Pour beaucoup de monde, et surtout le grand public, le cinéma est synonyme de films à grand spectacle à gros budget, ou comédie populaire, ou encore film dramatique au scénario intelligent et bien d’autres exemples encore. Pour les grosses productions, on peut difficilement passer à côté des pubs et autres bandes-annonces qui inondent les écrans, grands comme petits. Mais peu de gens connaissent ce que l’on appelle communément le cinéma bis et que l’on a tendance à traiter, à juste titre très souvent, de nanar à savoir les films de série B voire Z … et il y en a certains où l’alphabet n’a pas de lettre à donner. Pour ce type de cinéma, les Italiens régnaient en maître dans les années soixante-dix et quatre-vingt. En surfant sur le succès des blockbusters américains, les réalisateurs et producteurs italiens enchaînent des dizaines de films low cost en repompant les concepts de leurs modèles US. Quand « Star Wars » sort en 1977 avec le succès mondial qu’on lui connaît, de nombreux clones surgissent un peu partout dans le monde et notamment chez les Latins avec « Star Crash » (où l’on peut admirer la séduisante plastique de la reine des séries B 70’s Caroline Munroe et les débuts de David Hasselhoff) ou encore « L’Humanoïde » (avec Richard Kiel – Requin dans James Bond – et deux autres reines de séries B, Barbara Bach et Corinne Clery). L’arrivée des morts vivants avec « Zombi », le chef d’œuvre viscéral de George Romero entraînent un raz de marée de morts vivants italiens notamment grâce à Lucio Fulci qui nous livre « L’Enfer des Zombies », « Zombi 3 » etc … Une fois le « Terminator » de James Cameron sorti, les Italiens répliquent avec « Atomic Cyborg ». Avec « Mad Max 2 », le genre post apocalyptique prend une ampleur considérable. En Italie, ce genre devient très rependu, car il suffit de peu pour avoir le décor nécessaire. On voit alors surgir un nombre incalculable de sous Mad Max avec « Le gladiateur du futur », « Metalstorm », « Les nouveaux barbares » et bien d’autres. On trouve même des ersatz des « Aventuriers de l’Arche Perdue » avec des films comme … « Les Aventuriers de l’Or Perdu » (fallait le faire) et avec le phénomène Rambo émergent des nanars comme « Cobra Mission ». Dans les nombreux modèles qui servent de bases aux films italiens, on trouve deux pépites américaines qui marquent les producteurs romains. Avec tout d’abord « Les guerriers de la nuit » (Warriors), les Italiens voient là l’occasion de lancer une série de films de gangs et alors surgit « Les Guerriers du Bronx » (I Guerrieri Del Bronx). Puis vient l’un des films cultes de John Carpenter « New York 1997 » (Escape from New York). Avec cette base, un nombre assez conséquent de copies italiennes fleurissent avec par exemple le célèbre « 2019, après la chute de New York » (2019 – Dopo la caduta di New York). C’est également à cette époque que sort « Fuga Dal Bronx » dont le titre français sera alors « Les Guerriers du Bronx 2 ».

Mais si ces films sont plutôt bâclés dans la mise en scène et les images en elles-mêmes, ils permettent par contre de mettre en évidence le talent certain de compositeurs des personnes chargées de la musique. Avec ces productions à petits budgets, on découvre alors des musiques très souvent rock et électroniques de très bonnes factures ce qui contrastent sérieusement avec les images qu’elles illustrent. Parfois des musiciens se révèlent et deviennent par la suite des références en matière de B.O. . Ce sont alors des noms comme Guido & Maurizzio De Angelis (connus aussi sous le nom d’Oliver Onions), Fabio Frizzi ou encore Stefano Mainetti (je vous en avais parlé avec « Zombi 3« ), mais également le plus célèbre d’entre eux, Claudio Simonetti, le synthétiste de Goblin (là aussi, je vous en avais parlé pour la B.O. des « Nouveaux Barbares« ). Parmi tous ces compositeurs, on trouve parfois quelques musiciens dont certains avaient brillé pour des musiques de westerns spaghettis. Ainsi Walter Rizzati et Francesco De Masi signent plusieurs B.O. de films variés et finissent par la suite par se distinguer dans les compositions pour des séries B et Z comme « L’éventreur de New York » ou « Tonnerre » pour De Masi et « La maison près du Cimetière » ou « Manhattan Baby » pour Rizzati. Ce sont leurs travaux pour « Les Guerriers du Bronx » 1 et 2 qui nous intéressent ici puisque ces bandes originales ont été rééditées en vinyle ces derniers temps sur le label Death Waltz Records.

