Cette semaine je vais vous parler de la musique d’un documentaire très récemment sorti et produit par la chaine National Geographic dépendant de la très respectée National Geographic Society créé en 1888 par de riches entrepreneurs et 33 explorateurs. Ce documentaire réalisé avec des images d’archives entièrement remastérisées met en avant Jane Goodall, primatologue reconnue qui a passé sa vie à l’étude des chimpanzés dans leur habitat naturel. De gros moyens sont mis en œuvre pour réaliser ce documentaire et on ne lésine pas sur la musique puisque l’on fait appel à une grande figure de la musique contemporaine pour composer le score dudit documentaire.

Née en 1934 à Londres, Jane Goodall passe un diplôme de secrétaire et enchaîne ensuite les petits boulots çà et là. Elle est invitée par une amie au Kanya en 1957 où elle devient la secrétaire de Louis Leakey, Archéologue et paléontologue célèbre qui effectue d’importantes fouilles dans la corne de l’Afrique (Somalie). Sa passion pour les animaux va l’amener à s’installer seule en 1960 dans les environs du lac Tanganyika en Tanzanie afin d’étudier les Chimpanzés. Commence alors la plus longue étude sur le terrain jamais effectuée. Pendant plus de cinquante ans, Jane Goodall observe les primates et finit par s’intégrer dans leur cercle vital et se retrouve alors tolérée par les animaux en présence. En octobre 1960, elle observe un chimpanzé en train de fabriquer et d’utiliser des outils pour attraper des termites. Cette découverte ébranle la définition de « l’être humain » de l’époque qui attribuait alors ce comportement exclusivement à l’homme. Grâce à ses recherches, nous savons maintenant que les chimpanzés sont biologiquement semblables aux humains, qu’ils démontrent de nombreuses capacités intellectuelles, qu’ils chassent pour se procurer de la viande, qu’ils utilisent des outils et que les membres d’une même famille maintiennent des liens forts et durables, et ce, durant toute leur vie. Les travaux de la primatologue continuent encore de changer profondément la perception que nous avons des chimpanzés, notamment qu’ils ne sont pas végétariens, comme nous avons l’habitude de les considérer, mais omnivores. En 1977 elle fonde l’institut Jane Goodall en Californie qui promeut la recherche, l’éducation et la conservation de la faune. Cet institut a également pour vocation de protéger les chimpanzés et gère des réserves naturelles créées spécialement pour la préservation de l’espèce dans leur habitat. En encourageant les jeunes à s’impliquer et à prendre soin des animaux sans cesse menacés notamment par le braconnage, très répandu en Afrique. Aujourd’hui membre d’honneur du Club de Budapest (une association informelle internationale consacrée à l’élaboration d’une nouvelle façon de penser et une nouvelle éthique qui aidera à résoudre les problèmes sociaux, politiques, économiques et des défis écologiques du XXIe siècle), Jane Goodall parcourt le monde afin d’alerter l’opinion publique des dangers qu’encourt notre planète afin de faire évoluer le comportement des gens vis-à-vis de celle-ci. Son parcourt est tel que de nombreuses récompenses lui sont attribuées dans de nombreux pays dont la médaille Hubbard de la National Geographic Society, le prestigieux prix de science de Kyoto, elle est décorée de la Légion d’Honneur en France et reçoit le lendemain la médaille d’or des 60 ans de l’Unesco et surtout elle reçoit dans son pays d’origine, l’Angleterre, le titre de Commandeur de l’Ordre de l’Empire Britannique des mains de la reine Élisabeth II en personne.


Avec un tel parcourt, il n’est pas surprenant que le National Geographic se soit intéressé à cette primatologue hors norme. Pendant les premières années, une équipe de tournage a filmé Jane Goodall dans ses travaux de recherches et d’observations. C’est en retrouvant de nombreux rushes longtemps égarés du National Geographic que Brett Morgen décide de réaliser un documentaire sur Jane Goodall. Ces magnifiques images montrent alors l’incroyable lien que la primatologue a réussi à nouer avec les anthropoïdes. Pendant ces longues années d’observation, elle met en évidence ce qui bouleversera la communauté scientifique. Pendant longtemps, on croyait que les chimpanzés n’étaient que des bêtes sauvages dépourvues de véritable intelligence. Mais Jane Goodall découvre et prouve que ces animaux qui vivent en une caste sociétaire créent et utilisent des outils fabriqués avec des morceaux de branches ou se servent de pierres par exemple. Cette découverte ainsi que les divers articles qu’elle publie, va mener Jane Goodall à être reconnue et respectée par le très fermé monde scientifique. C’est ceci que met en évidence ce documentaire incroyable présenté en 2017 au festival international du film à Toronto au Canada. Ce film recevra 11 prix dans de nombreux festivals dans le monde entier sur 16 nominations. La qualité des images ainsi que le montage très intelligent du réalisateur a convaincu Jane Goodall, âgée maintenant de 83 ans, d’y apparaître encore aujourd’hui.

