Je vais cette fois vous parler d’un groupe dirigé par quelqu’un qui a été lié à Pink Floyd, dont on vous a longuement parlé dans l’émission précédente où l’on a évoqué les premières années de cette formation mythique en explorant le box Early Years 1965/1972 avec quelques extraits inédits. Alan Parson a été pendant quelque temps l’ingénieur du son de Pink Floyd sur trois albums légendaires après avoir fait ses armes sur les Beatles. Le groupe qu’il forme par la suite dans les 70’s a marqué le milieu du rock progressif en y rajoutant des parties orchestrales sur des compositions dont certaines lorgnent sur un style médiéval.
C’est de deux albums emblématiques d’Alan Parsons Project que je vais évoquer aujourd’hui, car ils font l’objet d’une réédition de luxe dans un box anniversaire contenant non seulement l’œuvre en vinyle, mais également en CD avec de nombreux inédits comme des sessions démos et des guides vocaux. Ces rééditions font écho à un phénomène récent de ressorties exhaustives que l’on peut remarquer depuis quelques années.

Depuis maintenant une petite dizaine d’années, l’industrie du disque connait une certaine renaissance notamment grâce au Record Store Day (ou Disquaire Day en France). Si le vinyle revient en force, le CD n’est pas en reste.
On remarque que de nombreux artistes et groupes en profitent pour rééditer certains de leurs albums, les plus marquants pour la plupart, afin de réhabiliter leurs œuvres, et pour certains de relancer leur carrière.
Ainsi on voit ressurgir les albums des Rolling Stones, des Beatles, de Mike Oldfield, de Pink Floyd, de Led Zeppelin et j’en passe.
Mais ces rééditions ne se contentent pas d’exister de manière toute simple.
Les labels et les artistes en profitent pour agrémenter ces nouvelles éditions de sessions alternatives, de concerts ou même d’inédits d’époque.
Parfois, ce sont des coffrets Vinyle et CD qui voient le jour avec de nombreux facsimilés de memorabilias afin de conquérir les collectionneurs.
L’exemple type étant ce que Pink Floyd a initié avec leurs fameuses boxes « Immersion » de trois des albums les plus emblématiques du groupe sans compter l’immense box de 27 disques (CD DVD Bluray et même quelques vinyles) reprenant leurs premières années.
Cette initiative influence alors d’autres noms et l’on voit surgir « Sgt Peppers » des Beatles dans ce même format et les albums de Led Zeppelin se retrouvent aussi affublés d’un box.

Par contre certains artistes se contentent d’éditions plus modestes tout en étant bien fournis.
Je citerai Mike Oldfield dont la discographie est en ce moment entièrement en cours de réédition avec de nombreux inédits et Lives de toutes sortes, que ce soit en audio ou en vidéo, mais également Art of Noise qui profite de ces rééditions pour y inclure les projets d’albums restés dans les cartons.

Donc parmi toutes ces rééditions, il n’est pas anormal de voir alors surgir les opus d’Alan Parson’s Project. Après avoir lancé une première campagne de réédition avec les albums en CD agrémentés de quelques inédits, le musicien producteur va revoir sa copie en voyant venir des dates anniversaires par exemple le quarantenaire de ses premiers opus.
Après la sortie, l’année dernière de « Tales of Mystery and Imagination, Edgar Allan Poe », le premier album l’année dernière dans un luxueux coffret, c’est au tour de l’album « Eye in the Sky » de bénéficier du même traitement avec un coffret similaire qui sort en décembre 2017.
Mais si Alan Parsons Project est un groupe, il est surtout issu d’une rencontre de deux hommes imaginatifs et expérimentateurs Alan Parson et Eric Woolfson.

