BLADE RUNNER 2049 par Hans Zimmer / Benjamin Wallfisch (2CD – Epic Records)
Celle de « Blade Runner » par Vangelis est l’une des plus cultes de l’histoire des musiques de film tant par son ambiance sonore que par la difficulté à paraître en disque. Elle n’est d’ailleurs toujours éditée que partiellement seulement.
Mais je ne vais pas vous parler de la B.O. de « Blade Runner » de Vangelis, mais plutôt de celle du nouveau film « Blade Runner 2049 », film réalisé par Denis Villeneuve et dont le score est majoritairement signé Hans Zimmer avec quelques musiques additionnelles de Benjamin Wallfisch, l’un de ses collaborateurs.
En citant ces noms, je parle bien évidemment de VRAIE B.O. … à savoir des morceaux instrumentaux spécialement composés pour coller à l’image soutenant ainsi l’émotion, l’action ou la contemplation.
De nombreux compositeurs ont fait carrière dans ce genre et Hans Zimmer fait maintenant partie des valeurs sures depuis environ trente ans.
Toute production cinématographique et télévisuelle demande une ambiance sonore et la musique a une importance capitale. Certains films sont inoubliables de par la musique qui lui en donne une identité unique. Que ce soit avec une orchestration somptueuse comme pour la saga « Star Wars » de John Williams ou l’incontournable « Conan the Barbarian » de Basil Poledouris, électronique comme pour les films de John Carpenter dont il compose les B.O. ou les scores de Tangerine Dream comme l’incroyable « La Forteresse Noire », funk dont les films de Blaxploitaion en sont les dignes représentants, ou encore teinté musique de monde comme la B.O. d’Akira que l’on a chroniquée la semaine dernière, l’ambiance musicale d’une bande originale peut parfois faire partie de la légende d’un film.
C’est le cas de « Blade Runner » dont la musique électronique de Vangelis ne fait pas seulement qu’illustrer les images du film. Elle en sublime l’ambiance futuriste globale du chef œuvre de Ridley Scott.
Quand Ridley Scott se lance dans l’adaptation de « Les Androïdes rêvent-ils de Moutons Electriques ? » de Philip K. Dick, il est conscient de l’ampleur du projet. Il fait appel à des pointures pour la réalisation. La récente oscarisation du compositeur grec Vangelis Papathanassiou pour « Les Chariots de Feu » va attirer l’attention du réalisateur qui l’engage sur le champ. Il en résulte une musique unique qui reste encore à ce jour comme l’une des plus cultes de l’histoire.
Pour le nouveau volet de « Blade Runner », Ridley Scott cède sa place de réalisateur au québécois Denis Villeneuve, mais demeure l’un des producteurs. Le cinéaste fait appel à l’islandais Jóhann Jóhannsson avec qui il travailla sur « Prisoners », « Sicario » ou encore « Arrival » (premier contact). Le compositeur se met au travail et tout au long du processus, la production demande à Hans Zimmer de signer quelques musiques additionnelles. Mais le score que livre Jóhannsson ne correspond pas vraiment à ce que Denis Villeneuve attend. En effet, là où le réalisateur veut une musique qui reste dans le ton du premier film avec des sons vangelisiens, le musicien livre une musique plutôt éloignée de ce cahier des charges. La production va alors rejeter cette version et engage alors Hans Zimmer comme compositeur principal. Celui-ci fait néanmoins appel à Benjamin Wallfisch, l’un de ses collaborateurs au sein des productions Remote Control dont il est le patron. Ensemble ils vont alors travailler avec comme ligne directrice un style « Vangelis ». C’est la deuxième fois cette année qu’un tel revirement pour l’élaboration d’une B.O. arrive et c’est également vers Hans Zimmer et son équipe de Remote Control que l’on se tourne. La coïncidence voudra que les deux films soient d’Anticipation avec des mégalopoles qui se ressemblent énormément.
Hans Florian Zimmer, né en 1957 à Francfort en Allemagne est connu pour nombre de B.O. de film depuis « Black Rain » jusqu’à « Inception » en passant par « Le Roi Lion », « Dark Knight » ou « Gladiator » parmi tant d’autres pépites musicofilmiques.