 

Avec un tel documentaire, il fallait une musique qui soit à la hauteur et le réalisateur Brett Morgen fait appel au compositeur Philip Glass pour assurer la partition de son film. Ce choix judicieux est pourtant assez risqué, car le musicien est issu du milieu très select de la musique contemporaine dans la mouvance répétitive. Mais Philip Glass n’est pas à son premier soundtrack est sait exactement comment procéder.

Né en 1937 à Baltimore dans le Maryland aux USA, Philip Glass est l’un des pionniers de la musique minimaliste répétitive au même titre que Steve Reich et Terry Riley. Si ses premières œuvres sont purement répétitives, elles évoluent très vite avec une thématique qui s’installe par moment. Essentiellement orchestrale, sa musique s’étire par instant, mais la monotonie que ce genre peut générer est totalement absente tant le travail sur les rythmes et les thèmes est soigné et très méticuleusement effectué. On lui doit notamment des albums remarquables comme « North Star », « Passages », « 1000 Airplanes on the Roof » et bien d’autres, des opéras comme « Satyagarha », « Akhnaten », ou encore Galileo Galilei, des concertos pour piano, des musiques de chambre, des musiques de théâtre avec notamment « Elephant Man », de nombreuses symphonies et autres œuvres orchestrales ainsi que plusieurs dizaines de musiques de film avec par exemple « Mishima », mais aussi les « Candyman », mais surtout « Kundun ». Il compose une nouvelle musique pour le « Dracula » de Tod Browning de 1931 avec Bela Lugosi, mais surtout il signe la musique du triptyque « Qatsi » avec « Koyaanisqatsi » (le plus connu), « Powaqqatsi » et « Naqoyqatsi ». Si on ajoute à ça de nombreuses compositions pour la télévision et divers documentaires, on arrive à une œuvre gigantesque de plusieurs centaines de créations.

Pour le documentaire « Jane », il signe une musique très abordable pour le grand public. Ce sont des morceaux thématiques et parfois convenus qui se succèdent mettant en valeur les images du film. Les arrangements orchestraux sont plus que maîtrisés. Les ensembles à cordes, chers à Philip Glass soutiennent agréablement le reste des instruments qui interviennent judicieusement. Seul le thème final est à l’image de son compositeur avec une partie répétitive qui forme la base d’un morceau plus complexe qu’il n’y paraît. L’ensemble est à écouter plusieurs fois, car à la première écoute, la musique nous parait parfois assez simple. Ce n’est qu’en réécoutant cette B.O. que l’on se rend compte de la complexité relative d’une telle composition. « Musique minimaliste » ne veut pas dire « musique simpliste ». C’est le label Sony Classical avec la National Geographic Society qui édite cette B.O. remarquable en CD, mais aussi, pour les audiophiles, en double Vinyle avec un master très soigné. Philip Glass met un point d’honneur à ce que sa musique bénéficie du meilleur rendu possible tant elle est variée et variable. Les moments calmes et au volume bas et même les parties de silence doivent être reproduits avec le plus de fidélité possible tout en n’étant pas perturbés par les bruits de fond. Le résultat est à la hauteur de nos espérances et l’on se régale de cette œuvre hors norme pour un documentaire sur une primatologue remarquable.

« Jane » n’est pas la seule B.O. que Philip Glass a composée tout au long de sa prolifique carrière. On lui doit les musiques de « Mishima », « Kundun », « Candyman 1 et 2 », « The Hours », « Taking Lives », « Cassandra’s Dream », « Cœur de pierre » ou encore « Leviathan ». Il livre même quelques thèmes pour … « Les 4 Fantastiques » (2015) en collaborant avec Marco Beltrami. Mais si le grand public ne reconnait pas tout de suite les œuvres de Philip Glass il a pourtant les oreilles qui réagissent avec un morceau issu de « Powaqqatsi ». Évidemment peu de monde a vu ce remarquable documentaire contemplatif qui fait partie d’un triptyque devenu culte. Et pourtant on ne peut s’empêcher de se dire que l’on a déjà entendu çà quelque part. En effet le réalisateur Peter Weir utilisera ce passage ainsi que deux autres de « Powaqqatsi » pour son film de 1998 « The Truman Show » où l’on peut découvrir un étonnant et impressionnant Jim Carrey »

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.