En entendant les premières mesures, on constate que la musique de cette B.O. est très électronique. Depuis quelques années, il semble que les synthétiseurs reviennent en force dans le milieu de la musique de films. Le retour du son analogique dans les nouveaux synthés n’y est peut-être pas étranger. Il faut reconnaître que le milieu des années quatre-vingt est synonyme d’une ère où les sons numériques étaient très utilisés et de plus en plus envahissants au dépend d’une qualité qui disparaissaient inexorablement. Cette période, où ces sons qui frôlaient le kitsch, a sonné le glas d’un genre qui promettait. On peut s’en rendre compte notamment dans la musique de John Carpenter quand celui-ci, avec Alan Howarth, avaient changé tout leur attirail. Leur univers sonore ayant radicalement changé, leur musique s’en est également trouvée métamorphosée … et pas forcément en mieux. Depuis maintenant presque quinze ans, l’univers de la B.O. retrouve le style « musique électronique » qui semble reprendre une place de choix. Les musiciens étant très attachés aux sons analogiques, et donc aux synthés dignes de ce nom, produisent alors des morceaux mélangeant séquences d’antan avec des rythmes actuels et des ambiances variées. Plusieurs noms se distinguent comme Cliff Martinez par exemple (souvenez-vous de la B.O. de « Drive ») mais on trouve aussi des artistes évoluant dans divers milieux musicaux comme Mogwai où celui qui nous intéresse ici Rob.

En 2017, lorsque que la réalisatrice française Coralie Fargeat lance la production de son premier long métrage « Revenge » (on se demande toujours pourquoi un titre anglais pour un film français), elle tente sa chance avec un film d’action thriller où une femme en est l’héroïne. Pour ce type de film, le budget est relativement limité, surtout quand il s’agit d’un premier opus. Essentiellement tourné dans les paysages désertiques du Maroc, ce film assez violent mise surtout sur les effets gores et le jeu des quelques acteurs présents à l’écran (il n’y en a que cinq). Cette économie obtenue permet alors de mettre une certaine qualité dans le son. Mais l’emploi d’un orchestre pour la musique est hors de prix. Le genre du film qu’est « Revenge » est très souvent associé à une musique électronique, et engager un compositeur officiant avec des synthétiseurs est alors le choix le plus judicieux. Parmi le panel de musiciens disponibles, le français Rob est celui qui vient en tête de liste. Son style très inspiré de John Carpenter et Tangerine Dream avec quelques sons plus actuels dans certaines séquences se marie bien avec le genre thriller de « Revenge ».

Nous n’allons pas vous parler du film en lui-même, mais pour ce qui est du pitch, c’est assez simple. Richard, Stan et Dimitri, sont trois riches chefs d’entreprise mariés et pères de famille qui se retrouvent une fois par an pour une partie de chasse dans le désert (on se demande bien ce qu’il y a à chasser), histoire d’affirmer leur virilité, armes à la main. Richard arrivant deux jours plus tôt compte profiter de ces 48 heures pour passer du bon temps avec sa jeune maîtresse Jennifer. Les deux autres compères arrivant également plus tôt que prévu voient en la jeune femme une opportunité de profiter eux aussi d’elle. Les choses dégénèrent et Jennifer est victime d’un viol collectif sauvage et est laissée pour morte au milieu du désert. Celle-ci mue par une volonté de fer, survit et se lance dans une vengeance féroce en traquant ses tortionnaires. Les chasseurs sont maintenant les proies. Très violents et relativement gore, « Revenge » se présente surtout comme un message féministe brutal de Coralie Fargeat qui dénonce sans complaisance les violences faites aux femmes. Très sanglant « Revenge » obtient le prix du réalisateur au festival international du film de Catalogne en 2017 mais surtout cinq nominations au festival de Gerardmer de cette année. Son ambiance désertique alliée aux scènes violentes et gores en fait un film de genre qui pourrait devenir culte d’ici quelques années. La musique de Rob (qui n’est pas une musique de chambre) est remarquablement en phase avec les images qui défilent nerveusement.

