l y a des musiques qui restent dans les mémoires. Il y a des bandes originales qui deviennent inoubliables.
Et s’il y en a une que l’on est pas prêt d’oublier c’est bien celle du film d’animation « Akira » tant elle est unique de par les sons utilisés et les instruments que nous autres occidentaux ne connaissons pas … pour la plupart évidemment.
On va donc se focaliser sur la musique d’ « Akira », film majeur de l’animation japonaise réalisé par Katsuhiro Otomo, qui a d’ailleurs créé le manga original. La B.O. signée Geinoh Yamashirogumi aux arrangements mêlant instruments traditionnels, chœurs vocaux et synthétiseurs installe une ambiance très particulière qui donne au film une identité à part.

Mais ATTENTION !! Je parle ici de VRAIE bande originale. En effet, il y a depuis maintenant plus de 20 ans un phénomène regrettable qui s’est installé dans l’inconscient collectif. À cause de grosses majors et de gros studios, mais également de gros distributeurs (FNAC en tête), les bandes originales sont pour beaucoup des compilations de chansons qui apparaissent quelques secondes dans un film ou tout simplement en tant que générique de fin.

Ce matraquage commercial a pour effet de tuer à petit feu le véritable marché de la B.O. dont de nombreuses pépites ne demandent qu’à émerger.
La B.O., la VRAIE est une suite de morceaux instrumentaux spécialement composée pour coller à l’image soutenant ainsi l’émotion, l’action ou la contemplation.
Il y a de nombreux compositeurs qui se sont taillé une réputation et construit une carrière dans ce genre musical.

Devons-nous citer Jerry Goldsmith, James Horner, Hans Zimmer, Alexandre Desplat ou encore Ennio Morricone, John Williams ? (et j’en passe …).
Toute production cinématographique et télévisuelle exige une ambiance sonore et la musique a une importance capitale.
C’est tout aussi valable pour les films d’animation qui demandent une identité sonore tout aussi somptueuse que les films live.
En effet, un film de ce genre ne peut pas se retrouver avec une musique bâclée sous prétexte qu’il s’agisse d’un dessin animé.
Quand Walt Disney met en chantier le premier long métrage de son studio à savoir « Blanche Neige », Il met la barre haute au niveau de l’animation, mais également avec le son, notamment avec la musique qu’il confie à Leigh Harline qui signa une centaine de B.O. dont « Torpilles sous les tropiques » et Paul J. Smith que l’on retrouve dans de nombreux autre soundtracks comme « Vingt mille Lieues sous les mers » par exemple. Avec ce choix, Walt Disney montre alors à la profession que le dessin animé de long métrage est un film à part entière qui demande autant de travail pour la musique qu’un film traditionnel.

Au Japon cette méthode est appliquée dès les débuts, et on trouve des compositeurs chevronnés dont certains en font même une carrière. On note alors des noms comme Shunsuke Kikuchi (Goldorak, Dragon Ball), Seiji Yokoyama (Albator, Saint Seiya), Yûji Ohno (Capitaine Flam, Lupin III) ou encore Kentaro Harada (Cobra).
Pour certains longs métrages, les producteurs font parfois appel à des compositeurs qui ne se sont jamais essayés à cet exercice. Ainsi Isao Tomita signe la B.O. de deux films de « Hino Tori » (l’oiseau de feu), on fait appel au célèbre Ryuichi Sakamoto (Furyo, Le dernier Emprereur, The Revenant) pour faire la musique des « Ailes de Honneamise », Leiji Matsumoto (le papa d’Albator) demande Kitaro (Silk Road, Entre Ciel et Terre Golden Globe pour celui-ci) de composer la musique du film « Queen Millenia » (Princesse Millenium) et c’est la star internationale Keith Emerson (the Nice, Emerson Lake & Palmer) qui livre une B.O. pour « Harmageddon » de Rin Tarô (écrit par Otomo).

Ces exemples montrent qu’au Japon on prend très au sérieux les productions de dessins animés et pas seulement avec l’animation en elle-même, mais également avec le son et de ce fait avec la musique.
Pour « Akira », Katsuhiro Otomo va faire faire le choix d’une musique assez risquée de par le style.