Je vais donc vous parler de la B.O. des « Guerriers du Bronx » 1 & 2 composée par Walter Rizzati pour le premier et Francesco De Masi pour le second, les deux volets ayant été réalisés par Enzo Castellari. Quand on travaille sur une production cinématographique ou télévisuelle, il faut penser à l’ambiance sonore, et la musique a une importance capitale. C’est tout aussi valable pour les films de série B et Z. Un film de ce genre ne peut pas se retrouver avec une musique ratée sous prétexte que c’est un film à petit budget. Parfois, on se demande d’ailleurs si tout le budget n’est pas passé dans la musique. C’est avec le modèle type initié par John Carpenter avec des arrangements simples et des notes convenues que la musique de ces films se reconnait. Très souvent élaborées sur des synthétiseurs, les compositions de ces productions de genre installent une ambiance propre qui devient une sorte de marque de fabrique italienne. Certains soundtracks ont même tendance à lorgner sur le style italo-disco, qui inonde les bacs des disquaires dans les 80’s. C’est également une ambiance très rock qui s’invite sur de nombreux nanars, notamment quand il s’agit de films de gangs. Ces codes deviennent alors la base de toute bonne musique de film de série B et Z. C’est surtout pour une question d’économie que les productions cinématographiques de ce genre vont commencer à miser puisque finalement ça revient moins cher à enregistrer puisqu’on s’affranchit d’un orchestre.

Walter Rizzati, est peu connu tant et si bien que sa carrière se limite à des productions relativement ponctuelles. Pourtant ce musicien assez influencé par des arrangements très rock va livrer des albums comme « Anno Santo 1975 » ou « Manhattan » puis une B.O. avec « L’Argent du Ministre ». Mais il est très vite contacté pour composer pour des séries B et Z, et on voit alors son nom sur des titres comme « Manhattan Baby » et surtout « La Maison près du Cimetière ». C’est en 1982, qu’Enzo Castellari le contacte pour signer la musique de son nouveau nanar « Les Guerriers du Bronx ».

Francesco De Masi est quant à lui un compositeur déjà bien en place quand il est approché pour la B.O. des « Guerriers du Bronx 2 ». Né en 1930, Il étudie la composition avec Achille Longo (grand maître de l’école napolitaine du 20ème siècle) au conservatoire S. Pietro a Majella de Naples. Il enchaîne avec l’art de l’orchestration avec notamment le chef d’orchestre néerlandais Paul Van Kempen à l’Académie Chigiana de Sienne. Mais c’est dès 1955 qu’il commence à composer pour le cinéma. La RAI lui décerne le prix du plus jeune chef d’orchestre en 1968. Il dirige des orchestres et devient directeur d’Orchestre au conservatoire de Sainte Cécile où il enseignera par la suite tout en sortant des disques d’enregistrements de musique classique. Parallèlement sa carrière filmique est bien remplie, et on lui doit des compositions pour « L’ombre de Zorro », plusieurs « Maciste », « Arizona Colt », « Django porte sa Croix », « Les espions meurent à l’aube », « L’éventreur de New York » ou encore « Thor, le Guerrier » parmi près d’une centaine de films. Sa filmographie exhaustive montre alors qu’il a composé pour pratiquement tous les styles filmiques, que ce soit du péplum, des films de guerre, d’espionnage, érotique, fantastique, aventures, policiers et bien sûr plein de nanars en tous genres comme « Cobra Mission », « Tonnerre » ou encore « Les Aventuriers de l’Or Perdu ». C’est donc un compositeur bien averti qui est alors engagé par Enzo Castellari quand celui-ci met en chantier « Fuga Dal Bronx ».

