DOCTOR WHO, THE DALEKS ORIGINAL SOUNDTRACK : Tristram Cary & The BBC Radiophonic Workshop (Silva Screen Records)
Avec un titre comme « Doctor Who » Je vais donc vous parler de musique … mais je ne vous parlerai pas de rock, d’électro et encore moins de chanson populaire ou commerciale. Non on revient aux bases en vous parlant de « Bande Originale ». Mais attention ! Avec cette première saison de 1963, il ne faut pas s’attendre à de la musique orchestrale ou rock. Non la musique de « Doctor Who » était à cette époque révolutionnaire, car issue d’un mouvement grandissant, la musique contemporaine et plus précisément la musique concrète.
Toute production cinématographique et télévisuelle demande une ambiance sonore et la musique a une importance capitale.
Les séries télé ne doivent d’ailleurs pas être oubliées dans ce processus.
En effet, une série télé est, au même titre qu’un film, une réalisation à part entière qui demande là aussi une ambiance sonore et une musique originale spécialement composée. S’il y a des éditions de bandes originales de films, il n’y a pas de raison de ne pas faire de même pour les séries. Si l’on cherche bien, on peut trouver de nombreuses éditions CD de séries télé et surtout des séries américaines.
Depuis quelques années, le label Intrada nous gratifie d’éditions impressionnantes de diverses séries anciennes, comme récentes, avec par exemple la musique de la nouvelle version de « Battlestar Galactica » par Bear Mccreary, mais aussi l’intégrale des musiques de la série d’origine de 1978 de Stu Philips en plusieurs volumes.
La La Land records fait de même avec notamment quatre coffrets luxueux de 4 CD chacun sur la B.O. de X-Files.
Et, il y a quelques mois, un autre coffret du même genre a été édité pour la musique des « Mystères de l’Ouest » et de « Star Trek » (les séries des 60’s)
Silva Screen Records, l’un des labels référence en bandes originales en Angleterre, n’est pas en reste en proposant en CD puis parfois en vinyle de nombreux titres dont certains sont légendaires. Si l’on y trouve les scores de certains Alfred Hitchcock comme « la mort aux trousses » ou quelque Jerry Goldsmith avec par exemple l’édition complète de « Legend », on y découvre également plusieurs pépites en séries télé. Ce label nous gratifie par exemple de plusieurs volumes consacrés au « Prisonnier » contenant non seulement les musiques spécialement composées, mais aussi quelques morceaux issus du label d’illustration musicale Chappell Records. C’est dans cette optique, qu’il nous livre depuis quelques années des bandes originales d’épisodes de « Doctor Who ».
Je ne vais pas vous parler de la série, car ce n’est pas le sujet, mais on peut néanmoins évoquer que le héros, dont on ne connaitra jamais le nom, est un extraterrestre de la planète Gallifrey dont les habitants s’autoproclament « seigneurs du temps ». Après avoir volé une machine à explorer le temps, le T.A.R.D.I.S., le docteur s’en va à l’aventure et se retrouve sur Terre, planète qu’il affectionne bien vite. Cette série devient très rapidement l’une des plus regardées outre-Manche et quand l’acteur qui incarne le personnage s’en va, la production décide que l’espèce dont il est le représentant peut se régénérer quand il se retrouve aux portes de la mort. Ce subterfuge très pratique va permettre de choisir un autre acteur à chaque fois que cela devient nécessaire. Ainsi nous arrivons maintenant à quatorze incarnations, si l’on compte le Docteur Guerrier joué par John Hurt.
La série étant purement science-fiction, l’influence sonore se fait sentir et la musique est alors un aspect essentiel à l’ambiance globale de la série. Dans les années soixante, le milieu de la musique contemporaine est secoué par un nouveau genre de recherche sonore avec des générateurs d’ondes et les bandes magnétiques. La musique concrète devient un genre nouveau qui prend racine dès les années 50 … en France notamment. Cet univers sonore très particulier, et essentiellement expérimental, est alors le plus approprié pour la série. Le choix de la production est clair. Pour une série nouvelle et innovante, il faut une musique toute aussi inédite. La BBC fait alors appel à la formation qu’elle gère, le BBC Radiophonic Workshop qui évolue dans la recherche musicale nouvelle au même titre que le G.R.M. en France.
