Les fois où je vous parle de musique orchestrale se compte sur les doigts d’une main. En général les musiques de films que j’évoque sont très souvent électroniques. Cela vient peut-être du fait que je vous chronique plus souvent des films dits « de genre » que des films à gros budget. Après tout, là où se trouvent les véritables pépites musicales sont souvent dans des contrées cinématographiques relativement obscures, et comme il s’agit de budgets assez restreints, l’utilisation d’un orchestre est absolument hors de question. Mais quand on se met à parler de films au budget plus conséquent et surtout d’une franchise qui dure depuis près de trois décennies, on est alors plongé dans l’univers sonore orchestral. Ensembles à cordes, de cuivres, de bois, de vents et autres percussions, le tout donne une ambiance ample et suivant les arrangements, on peut décrire des paysages, des émotions et des actions avec conviction … encore faut-il être bon compositeur et arrangeur pour y arriver. Les musiciens qui excellent dans le genre de la musique de films ne manquent pas, et dans les musiques orchestrales, on ne peut s’empêcher de penser à John Williams, James Horner, Ennio Morricone, Maurice Jarre, Michel Legrand, Bernard Herrmann et bien d’autres sans oublier celui qui a complètement redéfini le code de composition musicale pour les films et qui a conduit tous les autres à le suivre dans cette voie : Jerry Goldsmith.

Lorsqu’il s’agit d’une franchise, on essaie au maximum de garder une identité sonore unique. Il suffit de voir comment l’univers musical de « Star Wars » est homogène. Un thème récurrent qui reste dans le mémoire et un compositeur qui reste fidèle au poste. C’est aussi le cas des « James Bond » où John Barry a assuré pendant des années les partitions des films jusqu’à ce que la relève continue tout en conservant le thème original. Il fallait faire de même pour « Predator », dont le nouveau film vient de sortir sur les écrans. Quand le premier film a été mis en chantier en 1987, on mise sur du lourd … et je ne parle pas seulement des acteurs présents qui en imposaient ne serait-ce que par leur carrure. Non je parle de la production même. 20th Century Fox a les moyens de faire un film à grand spectacle et il faut alors bien soigner non seulement l’image, mais aussi le son, et donc la musique.

Les producteurs font appel à Alan Silvestri qui à cette époque avait déjà une réputation bien établie avec, entre autres, « A la Poursuite du Diamant Vert », « Le Clan de la Caverne des Ours » et surtout « Retour vers le Futur ». Pour le premier « Predator », Alan Silvestri livre une musique orchestrale assez ample qui donne la part belle aux ensembles à cordes et mettent en avant les cuivres lors des moments où l’action prédomine. Cette symphonie filmique va alors donner une identité propre au film qui va connaître une suite en 1990 et dont la musique est de nouveau confiée à Silvestri. Il réutilise alors la même recette que pour le premier volet et installe ce qui devient un thème principal bien qu’assez discret. « Predator » disparaît des écrans ciné et revient des années plus tard, en 2004, en faisant face à un autre extraterrestre qui possède lui aussi sa franchise, « Alien ». Avec « Alien Versus Predator », la Fox nous offre un combat épique (et pas colle et gramme) entre les deux E.T. (qui ne veulent d’ailleurs absolument pas téléphoner chez eux). Pour cet affrontement on fait rencontrer deux êtres qui ont leur propre identité tant visuelle que sonore. Arriver à créer une musique qui allie les deux ambiances déjà bien en place n’est pas chose facile et le compositeur autrichien Harald Kloser s’en sort plutôt pas mal. Là aussi on est dans de l’orchestral avec la présence des cuivres puissants et des cordes légèrement dissonantes le tout mis en valeur par des chœurs massifs et quelques percussions qui donnent une ambiance solennelle unique.

Ce difficile exercice se verra aux mains de Brian Tyler pour le second volet de la rencontre titanesque des deux extraterrestres en 2007. Pour cet opus, Tyler livre une musique tout aussi orchestrale que les précédentes. Et si l’ouverture rappelle étrangement « Mars » de Gustav Holst pour son œuvre « les planètes », le reste de la bande originale est plus personnelle. Mais l’inspiration du thème guerrier qui illustre la présence du Predator clairement issue du thème créé par Silvestri, nous plonge dans une musique beaucoup plus originale. Là aussi, les cordes et les cuivres s’équilibrent pour faire sonner cet affrontement de manière puissante avec surtout l’apport de percussions tribales qui accentuent alors les actions qui se succèdent. Avec ces films, l’identité sonore des deux E.T. s’en trouve changée pour faire place à une toute nouvelle, comptes tenus du contexte cross/over. Il faut attendre 2010, pour qu’un nouveau film « Predators » sorte sur les écrans. Avec un contexte complètement différent tout en reprenant un style de décor similaire au premier volet, ce nouveau chapitre essaie de remettre en valeur les prédateurs d’une autre planète. Cette fois-ci c’est le vétéran John Debney qui s’y colle. On ne peut pas dire que Debney se soit vraiment foulé pour cette musique. En effet, réutilisant le thème de « Predator » à outrance, les compositions originales se font alors plus discrètes. Certes, l’ambiance orchestrale est respectée mais c’est tout. Là où Brain Tyler et Harald Kloser avaient réussi à mettre quelques originalités dans leurs partitions (percussions tribales et effets électroniques ponctuels), John Debney se contente de faire le minimum syndical et toucher son chèque. Ce qui, de plus, a tendance à agacer, c’est l’utilisation d’une guitare électrique sur le thème principal. Alors c’est assez sympathique de l’entendre dans cet arrangement, mais quand c’est servi tout le long du film, ça devient vite très irritant.