Né en 1948, Alan Parson commence en tant qu’ingénieur du son à 18 ans en entrant dans le mythique studio d’Abbey Road à Londres. Il y découvre alors les immenses possibilités des diverses techniques d’enregistrement et déjà commence à comprendre l’étendue de certaines possibilités notamment en voyant ce que les compositeurs de musique concrète produisent à l’époque, Pierre Scheffer, Pierre Henry, Karlheinz Stockhausen en tête, mais également avec la BBC Electronic Workshop où se distingue Delia Derbyshire la créatrice du son du générique de Doctor Who.
Alan Parson va commencer à se faire connaître en travaillant sur l’album des Beatles « Abbey Road » sur lequel il se fait les dents et commence à expérimenter quelques idées. Par la suite il travaillera sur des albums de Paul McCartney comme « Wild Life » et « Red Rose Speedway », sur cinq albums des « Hollies » et apparaîtra çà et là avant de se distinguer sur trois albums de Pink Floyd. Avec « Atom Heart Mother » il amène Andrew Powell à réaliser les parties d’orchestre, mais il s’impose également comme expérimentateur en apportant au groupe de Cambridge une pièce de montage sonore réalisée à partir d’enregistrement de bruits de friture et divers sons de cuisine ponctués de notes musicales discrètes « Alan’s Psychedelic Breakfast ». Alan voit en ces travaux des concepts qui commencent à l’intéresser. Quand il travaille sur « The Dark Side of the Moon » après avoir officié sur « The Meddle », Alan Parson réalise une œuvre sonore toujours reconnue comme l’une des plus emblématiques du genre pour laquelle il recevra un Grammy Award. S’il jongle avec les effets multiples sur « Money » ou « Time », il crée une ambiance particulière notamment avec des carillons qui sonnent tous à l’unisson. Pour cette prouesse, il synchronise tous les carillons qu’il possède (Il les collectionne) et attend qu’ils se déclenchent … un exploit fou. Pour Money il capte le son d’une caisse enregistreuse pour en créer le rythme de base de la chanson. Pour « The Great Gig in the Sky » il fait venir une amie, Clare Torry, pour y faire des vocalises sur une pièce aérienne et mélancolique. Il lui demande de penser à la mort et des sentiments qui en résultent pour ceux qui demeurent. Après avoir écouté le morceau, Clare Torry ne fera alors qu’une seule et unique prise … il n’y en a jamais eu d’autres.
Alan Parson devient en un rien de temps l’ingénieur de son de référence pour bon nombre d’artistes et de producteurs.

À cette époque il se lance dans la production avec un album du groupe pop écossais Pilot composé de Ian Bairnson, Suart Tosh et David Patton. Alan voit en eux de remarquables musiciens et commence à réfléchir sur un projet qui germe dans sa tête depuis un certain temps déjà.
C’est quand il rencontre Eric Woolfson que tout se déclenche. Il décline l’invitation de Pink Floyd pour s’occuper de « Wish you Were Here » pour se consacrer à « The Project » (le projet) avec Éric. Ensemble ils vont mettre sur pied un album concept autour de plusieurs nouvelles d’Edgar Allan Poe réunies alors sous le titre « Tales of Mystery and Imagination » (Contes Extraordinaires) reprenant certaines histoires contenues dans le recueil de l’écrivain et en y ajoutant quelques autres.
Eric Woolfson était alors déjà bien installé dans le métier après avoir travaillé en tant qu’auteur/compositeur pour Marianne Faithfull, Frank Ifield, Joe Dassin et bien d’autres et en tant que producteur notamment pour les Rolling Stones. Il sort un single sous le nom d’Eric Elder avec l’assistance de Eric Stewart, Kevin Godley, Lol Creme and Graham Gouldman (qui deviendront plus tard 10CC).
Les compositions d’Alan Parson et Eric Woolfson s’enchaînent et il faut maintenant les enregistrer. Si Éric est un chanteur émérite, il faut néanmoins des musiciens. Alan contacte alors ceux du groupe Pilot qu’il produisit l’année précédente à qui il associe certains autres musiciens du groupe Ambrosia. Il fait également appel à Andrew Powell afin de faire les arrangements d’orchestre pour la longue suite instrumentale « The Fall of the House Usher » (La chute de la maison Usher). Ainsi constitué, le groupe commence alors une carrière qui va devenir l’une des plus marquantes de l’histoire du rock progressif symphonique.
S’enchaînent donc de nombreux albums dont certains seront des succès commerciaux comme « The Turn of the Friendly Card », mais surtout le célébrissime « Eye in the Sky » dont les 35 ans cette année conduits à une réédition en coffret de luxe sorti ce mois-ci.
Quand Eric Woolfson s’envole pour une carrière solo, le groupe continue sous le nom d’Alan Parson, puisqu’il en est le producteur.
Quand les années 2000 arrivent, Alan Parson et Eric Woolfson commencent la première campagne de réédition. Mais Éric n’en verra pas le produit fini, car il décède en 2009 des suites d’un cancer du rein.
La deuxième vague de réédition est lancée quelques années plus tard en prenant pour prétexte le 35ème anniversaire des albums. Mais seuls « I Robot » et « The Turn of the Friendly Card » se verront édités en doubles albums gavés d’inédits.

