EMERSON LAKE AND PALMER : Fanfare 1970 – 1997 (Pledge Music)
A la fin des années 60 et surtout au début des années 70, le rock subit une mutation conséquente et plusieurs mouvements musicaux voient le jour.
Si le hard rock nait sous l’impulsion de groupes comme Led Zeppelin, Black Sabbath, Deep Purple ou encore Alice Cooper, un courant plus complexe s’installe avec un apport de musique classique et jazz aux bases du rock qui vient enrichir le son des morceaux qui en résultent. Le Rock progressif arrive avec quelques formations dont certaines deviennent vite emblématiques du genre. Initié par les expérimentations de Pink Floyd, le genre se développe et l’on entend alors des groupes comme King Crismson, Genesis, Yes ou encore Alan Parson’s Project en Angleterre, Guru Guru, Ash Ra Tempel, Wallenstein ou Tangerine Dream en Allemagne, Heldon, Lard Free ou encore Ange en France … et bien d’autres encore.
Parmi ce florilège de formations émerge un trio britannique qui va marquer ce genre avec une incroyable maîtrise des instruments et une remarquable manière d’aborder la musique en mélangeant le rock avec les fondamentaux de la musique classique tout en y insufflant une teinte jazzy par moments.
Cette fois-ci, je ne vais pas vous parler de B.O. Je vais vous parler de rock progressif et plus particulièrement de ce trio … à savoir Emerson Lake and Palmer, à l’occasion de la sortie hier du box « Fanfare 1970 – 1997 » regroupant leur discographie complète ainsi que plusieurs albums live inédits.
Depuis maintenant une petite dizaine d’années, l’industrie du disque connait une certaine renaissance notamment grâce au Record Store Day (ou Disquaire Day en France) que l’on a évoqué lors de l’émission d’avril dernier.
Si le vinyle revient en force, le CD n’est pas en reste.
On remarque que de nombreux artistes et groupes en profitent pour rééditer certains de leurs albums, les plus marquants pour la plupart, afin de réhabiliter leurs œuvres et pour certains de relancer leur carrière.
Ainsi on voit ressurgir les albums des Rolling Stones, des Beatles, de Mike Oldfield, de Pink Floyd, de Led Zeppelin et j’en passe.
Mais ces rééditions ne se contentent pas d’exister de manière toute simple.
Les labels et les artistes en profitent pour agrémenter ces nouvelles éditions de sessions alternatives, de concerts ou même d’inédits d’époque.
Parfois, ce sont des boxes Vinyles et CDs qui voient le jour avec de nombreux facsimilés de memorabilias afin de conquérir les collectionneurs.
L’exemple type étant ce que Pink Floyd a initié avec leurs fameuses boxes « Immersion » de trois des albums les plus emblématiques du groupe sans compter l’immense box de 27 disques (CD DVD Bluray et même quelques vinyles) reprenant leurs premières années et dont on vous en a parlé en août dernier.
Cette initiative influence alors d’autres noms et l’on voit surgir « Sgt Peppers » des Beatles dans ce même format et les albums de Led Zeppelin se retrouvent aussi affublés d’un box.
Par contre certains artistes se contentent d’éditions plus modestes tout en étant bien fournis.
Je citerai Mike Oldfield dont la discographie est en ce moment entièrement en cours de réédition avec de nombreux inédits et Lives de toutes sortes, que ce soit en audio ou en vidéo, mais également Art of Noise qui profite de ces rééditions pour y inclure les projets d’albums restés dans les cartons.
Quoi de plus normal alors de voir surgir un box d’Emerson Lake & Palmer regroupant tous leurs albums remastérisés en CD agrémentés de plusieurs autres avec des concerts jusqu’à lors complètement inédits, dont l’un est même pressé sur un triple vinyle. Ajoutez à çà un magnifique livre gavé de photos restées dans les tiroirs et vous obtenez un objet de collection hors norme comme seul le label Pledge Music sait le faire.
La musique d’ELP (c’est en général ainsi qu’on définit le trio) est un minutieux équilibre entre le rock et la musique classique avec parfois une influence jazz-rock. Cette patte, unique pour l’époque, va marquer le public et le groupe devient vite reconnu de par le monde.