Le BBC Radiophonic Workshop est créée en 1958 afin de créer des ambiances sonores et des musiques pour des événements radio et télévisée en ayant pour objectif une musique profondément dans le style contemporain expérimental et plus précisément la musique concrète et électroacoustique. Ce style initié surtout par les Français Pierre Schaeffer, Olivier Messiaen et Pierre Henry est certes mal perçu dans le milieu de la musique contemporaine, mais finit par s’imposer grâce à la bande originale de « Planète Interdite » de Louis et Bebe Barron en 1956. En 1958, Pierre Schaeffer crée le G.R.M. (Groupe de Recherches Musicales) et les premiers travaux consistent à créer des musiques et des ambiances sonores uniques pour Radio France et la RTF, premier pas de la télévision en France. C’est cette même année que la BBC fait de même avec le BBC Radiophonic Workshop. Travaillant essentiellement au départ pour la création d’ambiances musicales pour la chaîne télé anglaise, cette formation, à l’instar du G.R.M. français, se plonge aussi dans la recherche de musiques nouvelles avec la manipulation de sons, que ce soit avec des appareils électroniques que des enregistrements sur bandes magnétiques trafiqué après coup. La musique concrète est alors bien en place en France comme en Angleterre. C’est Daphne Oram, cofondatrice de la formation britannique qui pose les bases dans son pays avec ce que l’on nommera la technique oramique pour la création de sons, suivie de près par les autres membres, David Cain, John Baker et surtout une certaine Delia Derbyshire. C’est elle qui est à l’origine de plusieurs sons emblématiques de la série comme celui du T.A.R.D.I.S. lors de ses sauts spatiotemporels ou encore le fameux tournevis sonique ainsi que les effets de voix des Daleks et bien d’autres encore. Mais non seulement elle crée ces ambiances, mais c’est elle qui interprète le générique composé par l’Australien Ron Grainer. Pour ce morceau elle crée l’onde aiguë qui fait sonner le thème. Et si dans le temps de nombreux musiciens ont modifié l’arrangement, ils en conservent l’essence sonore de Delia Derbyshire.
Pour les musiques des épisodes, le BBC Radiophonic Workshop va travailler avec divers compositeurs et pour les épisodes qui constituent « The Daleks », c’est Tristram Cary qui s’y colle. Avec la formation britannique et surtout Delia Derbyshire, il va concocter une série d’ambiance sonore entièrement musique concrète.
Né à Oxford en Angleterre, Tristram Cary est le fils du pianiste et romancier Joyce Cary auteur de « Mister Johnson ». C’est en officiant comme opérateur radar pendant la Seconde Guerre mondiale que Tristram Cary commence à s’intéresser au mouvement naissant de la musique concrète avec la manipulation de bandes magnétiques et autres générateurs d’ondes utilisés par les Français, Olivier Messiaen et Pierre Schaeffer. Il met alors en place sa propre approche de création de musiques électroacoustique. Dans les années soixante, il crée avec Peter Zinovieff et David Cockerell, l’Electronic Music Studio Ltd à Londres (E.M.S.). Ils créeront alors le tout premier synthétiseur commercialement mis en vente publique le l’EMS VCS 3 qui devient très vite l’un des instruments de nombreux groupes de rock comme Pink Floyd et surtout Tangerine Dream dans leurs débuts. Très vite ils récidivent avec l’autre synthé mythique l’EMS Synthi 100, l’un des instruments électroniques que Klaus Schulze affectionne à tel point qu’il l’utilise encore ainsi que le Micro Moog.
En tant que compositeur Tristram Cary signe de nombreuses sonates puis se met à la musique de films et série télé. On lui doit notamment « Quatermass and the Pitt » (les monstres de l’espace) ainsi que le film de la Hammer « Blood from the Mummy’s Tomb » (la momie sanglante), mais également quelques passages de « Casino Royale » la version comique des années 60. Son travail dans la musique concrète est remarqué par la BBC qui lui demande de signer avec le BBC Radiophonic Workshop la musique de leur toute nouvelle série de SF « Doctor Who ».