Il se met à étudier le piano dès trois ans, mais l’expérience ne dure que deux semaines. Il apprend alors la musique en autodidacte sans passer par le solfège. La mort de son père va conduire alors l’enfant à se plonger beaucoup plus dans la musique, devenue alors une sorte de refuge émotionnel. En 1971, il quitte l’Allemagne avec sa mère pour se retrouver en Angleterre. Il s’intéresse de plus en plus à la musique électronique alors naissante. Il suit la carrière de Tangerine Dream, eux-mêmes allemands, ainsi que de John Carpenter dont il admire l’ambiance angoissante dans certains de ses films. Hans est l’un des premiers à faire de la musique avec le tout nouveau synthétiseur polyphonique. Il faut savoir que les synthétiseurs analogiques à l’époque étaient monophoniques et donc ne pouvaient générer qu’une seule note à la fois, ce qui interdisait de faire des accords. Le système polyphonique a été créé spécialement justement pour pallier ce défaut et ainsi on pouvait alors générer plusieurs notes en même temps (jusqu’à 4 à 8 en fait).
En 1980, Hans Zimmer rencontre Stanley Myers, compositeur de musique de films, dont il devient l’assistant. Il apprend l’art difficile de faire de la musique pour illustrer des images. Parallèlement il travaille sur l’album « Oil & Gold » du groupe anglais « Shriekback » en tant que programmeur des synthés, mais également an tant qu’ingénieur du son tout en jouant de la basse. Certains morceaux apparaissent dans le film de Michael Mann « Manhunter » (le sixième sens).
Il commence sa carrière de compositeur de B.O. avec plusieurs films dont « My Beautiful Laundrette » de Stephen Frears avec qui il collabore plusieurs fois. Il produit la musique du film « Le Dernier Empereur » signée par Cong Su, David Byrne et Ryuichi Sakamoto. Son travail sur « Un monde à part » de Chris Menges attire l’attention de Barry Levinson qui l’engage pour le score de son prochain film « Rain Man » avec Dustin Hoffman et Tom Cruise. Hans Zimmer quitte l’Angleterre pour les USA, et il livre pour « Rain Man » une musique qui va rester dans toutes les mémoires et qui sera en 1989 nominée aux Oscars.
Ce succès mérité incite Hans Zimmer à s’installer définitivement à Los Angeles.
Avec son ami Jay Rifkin il crée à Santa Monica un studio qui va révolutionner les méthodes de composition des musiques de films Media Ventures. Avec ce projet ambitieux, il veut mettre à disposition des jeunes compositeurs un matériel haut de gamme et ainsi leur donner leur chance comme Barry Levinson lui a offerte avec « Rain Man ».
Dès lors, c’est l’ascension. Hans Zimmer est sollicité pour de nombreux films et son nom est associé à des titres comme « Miss Daisy et son Chauffeur ». Il s’essaie au film d’action avec « Black Rain », « Jours de Tonnerre » ou « Backdraft ». En 16 jours on lui demande de réécrire la musique de « Croc Blanc », remplaçant au pied levé Basil Poledouris. Sa réputation grandit et il se voit alors confier la B.O. du « Roi Lion » qui lui permet de décrocher non seulement un Grammy Awards (vitoire de la musique US), mais surtout un Oscar.
En 1995 il compose la musique de « USS Alabama » qu’il marquera de sa patte avec le mélange de sons électroniques, d’orchestre et une impressionnante utilisation de chœurs. De nombreux autres travaux s’enchaînent parmi lesquels on retiendra « Gladiator » qu’il écrit avec Lisa Gerrard, chanteuse de Dead Can Dance, dont la voix particulière se marie parfaitement à la musique de Zimmer.
Sa notoriété est telle qu’il se permet lors de la première Parisienne du film d’animation « Spirit, l’étalon des plaines » de jouer toute la partition en direct pendant la projection du film en compagnie de Bryan Adams qui en signe les chansons.
Il fonde par la suite Remote Control Production, un gigantesque complexe entièrement dédié à l’enregistrement de musique de films. De nombreux studios, plusieurs salles spécialement étudiées pour les orchestres une impressionnante collection de synthétiseurs de toutes époques et un matériel de pointe pour l’enregistrement font de Remote Control, le centre névralgique mondial de la musique de films. Une sorte d’Abbey Road du Soundtrack. De nombreux jeunes compositeurs entrent dans ce « temple » de la B.O. et ainsi des noms comme Junkie XL, Harry et Rupert Gregson-Williams, Henry Jackman, Steve Jablonsky, Lorne Balfe (je vous en ai parlé avec la B.O. de Ghost in the Shell), Benjamin Wallfisch. On y trouve des compositeurs chevronnés comme Klaus Badelt, James Newton Howard, Lisa Gerrard, John Powell, Trevor Rabin (du groupe Yes) ou encore Marc Mancina.
Quand les jeunes travaillent sur des compositions, Hans Zimmer les seconde en y mettant sa patte reconnaissable.