Né en 1950 à Handsworth dans le West Midlands en Angleterre, Carl Frederick Kendall Palmer est un batteur et percussionniste qui débute dès l’âge de 14 ans dans le groupe Mecca dance Band pour la modique somme de 23 livres par semaine. L’année suivante il remplace Graham Smith au sein de King Bees mené par Richard King, formation qui devient très vite The Craig. Par la suite il se retrouve dans les studios pour amener son talent de batteur pour de nombreuses sessions, et on le retrouve sur les enregistrements de The Chants, Chris Farlowe’s Thunderbirds, produit par Mick Jagger où l’on retrouve également Jimmy Page, mais on l’entend également dans le mythique Crazy World of Arthur Brown où il remplace Drachen Theaker. C’est d’ailleurs avec le claviériste de ce groupe, Vincent Crane, que Carl Palmer fonde Atomic Rooster, dont le premier album connaît un petit succès mérité.
C’est à ce moment qu’il est contacté par Greg Lake et Keith Emerson pour former un trio dont l’ambition est de renouveler le rock en y apportant une touche classique et jazzy.
Pendant une première période faste d’où sont issus les légendaires « Pictures at an Exhibition », « Brain Salad Surgery » et « Tarkus », Carl Palmer se fait construire un système de batteries en acier inoxydable par la firme British Steel en utilisant chaque caisse d’un quart de pouce dans lesquels sont installés des systèmes de synthétiseurs. C’est la toute première batterie électronique au monde … l’ancêtre de la batterie MIDI. Il conçoit lui-même ce système révolutionnaire avec Robert Moog, ami de Keith Emerson et concepteur des synthétiseurs légendaires tels que le Mini Moog, ou le célébrissime Big Moog. Cette batterie hors norme peut être clairement entendue lors du solo sur le morceau « Toccata » dans l’album « Brain Salad Surgery ».
Quand le groupe se sépare pour des horizons différents Carl Palmer sort un album qui passe totalement inaperçu (Carl Palmer PM), mais rebondit très vite en croisant le chemin de Steve Howe et Geoff Downes du groupe Yes et John Wetton de King Crimson. Avec eux, il forme Asia en 1983.
En parallèle il joue sur « Under a Raging Moon », album solo de Roger Daltrey (The Who) sur lequel on retrouve entre autres Stewart Copeland du Groupe « The Police » ou Roger Taylor de Queen.
Carl retrouve Keith Emerson pour un temps avec « 3 of the power of 3 », ce qui conduit le trio d’ELP à revenir sporadiquement avec de nouveaux albums, mais surtout avec de nombreuses tournées live.
Gregory Stuart Lake, né à Poole dans le Dorset en Angleterre, apprend à jouer de la guitare à l’âge de 12 ans. En 1963 il commence dans un groupe Unit Four où il chante également. Il se retrouve par la suite dans Time Checks puis rejoint The Shames avec qui il sort un 45 tours en 1967 sur le label MGM records.
Il continue dans des formations éphémères comme Shy Limbs et the Gods, dont les membres formeront par la suite Uriah Heep.
Mais il est remarqué fin 1968 par un ami d’enfance, Robert Fripp en train de créer le groupe King Crismson. Ce dernier cherche un bassiste et un chanteur, et même si Greg Lake n’a jamais joué de la basse, il accepte et rejoint alors cette formation en participant à l’enregistrement de l’album phare « In the Court of the Crimson King ». Pendant la tournée américaine, King Crimson donne des concerts aux côtés d’un autre groupe britannique, The Nice où un claviériste se fait remarquer, Keith Emerson. Pendant ces sessions lives, Greg Lake et Keith Emerson se paient le luxe d’improviser ensemble. Il en résulte une réflexion intéressante : la création d’un groupe avec pour ambition de mélanger le rock avec la musique classique chère à Emerson. Mais il leur faut un batteur, et ils pensent d’abord à Mitch Mitchell du Jimi Hendrix Experience, leur choix s’arrête sur l’incroyable batteur d’Atomic Rooster, Carl Palmer. Greg Lake se lance dans l’aventure d’Emerson Lake and Palmer non sans assurer le chant sur l’album « In the Wake of Poseidon » de King Crimson.