Née en 1937 à Coventry en Angleterre, Delia Derrbyshire est en contact avec un piano dès l’âge de huit ans. C’est en 1960 qu’elle intègre le BBC Radiophonic Workshop comme assistante-ingénieure du son tout en écrivant de nombreuses chroniques dans le magazine « Record Review » spécialisé dans la critique de musique classique. Elle devient plus active en tant que compositrice et travaille sur plusieurs travaux pour la BBC entre autres. Son premier grand travail est la réalisation du thème principal de « Doctor Who » composé par Ron Grainer, en créant notamment le son du thème. Elle signe par la suite de nombreuses musiques pour la série elle-même. Ce travail la conduit à créer « Inventions for Radio » un ensemble de collage sonore électroacoustique. Son style fait depuis école dans le milieu de la musique concrète. Elle officie plus tard dans plusieurs projets variés et l’on retrouve son nom dans de nombreuses musiques de film et séries télé. Elle crée avec Brian Hodgson et Peter Zinovieff « Unit Delta Plus » un trio résolument tourné vers la musique concrète et dont le but est de faire connaître au grand public cette forme nouvelle de musique. L’une de leurs prestations se déroule lors du « Carnival of Light » des Beatles. Par la suite elle rejoint, avec Brian Hodgson, David Vorhaus pour créer White Noise, un groupe de rock progressif expérimental qui allie plusieurs aspects de la musique actuelle.
Tristram Cary et le BBC Radiophonic Workshop vont créer pour « Doctor Who » une musique brute expérimentale électroacoustique. C’est une musique concrète qui défile mettant en évidence le côté futuriste de la série avec des oscillations qu’elles soient stridentes ou bourdonnantes. Plusieurs types de modulations viennent s’enchevêtrer élargissant ainsi le spectre sonore. Quelques bips et autres tonalités brèves et aiguës s’installent çà et là pour illustrer les quelques passages alarmants. Parfois de petits thèmes apparaissent au milieu de ces sculptures sonores. La B.O. de « Doctor Who, The Daleks » est un ensemble d’ambiances sonores et d’expériences musicales uniques. Toutes ces réalisations ne sont pas sans rappeler les travaux des Français Pierre Schaeffer et surtout Pierre Henry qui a su accrocher le grand public avec ce style musical élitiste.
Depuis maintenant quelques années, la BBC déterre ses archives. Le succès grandissant de la série due essentiellement à la qualité des scénarios et au jeu des acteurs depuis qu’elle est relancée en 2005 amène la chaîne britannique à une campagne d’édition musicale. Si l’on trouve les musiques de la nouvelle série dès le départ de son revival, les pièces de la série classique demeuraient encore inédites. En s’associant avec le label Silva Screen, la BBC se lance dans l’édition de la B.O. d’épisodes emblématiques. Ainsi l’on voit surgir plusieurs CD concernant diverses époques et incarnations du héros. Mais le regain d’intérêt pour le support vinyle se fait grandissant et tous les ans, lors du Disquaire Day, on peut trouver facilement deux nouveaux albums en vinyle sur le docteur. L’année dernière nous avons eu droit à « Doctor Who, Genesis of the Daleks », célèbre histoire en six parties avec le quatrième docteur incarné par l’inoubliable Tom Baker. Mais Silva Screen ne se contente pas de cet événement phonographique et édite alors d’autres soundtracks de « Doctor Who ». Il y a quelques mois, sont sortis en CD « Survival » avec le septième docteur (Sylvester McCoy), mais également « The Daleks », mythique histoire mettant pour la toute première fois en scène les redoutables ennemis des seigneurs du temps. Mais plus récemment ces deux titres se sont vus pressés en vinyle. Et avec un label comme Silva Screen, qui existe depuis le milieu des années soixante-dix, la qualité est au rendez-vous avec des masters originaux directement issu de la BBC.
Le BBC Radiophonic Workshop est un ensemble qui, comme le G.R.M. en France, explore depuis les années soixante des contrées très expérimentales de la musique. Cette recherche dans les sons et la manipulation acoustique fait partie de ces travaux qui ont fait avancer la musique dans des directions jamais imaginées jusqu’à lors. Ces travaux ont amené de nombreux musiciens à partir dans des directions qu’ils ne soupçonnaient pas. Et ceci est valable également dans le milieu du rock. Les bandes magnétiques et autres oscillateurs et modulateurs génèrent des sons qui ont interpelé quelques groupes et musiciens et on note alors la présence de Brian Jones, guitariste des Rolling Stones qui vient alors chercher de nouveaux effets pour son instrument, suivront alors Jeff Beck, Jimmy Page et Jimi Hendrix qui viennent chercher de nouvelles pédales d’effets pour leurs guitares. Le groupe Pink Floyd, alors encore avec Syd Barrett, vient dans les studios de la formation pour y enregistrer des boucles sur bandes magnétiques trafiquées et utilise de nombreux appareils pour leur premier album « The Piper at the Gates of Dawn ». Le magazine Mixmag parle du BBC Radiophonic Workshop come des héros de la musique électronique britannique et leurs travaux sont samplés par de nombreux musiciens et DJ.
Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.
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