Il y a des sagas mythiques. « Le Seigneur des Anneaux » fait partie de ces œuvres magistrales qui ont marqué la littérature contemporaine. Quand J.R.R. Tolkien entreprend d’écrire cette épopée sans précédent, il ne pensait peut-être pas, à ce moment, que ça allait devenir aussi culte. Après plusieurs essais, par exemple « Beowulf : Les monstres et les critiques » ou « Du conte des Fées », il écrit son premier roman « Le Hobbit » qui va poser les bases d’un univers fantastique faisant école pour de nombreux écrivains par la suite. Les pérégrinations de Bilbon et du magicien Gandalf vont alors amener le public dans un Nouveau Monde peuplé de créatures légendaires et de guerriers sans égal sans oublier un méchant emblématique. L’une des aventures du hobbit, met alors en place un certain anneau au pouvoir étonnant. C’est en partant de cette histoire que Tolkien met en place la saga « Le Seigneur des Anneaux » avec trois volumes exhaustifs qui deviennent alors très vite une référence du genre et qui conquièrent le monde entier. Jugé inadaptable sur grand écran, un projet est néanmoins mis en chantier dans les années 2000 par le néozélandais Peter Jackson. Tourné d’une traite cette trilogie-fleuve devient à son tour culte au point de changer les durées standards des films à grand spectacle. Si les effets spéciaux sont impressionnants et le jeu des acteurs plus que convaincant, la musique est, elle aussi une réussite totale. Cette symphonie signée Howard Shore accompagne merveilleusement bien les impressionnantes images qui défilent sur l’écran cinéma. Car quand on crée une saga cinématographique de cette envergure, il faut en peaufiner les moindres aspects et la musique a son importance. En faisant appel à Howard Shore, Peter Jackson fait un choix sûr.

Né en 1946 à Toronto, Howard Shore étudie la musique dès l’âge de huit ans en se consacrant à de multiples instruments. Sa rencontre avec Lorne Michaels qui deviendra plus tard un producteur de show TV et de films cinéma va l’influencer sur ses choix musicaux futurs. C’est au Berklee College of Music où il étudie l’art de la composition et de l’arrangement, que Howard Shore se joint au groupe de Jazz Rock et Fusion, « Lighthouse » en jouant du saxophone alto. Le groupe qui officie entre 1969 et 1974 est sacré meilleur groupe de rock canadien avec dix albums relativement best-sellers. Par la suite, Shore crée avec Lorne Michaels le « Saturday Night Live », célèbre émission parodique contenant nombre de sketches entrecoupés par des parties musicales. Howard Shore en est le directeur musical et en compose les indicatifs. Les contraintes d’une émission hebdomadaire lui permettent d’apprendre à composer très vite et dans des styles variés afin de pister les différents sketches. Cette expérience lui permet de prétendre à travailler dans tous les styles. Il croise alors le chemin de son compatriote David Cronenberg. Cette rencontre est déterminante. Howard Shore entame une carrière de compositeur de musique de films en commençant par ceux de Cronenberg avec « Chromosome 3 », après s’être essayé sur le film de Murray Markowitz « I miss you, Hugs and Kisses ». Il enchaîne avec « Scanners » et « Vidéodrome ». Avec ces films Howard Shore démontre sa maîtrise des synthétiseurs. Mais il prouve qu’il est un compositeur aussi à l’aise avec un grand orchestre. Ainsi il signe quelques B.O. comme celle d’ « After Hours » de Martin Scorcese, « Big » de Penny Marshall avec Tom Hanks, « Délit d’Innocence » de Peter Yates tout en composant pour Cronenberg avec « La Mouche » ou encore « Faux Semblants ». On l’associe très souvent à des compositions aux atmosphères lourdes comme pour « Le Silence des Agneaux » ou « Seven », mais il montre qu’il peut aussi avoir un ton plus léger en livrant la musique de « Madame Doubtfire ». Sa renommée grandissante est telle que de nombreux réalisateurs et producteurs font appel à lui. Ainsi on note des soundtracks comme « Philadelphia », « Le Client », « Ed Wood », « Crash », « Entre Chiens et Chats », « Copland », « High Fidelity », « The Score », « Gangs of New York », « Aviator » parmi des dizaines d’autres. C’est en 2000 que Peter Jackson lui parle de son gigantesque projet … adapter « Le Seigneur des Anneaux » en une trilogie cinématographique dont les films auraient une durée minimum de 2h30 et qui seraient tous tournés en une seule immense session sur plusieurs mois. Cette ambition démesurée surprend Howard Shore qui se trouve alors embarqué dans cette aventure complètement folle. Les craintes des puristes s’envolent très vite dès les premières notes de la partition que livre le compositeur. De nombreuses heures de musiques sont composées pour cette saga et Howard Shore remporte deux oscars avec « La Communauté de l’Anneau » et « Le retour du Roi ». Cette collaboration fructueuse va connaître un couac avec « King Kong ». La musique que Shore livre à Jackson ne convainc pas ce dernier qui lui préfère alors James Newton Howard. Néanmoins, les deux hommes collaborent de nouveau pour la toute nouvelle trilogie-fleuve « Le Hobbit ». Howard Shore continue de composer pour le cinéma et s’il n’a pas obtenu d’autres Oscars, il a été néanmoins nominé pour la B.O. de « Hugo Cabret » de Martin Scorcese.