Ce n’est que l’année dernière et en voyant le succès grandissant des éditions de luxe en coffret qui fleurissent çà et là qu’Alan Parson va revoir sa copie. Il réédite alors le premier album « Tales of Mystery and Imagination » dans un coffret où les deux versions de l’œuvre sont proposées en CD contenant également de nombreux inédits comme des sessions alternatives, mais également des guides vocaux où l’on peut entendre les vocalises d’Eric Woolfson afin de déterminer comment placer la voix par la suite, mais surtout quelques morceaux non retenus par la suite. C’est aussi en double vinyle que l’album d’origine est pressé en reprenant le tout premier design sous le nom simplifié de « The Project » avant que ça ne devienne Alan Parson’s Project.
Des reproductions de divers documents d’époque (Dossier de presse promotionnel par exemple) s’ajoutent à un livre rempli de notes et de photos jusque-là restées dans les tiroirs.
L’album en lui-même est un concept musical autour de certaines nouvelles d’Edgar Allan Poe et s’ouvre sur un instrumental électronique « A Dream Within a Dream » (Un rêve dans un rêve) qui s’enchaîne avec la première chanson « The Raven » (Le corbeau) où l’on peut clairement entendre le célèbre leitmotiv de l’oiseau « Never More » (Plus jamais). D’autres chansons se succèdent faisant la lumière sur plusieurs histoires de l’écrivain.
Mais le chef d’œuvre de cet opus est sans nul doute l’instrumental de 15 minutes « The Fall of the House Usher » (La chute de la Maison Usher) en plusieurs mouvements alliant musiques orchestrales proches de la B.O. de film et parties rock électroniques relativement calmes.

C’est avec ce même concept que l’édition de « Eye in the Sky » arrive ce mois-ci avec tout autant de bonus.
C’est avec « Sirius » l’emblématique ouverture instrumentale que l’album débute. Cette lente montée ronflante supplantée par une séquence aérienne qui amène à de lourdes notes de guitare introduit alors un thème léger qui va mettre en valeur la chanson titre qui s’enchaîne remarquablement. Cet instrumental est devenu une référence à tel point d’être réutilisé de nombreuses fois par divers médias pour illustrer des documentaires. C’est aussi l’autre instrumental de cet album « Mammagamma » que l’on retrouve encore plus souvent utilisé tant il reste dans les mémoires. Il est l’un des thèmes électroniques les plus connus du grand public au même titre qu’ « Oxygène IV » de Jean-Michel Jarre ou encore « Spiral » de Vangelis.
L’album est une collection de chansons aux inspirations et aux styles variés. Si l’emblématique « Eye in the Sky » demeure dans la mémoire collective comme l’une des chansons phares de l’album éponyme, c’est grâce à son style pop rock électronique assez passe-partout avec des paroles plutôt simples, mais efficaces. On retrouve des morceaux beaucoup plus rock comme « You’re gonna get your fingers burned », mais aussi des chansons limite variété avec « Step by Step ». Mais on trouve aussi des chansons plus calmes et lancinantes avec « Gemini », ainsi que « Silence and I » qui a la particularité d’avoir un instrumental complètement différent en plein milieu du morceau. Mais c’est surtout le magnifique « Old and Wise » dont le thème mélancolique met en valeur des paroles poignantes qui pourraient nous faire quelque peu réfléchir sur notre condition quand viendra notre fin inéluctable.

Avec cette édition Deluxe, Alan Parson nous invite, certes, à réécouter « Eye in the Sky » avec un remaster qu’il a lui-même effectué, gage de qualité, mais il nous convie à découvrir les coulisses de cet opus mondialement légendaires à travers de nombreux bonus dont la plupart sont issus des cassettes audio « Writing Diaries » d’Eric Wolfson. Avec ces enregistrements, on découvre alors des versions de démos ainsi que des guides vocaux sur lesquels le chanteur place sa voix, ce qui nous permet de comprendre le long processus de création des diverses chansons.
D’autres bonus viennent agrémenter cette luxueuse édition avec les parties orchestrales isolées (reprenant ainsi le concept d’édition lancé par Nightwish 10 ans auparavant), mais aussi avec des inédits destinés aux médias pour la promotion de l’album tel que « The Naked Eye ». Cette suite instrumentale est assez particulière, car structurée un peu comme un medley de 10 minutes qui enchaîne les versions instrumentales de tous les titres … mais entièrement réarrangés. En effet, on peut constater que les sons utilisés sont différents (c’est flagrant sur « Sirius » et « Mammagamma »). Ce concept était alors envoyé aux divers médias afin que ceux-ci aient une vision globale de l’ambiance de l’album à sortir.
Le facsimilé du flexidisc d’époque « An Eye Opener » complète d’ailleurs cette partie promotionnelle de l’époque.
Avec un Blu-Ray mixé en 5.1, on plonge complètement dans l’expérience « Eye in the Sky » de manière totalement immersive.
C’est un livre exhaustif qui vient compléter le coffret avec de nombreuses photos inédites ainsi que des reproductions des notes personnelles d’Eric Woolfson.