Avec Remote Control Productions, il est en mesure avec son écurie de musiciens de répondre à tous les défis possibles et imaginables. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé cette année par deux fois. Quand Clint Mansell a été débouté du film « Ghost in the Shell », c’est Lorne Balfe qui signe en un temps record la B.O. que je vous ai rapidement chroniquée il y a quelques semaines. Puis Denis Villenauve fait appel à lui pour signer la musique de « Blade Runner 2049 ».
La carrière de Hans Zimmer est telle qu’il est récompensé de nombreuses fois aux Oscars, Grammy Awards et Golden Globe et son nom se retrouvent alors sur les plus grands blockbusters comme la trilogie des « Pirates des Caraïbes » de « Interstellar » de « Inception » de « Sherlock Holmes », de « Batman Begins » de « Man of Steel » et « Batman Vs Superman ». Son est une référence dans l’univers de la musique de film et récemment le site « Masterclass » a posté une vidéo sur les méthodes de composition de B.O. avec comme professeur Hans Zimmer. Cette vidéo, très intéressante, nous montre alors les choses à faire, mais également à ne pas faire.
Né en 1979 en Angleterre, Benjamin Wallfisch est un tout jeunot dans le métier de la musique de film.
Il étudie le piano dès l’âge de 5 ans et il commence à composer et à diriger des orchestres à 14 ans (chose rare). Il dirige le London Symphonic Orchestra, le BBC Symphony Orchestra, le Philharmonia Orchestra ainsi que le University of Machester. En 200 il sort major de sa promo de l’université musicale avec les Honneurs de première classe ainsi que le Proctor-Gregg Award. Il dirige de très nombreux orchestres un peu partout dans le monde dans les salles de concert les plus prestigieuses.
Il commence sa carrière de compositeur de musique de films avec « Dear Wendy » pour laquelle il sera nominé pour la révélation de l’année au World Soundtrack 2005. Il est nominé aux Ivo Novello Awards pour le score de « The Escapist ». Ces deux performances attirent l’attention de Hans Zimmer qui l’accueille dans son antre de Remote Control.
Dès lors, Benjamin Wallfisch se distingue sur des titres comme « Hours », « Auchwitz », Hiden Figures » ainsi que les touts récents « Annabelle, Creation » et « It ».
Ces deux musiciens de talents vont alors travailler ensemble pour remplacer au pied levé Jóhann Jóhannsson pour la musique de « Blade Runner 2049 »
Alors je ne vais pas vous parler du film, car je risque de vous spolier outrageusement.
Mais on peut néanmoins dire que le film de Denis Villeneuve a réussi le difficile pari de faire une suite qui ne soit pas une copie du film original. On y retrouve évidemment tous les ingrédients avec le décor de la mégalopole de Los Angeles et bien sûr les réplicants et les Blade Runner, mais le scénario est un véritable prolongement de l’histoire filmée il y a 35 ans. C’est une véritable quête d’identité qui est le point le plus important et les connexions avec les événements du premier film sont nombreuses et indispensables. Il est conseillé de revoir « Blade Runner » avant de voir « Blade Runner 2049. La prestation de Ryan Goslin est excellente, la présence d’Harrison Ford est impériale.
Avec un tel monument cinématographique, Denis Villeneuve ne devait pas se tromper pour la direction à prendre concernant l’ambiance musicale. C’est pourquoi le score que lui remet Jóhann Jóhannsson est rejeté, car le compositeur islandais s’était éloigné des sons très vangélisiens qu’exigeait une telle production. Heureusement Hans Zimmer qui signait une ou deux musiques additionnelles avait convaincu de par sa maîtrise des synthétiseurs et il est alors choisi pour écrire la totalité du score. Avec Benjamin Wallfisch, l’un de ses protégés il livre une musique qui est un véritable double hommage. Tout d’abord pour le film « Blade Runner », mais surtout pour Vangelis.
En utilisant des sons très proches de ceux que le musicien grec avait lui-même utilisés, le duo Zimmer-Wallfisch bâtit un véritable univers sonore. Si de nombreux passages sont surtout très atmosphériques et ambiants, on trouve plusieurs passages musicaux où les nappes éthérées sont survolées par des notes étirées parfois à l’infini d’un son de cuivre qui rappelle beaucoup le Yamaha CS 80 cher à Vangelis.