Depuis, ni Alien, ni Predator se voient de retour au cinéma jusqu’à cette année où « Predator » se prend d’une envie soudaine de repartir à la chasse à l’humain et encore une fois sur notre bonne vieille Terre (qu’est-ce qu’on a n bien pu faire pour que ça tombe toujours sur nous ?). Là encore, il faut soigner la musique pour que le film ait son identité sonore propre tout en conservant le style déjà établi. Donc on reprend les ingrédients et on se lance. Il faut trouver celui qui aura la lourde tâche de composer cette nouvelle symphonie filmique. C’est Henry Jakman qui se voit élu pour ce défi. Né en 1974 à Hillington à Londres, Jackman est un enfant de la balle. Son père Andrew Pryce Jackman était membre du groupe the Syn et travailla longuement avec Chris Squire de Yes. Son oncle était ingénieur du son notamment pour Barclay James Harvest. Quant à son grand père, Bill Jackman, il apparait comme clarinettiste sur « When i’m Sixty-Four » des Beatles sur l’album « Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band ». C’est donc dans la musique que Henry Jackman grandit. Il étudie la musique classique au Lycée d’Eton tout en étant dans les chœurs de la Cathédrale St-Paul mais surtout à la prestigieuse Université d’Oxford. Il commence sa carrière de musicien en étant surtout programmeur des synthés et arrangeurs pour de nombreux artistes dans les années quatre-vingt-dix. C’est en coécrivant la chanson « This could be Heaven » de Seal que Jackman va entrer dans le monde de la musique de film, cette chanson apparaissant dans « Family Man » avec Nicolas Cage. Après avoir sorti trois albums avec Augustus Isadore, Henry Jackman commence sa carrière dans le milieu très select de la bande originale en rejoignant le complexe Remote Control Productions à Santa Monica créé et dirigé par le prolifique Hans Zimmer. Il travaille comme programmeur et arrangeur sur « The Da Vinci Code » et « The Dark Knight » puis compose des musiques additionnelles pour « Pirates des Caraïbes, Le Secret du Coffre Maudit » ainsi que sa suite « Jusqu’au bout du monde » mais également « The Simpson Movie » ou encore « Hancock ». Il devient compositeur principal par la suite avec des titres comme « Monstres contre Aliens », « Kick Ass 1 et 2 », « X-Men First Class » et bien d’autres et entre dans le giron Marvel/Disney avec « Captain America, le soldat de l’hiver » et « Civil War ». Il est aussi au générique des deux « Kingsman », de « Jack Reacher 2 », de « la cinquième vague » ainsi que la séquelle de « Jumanji » (qui en a peut-être laissé des séquelles). C’est donc tout naturellement qu’on lui confie la musique de « The Predator » succédant ainsi à Alan Silvestri comme pour « Captain America ».

Henry Jackman compose pour ce nouveau film une musique orchestrale, certes sans surprise, mais qui reste dans le ton de la toute première bande originale que Silvestri avait brillamment mise en place. Le thème principal est présent mais n’est en aucun cas le nerf central de cette nouvelle composition. De nouveaux thèmes viennent s’insinuer sous couvert d’ensembles à cordes qui installent une atmosphère ample et légèrement aérienne lors des passages calmes du film. Mais quand ça s’active, les cuivres reprennent le dessus avec l’appui de percussions très pesantes soutenant les actions effrénées à illustrer. Et c’est la grande différence entre la musique de Jackman et celle de Silvestri. Silvestri donne plus la part belle aux cordes alors que Jackman mise plus sur les cuivres. Cette nouvelle ambiance plus épique se retrouve plus adaptée vu que l’action se passe dans la jungle urbaine alors que le premier film était essentiellement dans la jungle d’Amérique Centrale. Plus guerrière que les compostions de Silvestri, la musique d’Henry Jackman est en un sens plus appropriée pour donner une identité sonore au côté chasseur implacable du Predator.

Avec ce nouveau film « The Predator » et surtout la bande originale plutôt réussie de Henry Jackman, on est donc en droit d’attendre au minimum un CD de la musique. Et bien … on attend encore et il se peut qu’on attende encore. Seules les plateformes légales de téléchargement offrent le soundtrack tant espéré. Peut-être que la Fox attend de voir ce que donnera le box-office pour décider si oui ou non une édition sur support physique verra le jour. On a pourtant eu la surprise de voir la B.O. de « Commando » (film de la Fox) paraître en CD il y a dix ans et en double vinyle cette année. Devra-t-on attendre des années pour voir un CD de « The Predator » ?

Henry Jackman est devenu assez rapidement l’une des valeurs sures de la musique de film. Mais il aura fallu faire bien des choses avant d’en arriver là. Quand il débute, au début des années 90, il travaille surtout comme programmeur des synthétiseurs et arrangeur assistant pour plusieurs artistes et notamment Trevor Horn sur l’album « Seduction of Claude Debussy » d’Art of Noise, sur « Voyager » l’album celte de Mike Oldfield, sur « Flaming Star » de Sally Oldfield mais également sur certains titres d’Elton John.

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.