Après une première phase d’ELP chez Atlantic records, Greg Lake se lance en solo et connait un succès inattendu avec une chanson de noël en 1975 avec « I beleive in father Christmas » qui se hisse n° 2 du top des ventes britanniques. Lors de ses albums solos, il invite de nombreux musiciens tels que Gary Moore de Thin Lizzy par exemple. En 1983, il est contacté par Carl Palmer afin de remplacer brièvement John Wetton au sein d’Asia pour leur concert au Japon « Asia in Asia ». Quand Emerson et Lake veulent reprendre du service en relançant en 1986 le trio ELP, Palmer ne peut, pour des raisons de calendrier, les rejoindre. Il est alors remplacé par Cozy Powell. Un seul album verra le jour « Emerson Lake and Powell ». Mais le trio original revient par la suite pour plusieurs autres albums et tournées live. En 2001, Greg Lake participe à la tournée de Ringo Starr & his Starr Band et effectue une tournée acoustique avec Keith Emerson en 2010 qui donne lieu à l’album « Live from the Manticore Hall ».
C’est en 2016 que Greg Lake décède des suites un cancer, 9 mois après le suicide de son ami Keith Emerson.
Keith Emerson, né en 1944 à Todmorden dans le West Yorkshire en Angleterre a marqué le monde du rock par son incroyable virtuosité aux claviers et son jeu de scène théâtralement assez fou. Il apprend très tôt le piano et la musique classique et il découvre le son unique de l’orgue Hammond en entendant la chanson de Jack McDuff « Rock Candy ». Ce son le fascine à tel point qu’il acquiert son premier orgue Hammond L-100 à ses 15 ans. En 1963, il fonde son premier groupe Keith Emerson Trio qui édite un acétate de quatre exemplaires seulement … Celui-ci a été réédité en vinyle en 2015, disponible uniquement sur le site officiel d’Emerson … Il passe dans plusieurs formations comme John Broxn’s Bodies, Gary Farr & the T-Bones, The VIP’s (qui deviendra plus tard Spooky Tooth), et bien d’autres. Il apparaît sur le premier album de Rod Stewart (où l’on retrouve également Keith Richards et Ron Wood).
C’est au sein de T-Bones qu’il rencontre le bassiste Lee Jackson. Avec lui il fonde The Nice en accueillant David O’List et Ian Hague (remplacé ensuite par Brian Davison). Durant trois ans ils éditent 5 albums mêlant rock et musique classique au milieu de reprises de Bob Dylan.
Mais Keith Emerson se sent à l’étroit dans The Nice, ne pouvant alors faire ce qu’il aimerait. Il ambitionne de créer une musique où le rock et la musique classique se marieraient de manière beaucoup plus significative. Lors d’une tournée américaine, The Nice partage la scène avec King Crimson. Il y rencontre Greg Lake, bassiste et chanteur et excellent guitariste. Lors de concerts, ils se mettent à improviser ensemble et découvrent ainsi qu’ils se complètent très bien. Tous deux décident de créer une nouvelle formation en engageant le batteur et percussionniste Carl Palmer, lui-même en quête d’un nouveau chemin musical à emprunter. Lors de la séparation du trio en 1978, Keith Emerson entame une carrière solo des plus prolifiques. C’est d’abord vers la musique de film qu’il se tourne en signant son premier soundrack « Inferno » de Dario Argento, puis Nighthawks (Les Faucons de la nuit) mettant en vedette Sylvester Stallone, Billy Dee Williams et Rutger Hauer, « Murderock » de Lucio Fulci ou encore « La Chiesa » (Sanctuaire). En 1984 il sort son premier album studio « Honky » très très éloigné de ce qu’il faisait avec ELP. Avec Greg Lake et Cozy Powell il sort « Emerson Lake and Powell », mais la formation se sépare aussi vite qu’elle a été créée. Il continue dans sa carrière jonglant entre albums solos et musiques de films non sans avoir reformé The Nice en 2003 et même son propre groupe Keith Emerson Band.
En 2012 il sort l’album « The Three Fates Project » où l’on retrouve des versions orchestrales de « Endless Enigma », « Tarkus », « Abaddon’s Bolero » et « Fanfare for the Common Man ».
En 2016, Keith Emerson souffre d’une forte dépression suite au diagnostic d’une maladie dégénérative des nerfs, notamment sur sa main droite. Il ne peut se servir que de trois doigts seulement. Il se suicide en mars 2016, laissant derrière lui plusieurs pièces musicales mémorables.