« Eye in the Sky » est l’album le plus connu d’Alan Parsons Project du point de vue du grand public. Il a été classé n°1 en Allemagne, en Autriche et en France. Et c’est d’ailleurs dans l’hexagone qu’il sera mis en avant de manière assez inattendue avec la partie instrumentale de la chanson « Silence and I » qui vient s’insérer en plein milieu. Très différente de l’ensemble du morceau qui est plutôt calme et lancinant, cette partie beaucoup plus rythmée sonne un peu médiéval et épique. C’est cet aspect qui va séduire une radio nationale en 1982.
À cette époque les jeunes Français commencent à peine à être pris de passion pour le tout premier jeu de rôle « Donjons et Dragons » créé une décennie plus tôt aux USA par Gary Gygax et Dave Arneson.
Les médias s’y intéressent alors et la radio France Inter lance une émission quotidienne interactive tard le soir. Les auditeurs appellent la station et jouent en direct à ce jeu de rôle devenu populaire. Si l’émission ne dure pas, elle aura eu le mérite d’utiliser comme générique la partie instrumentale de « Silence and I » ce qui influera inconsciemment quelque peu sur le succès de l’album « Eye in the Sky » d’où elle est issue.

Jetons maintenant un œil sur ce que Alan Parson’s Project à bien put faire en dehors de ses productions.

Tout d’abord, Il faut savoir qu’une amitié solide lie Alan Parson et David Gilmour. Donc il n’est pas illogique de voir qu’ils peuvent bosser ensemble. En découvrant une jeune artiste de 18 ans aux talents incroyables de musicienne doublée d’une voix incomparable, David Gilmour décide de la prendre sous son aile. Avec Alan Parson, il va produire une certaine Kate Bush. Le premier album « The Kick Inside » sera entièrement réalisé avec les musiciens d’Alan Parson’s Project et David Gimour himself. Les deux suivants auront néanmoins la même patte avec quelques-uns d’entre eux.

Le chanteur John Miles croise le chemin d’Alan Parson ce qui conduit à l’album d’où est issue la référence « Music » où l’on sent bien la production musicale du groupe.

D’autres artistes auront ce même privilège d’avoir les musiciens d’Alan Parson’s Project, mais là où l’on ne s’attendait pas à voir le groupe c’est avec la musique du film « Ladyhawke » film de Richard Donner qui nous offrit plus tôt « Superman » puis plus tard « les Goonies », mais surtout la franchise « L’arme Fatale » parmi d’autres pépites cinématographiques.

C’est ce film qui va commencer à stariser Michelle Pfeiffer qui se trouve aux côtés du vétéran Rutger Hauer (Roy Batty dans Blade Runner) et de la jeune star montante Matthew Broderick qui vient tout juste de connaître le succès avec Wargames et qui sera par la suite la star du mythique « La folle journée de Ferris Bueller ».
Ce film médiéval est tout à fait approprié pour une musique telle que celle d’Alan Parson’s Project dont de nombreux morceaux sont résolument dans le style.
Composée par Andrew Powell, l’arrangeur des parties orchestrales du groupe, la B.O. est une suite de pièces symphoniques et de parties plus actuelles avec des instruments comme des synthétiseurs et autres guitares.
Cette B.O. produite par Alan Parson sortie à l’époque en vinyle a été rééditée fin des années 90 avec de nombreux titres supplémentaires.
Mais tout récemment le label Intrada, spécialisé dans l’édition de bandes originales en version intégrale, a édité un double CD avec l’intégralité du score d’Andrew Powell, ce qui nous permet de découvrir un aspect d’Alan Parson’s Project peu connu, mais bienvenu.

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.