L’ouverture de « Blade Runner 2049 » est similaire à celle de son modèle avec la lourde frappe d’un très grand tambour qui introduit quelques petites notes de piano et des envolées légères pour enchaîner avec un thème assez court et minimaliste. On retrouve aussi les quelques notes aériennes aiguës qui descendent lentement pour se perdre dans le lointain, ainsi que les quelques apparitions discrètes de piano qui semblent se frayer un chemin au milieu des sons tenus d’un ensemble à cordes électroniques. Bref tous les ingrédients qui font l’identité sonore et musicale de « Blade Runner ». Les rares parties plus nerveuses sont quant à elles marquées d’un rythme de percussions et non d’une séquence électronique ce qui donne alors une nouvelle identité sonore à la musique comme aussi la présence de vocalises de chants de moines tibétains qui apparaissent ponctuellement. On notera la réutilisation du morceau « Tears in Rain » de Vangelis qui clôt le film avec la même émotion que dans le premier opus.
Ce qui faisait l’étrangeté de la B.O. originale de « Blade Runner » en 1982, c’était l’effet de réverbération appliqué de telle sorte que l’on avait l’impression d’être dans un monde complètement irréel. Hans Zimmer, ayant parfaitement compris cela, n’hésite pas à appliquer ce même effet.
En 1982, l’impressionnante musique de Vangelis pour « Blade Runner » n’est pas éditée. Il y a plusieurs raisons à cela. Le musicien grec a tendance à sortir un album avec les musiques complètement rejouées voire même avec des musiques qui n’ont rien à voir avec le film. L’album des « Chariots de Feu » en est l’exemple type. Warner voulant sortir néanmoins le score de leur blockbuster doit alors se résoudre à la réenregistrer avec un orchestre. Il faut attendre 1992 pour voir un album officiel sortir, suite à l’apparition d’un CD pirate qui fait trembler les producteurs. Mais l’album que livre Vangelis déçoit de par le peu de présence des musiques du film. « Blade Runner » est encore à ce jour un B.O. qui n’est que partiellement éditée malgré le triple CD anniversaire sorti il y 10 ans. Seuls des albums pirates sortis çà et là permettent de reconstituer la B.O. complète.
Mais il ne faudra pas attendre 35 ans pour voir la sortie officielle du score de « Blade Runner 2049 », car le label Epic Records a annoncé l’édition d’un double CD pour le 27 octobre prochain. Prévu pour être une édition limitée à … 2049 exemplaires numérotés, l’album est très vite épuisé de par les précommandes massives qui ont été effectuées. En trois jours le titre devient indisponible et les réactions ne tardent pas à envahir Internet. Alors le label décide de faire une deuxième édition limitée elle aussi à 2049 exemplaires numérotés avec une couverture différente afin de ne pas confondre les deux sorties. Nous noterons la présence des chansons de Frank Sinatra ainsi que celles d’Elvis Presley dont on peut entendre quelques mesures dans le film.
Ceux qui ont fait la précommande ont reçu hier matin un lien de téléchargement afin de pouvoir se délecter en avant-première de la musique de « Blade Runner 2049 ».
De plus pour les impatients qui préfèrent une version dématérialisée, la B.O. est également disponible depuis hier sur les plateformes légales de téléchargement.
À l’écoute cette B.O. on peut constater que Hans Zimmer et Benjamin Wallfisch ont assez bien respecté le cahier des charges avec un son relativement proche de celui de Vangelis. Le style même de la composition s’en inspire profondément comme l’exigeait Denis Villeneuve, le réalisateur de « Blade Runner 2049 ».
Hans Zimmer s’en sort remarquablement avec ce défi. Son expérience y est pour beaucoup, il faut bien le reconnaître. Je vous ai parlé tout à l’heure de sa carrière prolifique et styliquement très variée, mais je vous ai volontairement caché quelque chose. Si Hans Zimmer a, sur un album, travaillé avec le groupe anglais Shriekback, ce n’était pas sa première incursion dans l’univers pop rock, car on le retrouve là ou ne s’attendait pas à le voir, à la fin des années 70 sur le célébrissime « Video Killed the Radio Star » du groupe britannique The Buggles. Ce groupe mené par Trevor Horn qui créera par la suite le label ZTT en même temps qu’un groupe électro-expérimental The Art Of Noise, dont je vous avais fait la chronique de la ressortie deluxe de l’album « In Visible Silence ».
À l’époque de ce tube, Hans Zimmer intègre le groupe The Buggles de manière occasionnelle pour des parties de synthétiseurs, car il en possède de nombreux à ce moment, notamment l’un des mythiques modulaires Big MOOG.
Ses instruments vont alors contribuer à certaines sonorités du groupe. Pour le clip officiel, c’est un tout jeune Hans Zimmer qui apparaît vers la fin derrière un clavier et devant ses légendaires modulaires. Je vous invite à le visionner, car il est sur YouTube.
Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.
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