Howard Shore livre pour « Le Seigneur des Anneaux » une musique somptueuse orchestrale avec des arrangements qui donne la part belle aux ensembles à cordes. La légèreté de ceux-ci a tendance au donner une impression de lévitation musicale tant le jeu des musiciens est subtil tout en étant étiré. Les parties de cuivre qui apparaissent sonnent clairement et donnent un aperçu de l’aspect épique de la saga filmique. Quelques notes cristallines s’insinuent çà et là ajoutant une couleur féérique par moments, quant aux chœurs qui s’invitent, ils nous emportent dans des contrées sonores fantastiques avec un savant dosage de voix masculines pour les parties guerrières et des voix féminines beaucoup plus présentes lors des passages plus intimistes. Cette alchimie remarquablement travaillée est telle que l’on ne ressent aucune monotonie qui aurait pu s’installer compte tenu de la durée exceptionnelle du film et donc de la musique associée. L’ensemble n’est pas sans rappeler les plus beaux passages de la B.O. de « Conan » par Basil Poledouris. Ecoutez les morceaux de « Conan » comme « The Leaving/The Search », « Atlantean Sword », « Tree of Woe » ou encore « Orphans of Doom » et vous comprendrez qu’il existe un style « Heroic Fantasy » même dans la musique. Howard Shore signe avec la trilogie « Seigneur des Anneaux » ce qui est peut-être l’œuvre de sa vie.

Avec un projet tel que la trilogie du « Seigneur des Anneaux », la production met sur la table un budget faramineux, et il faut rentabiliser un investissement aussi conséquent. Si l’on trouve de nombreux produits dérivés comme des figurines des statuettes et nombres d’objets en tous genres, la musique du film fait très vite l’objet d’une édition. Un CD voit le jour dès la sortie du film. Si l’on trouve très facilement la version courante au boitier cristal habituel, on a également le plaisir de découvrir une édition de luxe avec un livret à la reliure cuir. Cette version est d’ailleurs retenue pour les autres volets de la trilogie. Mais en 2005 ce sont les enregistrements complets qui voient le jour dans un coffret magistral de trois CDs mais également un DVD. Ce coffret aux allures de mini livre grimoire se voit agrémenté d’un livret exhaustif à l’apparence de parchemin. Le DVD a la bonne idée de nous proposer les mixages 5.1 des trois CDs. Ce coffret très limité se voit très vite épuisé ainsi que les mêmes éditions pour les deux autres volets de la saga. Il faut attendre avril 2018 pour que Warner Music s’associe à Reprise Records pour rééditer cette ambitieuse version complète en … cinq vinyles de « Fellowship of the Ring ». Oui cinq galettes de couleur rouge dans un coffret reprenant le design de sa version 3CDs mais dans des dimensions nettement plus grandes. Le livret prend alors toute son ampleur et une partie de carte de la Terre du Milieu s’insère également dans ce box hors norme, ce qui donne bon espoir pour l’édition dans ce même format de la B.O. complète de « Les Deux Tours » et « Le Retour du Roi ».

Parmi tous les morceaux qui constituent la B.O. de « La Communauté de l’Anneau », « The Council of Elrond » se distingue des autres, car on peut constater que la musique d’Howard Shore cohabite avec une autre qu’il n’a pas signée. En effet, la voix que l’on entend au milieu de cet extrait et qui entonne le thème d’Aragorn et d’Arwen est connue par le grand public. On peut aisément reconnaître le timbre très particulièrement velouté de la voix de la chanteuse irlandaise Enya. En effet pour « La Communauté de l’Anneau », Peter Jackson fait appel à Enya pour signer deux titres, dont l’un figure au générique de fin. Il fera de même pour les deux autres films en engageant d’autres personnalités de la chanson comme Annie Lennox (ex Eurythmics) pour « Le Retour du Roi ».

Peter Jeckson réussit l’exploit d’adapter au cinéma ce qui a très longtemps été considéré comme inadaptable. Mais malgré ce tour de force jusqu’alors inédit, son adaptation n’en est pas la première version. En effet en 1978, on trouve un film d’animation de Ralph Bakshi avec l’incroyable technique du rotoscope et basé sur les designs du légendaire artiste de comics Mike Ploog. On doit à Ralph Bakshi plusieurs chefs-d’œuvre d’animation parmi lesquels l’irrévérencieux « Fritz, the Cat » d’après Robert Crumb et qui reçoit un classement X aux USA, « Les Sorciers de la Guerre » avec Mike Ploog mais surtout « Tygra la glace et le feu », magistral chef d’œuvre barbare entièrement tourné en rotoscope en collaboration avec le légendaire Frank Frazetta.

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.