livrée par Christopher Young.

La musique de film est réussie quand elle colle à l’image. Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un film d’horreur qu’elle doit être bâclée. Au contraire, la bande originale de films de ce type obéit à des codes qui se sont définis au cours du temps. C’est avec des notes vives courtes et rapides de violons stridents que le thème de la douche dans « Psychose » est devenu une sorte de référence dans le genre tant et si bien qu’on en retrouve des copies un peu partout, notamment dans « Amityville » grâce à Lalo Schiffrin ou une version plus hard rock dans « l’emprise ». Il faut également compter sur des étirements d’ensemble à cordes pour installer des climats plus angoissants ce qui permet de faire monter la tension surtout si des ondulations stridentes se rajoutent pour accentuer le tout. Ajoutez à cela de brutales notes pendant les scènes brusques et vous obtenez une bonne musique de film d’horreur. Avec ces codes John Carpenter en crée d’autres grâce à sa vision et à sa maîtrise des synthétiseurs. De nombreux compositeurs suivent le pas. Deux styles de soundtracks de films de genre se distinguent depuis. Pour « Hellraiser », Clive Barker opte pour une version orchestrale de la musique qui doit pister son film, à un moment ou le style électronique commence à s’essouffler, à cause de l’apparition des synthétiseurs numériques dont le son devenu kitsch a quelque peu tué le genre. Christopher Young alors déjà bien installé dans le métier de compositeurs de musique de film rend une copie à la hauteur des attentes du réalisateur et du public. Ses influences issues de la musique contemporaine lui permettent de créer des climats tout à fait adaptés à ce genre.

Né en 1958 à Red Bank dans le New Jersey, Christopher Young et sort diplômé du Massachusetts Hampshire College en art et musique puis continue ses études au North Texas State University avant d’entrer à la prestigieuse UCLA Film School en 1980 tout en jouant de la batterie dans des formations de jazz. Là il apprend l’art de composer pour le cinéma et la télévision en découvrant les œuvres de Bernard Hermann telles que « Sueurs Froides » d’Hitchcock ou « Citizen Kane » de Wells. Parmi ses professeurs se trouve David Raksin, l’un des plus réputés compositeurs d’Hollywood (« Les ensorcelés », « L’homme au manteau noir », « Derrière le miroir », « Crépuscule sur l’océan » …). Quand Young livre son premier travail, celui-ci est critiqué par Raksin ce qui mine complètement les espoirs du jeune étudiant. Alors qu’il allait tout abandonner, Christopher Young rencontre de jeunes étudiants réalisateurs, et avec Stephen Carpenter, il travaille sur le film de fin d’études ce celui-ci « The Dorm that Dripped Blood ». Déjà, ses compositions sont influencées par la musique contemporaine dont il est friand. Avec des références comme Béla Bartók et Krysztof Penderecki, Young insuffle dans ses créations des parties étirées qui se marient bien avec des ambiances qui soutiennent des moments d’angoisse. Quand il commence sa carrière, il se voit confier la partition de la comédie policière « Highpoint ». Mais il lui faut attendre encore un peu pour qu’on fasse appel à lui régulièrement. Dès 1984, Christopher Young est sollicité pour de nombreux films comme « Def-Con 4 », plusieurs productions de Roger Corman telles que « Les Guerriers du Futur », « Les magiciens du royaume perdu » ou « Barbarian Queen ». Mais c’est avec « La revanche de Freddy » que son nom va sortir de l’ombre. Sa maîtrise des ambiances musicales glauques va lui permettre de composer pour de nombreux réalisateurs comme Tobe Hooper avec « L’Invasion vient de Mars », avec Charles Martin Smith pour « Trick or Treat » ou encore avec Chris Walas pour « La mouche 2 ». Avec plusieurs autres petites productions, Chritopher Young va peu à peu s’imposer comme compositeur de musiques de film. On lui doit les partitions de « Psychose Meurtrière », « Rapid Fire », « La part des ténèbres », « La mutante », « Meurtre à la Maison Blanche », « Pluie d’enfer », « Urban Legend », « Opération espadon » et bien d’autres encore. C’est en 1987 qu’il croise le chemin du romancier Clive Barker qui décide de réaliser lui-même le film « Le pacte » (Hellraiser) tiré de son propre roman « Hellbound Heart ». Le choix d’une musique orchestrale pour ce film est certes risqué au moment où les musiques de film d’horreur sont essentiellement électroniques, mais l’expérience de Christopher Young et son influence issue de la musique contemporaine vont contribuer largement à une réussite musicale.