Né en 1978 à Caen, Robin Coudert alias Rob commence la trompette classique dès huit ans dans la banlieue parisienne. Il continue en étudiant le piano et le synthétiseur et compose ses premières pièces électroniques dès dix ans. C’est pourtant dans un groupe de Heavy Metal qu’il commence réellement à 14 ans, puis dans un groupe de P-Funk à 16 ans (le terme « P-Funk » est dérivé du nom de deux groupes : Parliament et Funkadelic les groupes céés par George Clinton. Le terme peut également être considéré comme une abréviation de « pure funk », un style de musique initié par ces deux groupes, ou encore de « plainfield funk », en référence à Plainfield, New Jersey, ville qui a vu naître Parliament). Rob signe avec le label Source en 1998 en participant tout d’abord à la compilation « Source Rocks ». Un EP à son nom en sort, « Musique pour un enfant jouet ». Son style très électro actuel mêlant les sons analogiques démontre sa maîtrise des synthétiseurs. Deux albums sortent début des années 2000 « Don’t Kill » et « Satyred Loved ». Il rencontre alors l’ingénieur du son Jack Lahana avec qui il entame une collaboration qui continue toujours. Rob débute de nombreuses collaborations musicales avec Sébastien Tellier ou encore le groupe Phoenix qu’il accompagne d’ailleurs sur scène aux claviers et percussions depuis lors. C’est en 2005 que débute sa carrière cinématographique avec tout d’abord le court métrage « Pink Cowboy Boots ». S’ensuit de nombreuses autres bandes originales avec « Belle épine », « Jimmy Rivière », « Radiostars », « Populaire » (pour laquelle il est nommé aux césars de la musique de film) et bien d’autres. C’est avec le remake franco-américain de « Maniac » que son style s’affirme mettant en avant ses influences très proches de John Carpenter et Tangerine Dream.

Pour « Revenge », Rob confirme son style. Plusieurs morceaux relativement nerveux se succèdent faisant la part belle aux séquences old school parfois légèrement teintées de sons actuels un peu style « acid ». Essentiellement analogiques les sons permettent d’obtenir aussi des parties calmes angoissantes avec une atmosphère glauque. Certains passages pourraient même paraître un peu malsain ce qui accentue le malaise qui s’installe tout le long du film. De sombres ambiances sonores s’invitent donc au milieu des morceaux séquencés. L’utilisation des sons analogiques donnent un côté très rétro qui rappelle John Carpenter en mélangeant les ambiances de « New York 1997 » et « Fog ». Les séquences sont essentiellement constituées de basses avec de légères incursions plus claires survolées par de rares apparitions plus acid. C’est surtout l’utilisation minimale d’effets qui fait de la musique de Rob quelque chose de très approprié pour un film tel que « Revenge ».

Quand le film sort en 2018, il est très bien accueilli, tant par le public que par la presse. Le message féministe qui dénonce la violence faite aux femmes en est peut-être pour quelques choses surtout après que l’affaire Weinstein ait éclaté au grand jour. Mais une petite production comme « Revenge » ne peut se permettre de sortir la musique sur un grand label. Tout d’abord disponible sur les plateformes légales de téléchargement, c’est alors Death Waltz Records / Mondo tees qui propose d’éditer cette pépite musicale en vinyle. Comme d’habitude chez ce label, la qualité est au rendez-vous avec un double vinyle 180 grammes … oui, Nous avons bien dit « double vinyle » alors que l’album ne fait que 55 minutes, ce qui peut largement tenir sur un seul disque. En faisant le choix d’un double album, la dynamique s’en retrouve plus puissante compte tenu de la place gagnée. Les séquences de « Revenge » ont alors la pêche qui fait trembler les enceintes de votre salon alors que les ambiances plus glauques obtiennent une ampleur plus caverneuse encore. Avec une peinture de Sara Deck, la couv de l’album de « Revenge » donne le ton avec une l’héroïne qui nous vise avec un fusil surpuissant. Chose jusque-là inexistante chez Death Waltz Records, un coupon de téléchargement est inclus permettant ainsi de profiter pleinement de la musique de Rob ailleurs que chez soi sur une platine. Redirigé sur Bandcamp, on a le choix des formats, allant du bas de gamme jusqu’au wav plein débit pour un gravage CD.

Rob est devenu en peu de temps un compositeur de musique de film qui commence à être reconnu dans le métier. Ces productions se font de plus en plus connaître et gagnent une place méritée. Mais parallèlement, le musicien officie dans un domaine beaucoup plus grand public. Si ces albums sont rares, il créées une série d’EP « dodécalogue », basée sur les apôtres dès 2010. Mais il officie également comme producteur et compositeur pour des artistes comme Melissa Mars, Alizée ou encore Adanowsky alias Adan Jodorowsky, fils d’Alexandro Jodorowsky.

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.