Le trio Emerson Lake And Palmer signe de nombreux albums dont certains sont devenus mythiques pour nombres de personnes. L’album « Tarkus » fait partie des plus cités. Le succès immédiat permet au groupe de se produire dans le monde entier et de croiser nombre de personnalités. Parmi celles-ci, le peintre surréaliste suisse H.R. Giger vient amener une identité visuelle inédite. Il crée pour « Brain Salad Surgery » une série d’illustrations similaires et conçoit une pochette ouvrante sur le milieu, en prenant pour modèle le premier album d’Ash Ra Tempel. En ouvrant la pochette, on révèle alors une autre facette du visage qui apparaît déjà sur la couverture. D’autres déclinaisons viennent agrémenter l’insert dépliant où les visages des musiciens se trouvent masqués par ce même concept.
L’œuvre musicale d’Emerson Lake and Palmer est reconnaissable avec le son, mais surtout avec l’influence très prononcée de la musique classique. On y trouve de longues pièces instrumentales qui sonnent parfois comme une toccata ou une cantate. Les passages chantés s’insèrent, parfois comme des ballades, parfois comme de la variété, parfois comme du rock. On retrouve également des chansons ancrées dans la culture britannique avec par exemple « Jérusalem » qui fait l’ouverture de l’album « Brain Salad Surgery ». Les albums s’enchaînent et parfois certains finissent par devenir quelque peu pompeux. Mais l’ensemble de l’œuvre demeure une référence dans l’univers du rock progressif.
Avant leur première séparation en 1978. Le trio sort « The Works » dans lequel, les créations solos viennent montrer au public les différences musicales qui les caractérisent avant de terminer sur le phénoménal « Fanfare for the Common Man » l’une des pièces maîtresses du trio.
Cette pièce composée en 1942 par Aaron Copland est à l’origine une œuvre patriotique suite à l’attaque de Pearl Harbor par les Japonais et commandée par Eugene Gossens.
« Fanfare for the Common Man » est joué à tous les concerts d’ELP, démontrant ainsi la maîtrise hors norme de Keith Emerson qui livre sur scène une incroyable prestation, tant par son jeu que par ses acrobaties autour de ses claviers. Il joue devant, derrière ou sur les côtés de ses instruments voire même à l’envers.
Depuis maintenant quelques années de nombreuses rééditions de groupes emblématiques du rock fleurissent et l’on trouve alors des coffrets des Beatles, Led Zeppelin, Alan Parson’s Project et bien d’autres encore. Le label Pledge Music qui annonce la sortie d’un coffret luxueux sur un autre groupe légendaire the Who, décide alors avec Carl Palmer et les héritiers Lake & Emerson de sortir un coffret réunissant l’intégralité de la discographie du trio. Mais non content de rééditer les albums qui ont fait la légende d’ELP, le label agrémente le tout d’albums live inédits sur 5 CDs, mais également un autre concert inédit de 1973 en triple vinyle sans oublier un Bluray contenant les mixes 5.1 de certains albums emblématiques des 70’s. C’est avec de nombreuses photos restées dans les tiroirs qu’un livre est également présenté dans le box ainsi que quelques goodies.
Lors des précommandes, certains acheteurs pouvaient opter pour un bundle qui contenait des tests press vinyles. Les premières précommandes passées avaient droit à un CD bonus avec les versions démo de l’album « black Moon ».
Ce coffret sorti hier est un must have pour tout amateur de rock progressif.
Quand on écoute un morceau comme « Fanfare for the Common Man », on voit que Keith Emerson est un claviériste hors norme avec une virtuosité unique que peu atteignent. Si l’on se réfère à d’autres compositeurs officiants dans le même courant musical, on ne peut s’empêcher de penser à Rick Wakeman de Yes.
Lors de ses aventures en solo, Keith Emerson a tout d’abord officié en tant que compositeur de musiques de films. Il débute avec « Inferno » de Dario Argento et continue sur sa lancée avec des B.O. comme « Sanctuaire », « Murderock » ou encore « Nighthawks ». Ces différents travaux vont le conduire à être contacté pour écrire une B.O. d’un film d’animation japonais « Harmageddon » réalisé par le légendaire Rin Taro des studios Mad House et scénarisé par le non moins mythique Katsuhiro Otomo. Keith Emerson signe ici une musique où son style très musique classique s’impose.
Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.
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