On peut évoquer le film par son histoire un peu malsaine. Frank Cotton achète au Maroc une boite puzzle mystérieuse. De retour chez lui à Londres, il résout le casse-tête de ce cube doré ce qui amène sur Terre les Cénobites, des créatures issues de l’enfer qui le tuent en le disséquant vif avant de repartir dans leur monde avec les restes de leur victime. Frank revient partiellement à la vie quand quelques gouttes de sang de son frère Larry tombent sur des morceaux oubliés de son corps. Kristy, la fille adolescente de Larry résout à son tour le puzzle de la boite ce qui ramène les Cénobites sur Terre. Ces créatures mi-ange mi démon conçus pour faire explorer aux mortels les sens entre le plaisir et la souffrance s’engagent à libérer la jeune fille en échange de Frank qui doit revenir dans leur royaume infernal. Avec un tel sujet, les images sont relativement glauques et malsaines et il faut alors une musique qui soutient ce climat pesant et sombre. Avec Christopher Young, Clive Barker fait le choix qui s’impose. Avec des moments étirés grâce à des ensembles à cordes et des parties brutales mises en valeur par de lourdes percussions et de puissants cuivres, la composition de Young illustre parfaitement les scènes. Si la musique peut paraître linéaire et en suspension constante, elle n’en demeure pas moins fascinante. Son atmosphère éthérée due à un arrangement essentiellement basé sur les violons et autres violoncelles nous amène dans une ambiance de tension continue et les rares passages brusques surprennent et assènent un coup violent grâce à l’apport de plusieurs ensembles de cuivres avec une puissance ponctuelle qui illustre bien les parties brutales du film. Avec « Hellraiser », Christopher Young montre à la profession et au public sa maîtrise des ambiances angoissantes et brutales ce qui le met au rang des grands compositeurs de musique de films et notamment d’horreur.

A sa sortie en 1987, « Hellraiser » connait un certain succès commercial ainsi qu’une critique favorable dans la presse spécialisée. Une production comme celle-ci de la part de petites compagnies comme Film Futures et New World Pictures a besoin d’être rentable et la bande originale sort dans la foulée chez le mythique label Silva Screen en vinyle comme en CD, le nouveau support qui fait fureur à l’époque. Distribué par Polydor, l’album de la B.O. connaît lui aussi le succès. Il faut alors attendre trente ans pour voir une nouvelle édition de cette B.O. chez deux labels américains simultanément, chose rarissime. En 2017, chez Lakshore Records la bande originale de « Hellraiser » sort en CD mais également en vinyle, alors que chez Death Waltz Records seule la version vinyle voit le jour. C’est la pochette du disque qui permet de différencier les éditions. Mais afin d’attirer plus de clients, Death Waltz réédite cette année la musique de « Hellraiser » dans un format plutôt inhabituel. Réunis dans un cube doré aux motifs de celui du film, six 45 tours reprennent les quatorze morceaux de l’album dans un son plus net dû à la vitesse de ces disques qui offre alors une dynamique plus puissante.

Clive Barker signe avec « Hellraiser » un premier film réussi. Ses choix concernant les scènes et la manière de le filmer ont permis à cette réalisation d’instaurer une ambiance glauque et malsaine. C’est avec la musique de Christopher Young que cette atmosphère particulière est plus pesante. Mais si Christopher Young a été choisi pour composer la musique de ce film, il n’était pourtant pas le premier sur la liste de Clive Barker. Il faut savoir qu’au début la musique avait été confiée à un groupe de musique industrielle et expérimental Coil. Cette formation excellant dans des genres très électroniques aussi variés qu’ambiants, bruitiste, ou encore minimalistes compose alors pour Clive Barker une série de thèmes qui ne sera finalement pas retenue, car jugée trop hors norme et pas assez commerciale. A noter que Coil est une formation qui a été créée par John Balance de Death in June et de Peter Christopherson de Throbbing Gristle.

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.