Alors, « Les Guerriers du Bronx » 1 et 2 sont des films à petit budget, surfant sur le style initié par « Les Guerriers de la nuit » de Walter Hill et « New York 1997 » de John Carpenter. Si dans le premier film, Trash, le chef bodybuildé d’un gang de motards vient en aide à une riche héritière qui se retrouve maladroitement perdue dans le Bronx, il combat seul, dans le deuxième volet, la corporation « General Construction » qui veut faire du Bronx une cité futuriste en virant manu militari les occupants actuels, n’hésitant pas à les massacrer si besoin est au passage. Des histoires qui tiennent sur un timbre-poste, vous pouvez le constater, mais après tout on n’attend pas des chefs d’œuvre scénaristiques dans ce genre de films. Cela a pourtant l’avantage de pourvoir voir quelques guest stars américaines sur le retour comme Christopher Connelly, Henry Silva ou encore Fred Williamson donnant alors la réplique à Mark Gregory qui incarne maladroitement le jeune héros aux muscles saillants. Alors âgé de 17 ans, Mark Gregory surjoue son personnage en n’oubliant surtout pas de bomber constamment le torse pour faire surgir ses pectoraux, ce qui lui donne une posture résolument improbable, mais surtout complètement ridicule.

Pour la musique du premier film, Walter Rizzati, livre une série de morceaux qui allient pop-rock électronique et rythmes endiablés tout en ayant quelque incursion pseudo classique. La musique ainsi convenue colle parfaitement aux images tout aussi banales. Francesco De Masi va quant lui signer plusieurs séquences électroniques avec parfois quelques morceaux légèrement plus rock, mais surtout quelques ambiances glauques par moment.

Malgré le succès quasi inexistant du premier opus, les producteurs tente le coup d’éditer la B.O. de celui-ci sur le légendaire label BEAT Records. Le disque aura d’ailleurs plus de succès que le film en lui-même. La perte sèche enregistrée par le deuxième volet incite néanmoins les producteurs à en sortir la musique en vinyle en misant sur le nom de De Masi, déjà crédité d’une discographie conséquente. Jamais rééditées ces B.O. deviennent vite introuvables et légendaires jusqu’à ce que l’éditeur américain Death Waltz Records se décide à les ressortir en vinyle là encore. En 2014, le label profite du Record Store Day (Disquaire Day en France) pour tenter le pari fou de sortir « 1990 : I Guerrieri Del Bronx » (Les Guerriers du Bronx 1) de Walter Rizzati. Très vite épuisé, ce titre devient de nouveau culte. C’est alors sans surprise que cette année, Death Waltz nous livre « Fuga Dal Bronx » (Les Guerriers du Bronx 2) de Francesco De Masi. Avec ces bandes originales pressées sur des disques 180g, la qualité du son est au rendez-vous, grâce à l’utilisation des masters originaux issus des studios BEAT Records, partenaires réguliers du label américain.

Quand Walter Rizzati se met à composer pour « Les Guerriers du Bronx », il se lâche sur des arrangements rock et électroniques. Mais là où l’on ne l’attendait pas c’est avec « Learning to Die » dont la composition même est fortement inspirée du grand classique « O Fortuna », ouverture épique de « Carmina Burana », chef d’œuvre magistral de Carl Orff. Pour ce morceau, Rizzati, n’hésite pas à utiliser les premiers samplers pour enregistrer des petits bouts des chœurs originaux de Carmina Burana pour ensuite en jouer sur des notes originales, ce qui donne un résultat surprenant et plutôt curieux.

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.