Alors je ne vais pas vous parler du film, car ce n’est pas le sujet, mais on peut évoquer toutefois que dans un futur proche, dans la mégalopole de Neo Tokyo, Kaneda, le chef d’une bande de motards délinquants va se retrouver mêlé à une révolte contre le gouvernement qui cache, via un projet secret, une expérience destinée à créer des armes vivantes avec des enfants doués de pouvoirs psychiques destructeurs et dont la croissance a été stoppée. Testuo, l’un des jeunes motards va commencer à développer ces mêmes pouvoirs et sa jalousie envers son ami Kaneda va l’amener à basculer dans une folie meurtrière qui peut conduire à la destruction de Neo Tokyo, comme ce fut le cas trente ans auparavant par l’un des enfants cobayes le plus dangereux … Akira.
Quand Katsuhiro Otomo décide d’adapter au cinéma son propre manga, il réalise que les films d’animation produits maintenant sont de très grande qualité. Il ambitionne de faire alors une œuvre majeure dans ce genre et mise gros sur l’animation … pari réussi pour 1988. Mais il est conscient que le son a son importance et il se doit là aussi de faire quelque chose de référence. Il fait mixer une piste stéréo … rarissime pour un film d’animation à cette époque. Mais il décide d’y plaquer une musique à l’ambiance unique. C’est en ayant écouté un album de Geinoh Yamashirogumi qui vient de sortir que le mangaka réalise qu’il a trouvé l’identité sonore qu’il lui fallait et contacte alors le leader Yamashiro Shôji pour l’engager dans cette aventure … choix qui s’avèrera judicieux par la suite.

Geinoh Yamashirogumi est un collectif musical japonais, fondé en 1974 par Yamashiro Shôji, regroupant des centaines de personnes de toutes les conditions sociales : journalistes, docteurs, ingénieurs, étudiants, hommes d’affaires, etc.
Yamashiro Shôji, de son vrai nom Tsutomu Ôhashi, né en 1933 est un artiste, mais également un scientifique. Il est le directeur du Yamashiro Institute of Science & Culture ainsi que le directeur de recherche de la Fondation pour l’avancement de la science internationale.

Il met en évidence l’importance des ultrasons dans la perception des instruments de musique en rappelant notamment que la troisième harmonique est primordiale pour l’impression de « chaleur » d’un cuivre ou d’un ensemble à cordes. Répertoriée sous le nom de « Hypersound Effects » (l’effet ultrason) cette démonstration est mondialement reconnue et met alors en évidence ce que certains appellent « le son froid du CD ». En effet Tsutomu Ôhashi démontre que le CD ne peut restituer les sons au-delà de 22.05 Khz à cause de la fréquence d’échantillonnage (44.1 Khz). Ces ultrasons manquants, des instruments comme des cuivres par exemple perdent alors tout « l’éclat » que l’on en attend.

C’est en tenant compte de sa démonstration que Tsutomu va composer et enregistrer ses musiques en signant sous le nom de Yamashiro Shôji avec la formation qu’il crée Geinoh Yamashirogumi.

Spécialisés dans les musiques du monde, les albums explorent alors divers continents en reprenant des chants traditionnels ou populaires. Pourtant le premier album « Osorezan » sorti en 1976 est un disque plus rock progressif teinté jazzy comme il en sort beaucoup au Japon à cette époque comme « Cosmos » de Yûji Ohno, « Ninpojin » de Far East Family Band ou encore « Go » de Stomu Yamash’ta (avec des stars occidentales comme Al Di Meola, Steve Winwood ou Klaus Schulze parmi d’autres). Le semi échec de cet album va conduire Geinoh Yamashirogumi vers le sentier des musiques du monde. Avec un chœur de près de cent personnes, la richesse sonore qui en résulte est également due à l’emploi des instruments traditionnels des divers pays et contient revisités.
En 1986, après 4 ans de silence, la formation revient.

Yamashiro Shôji décide à ce moment d’intégrer les synthétiseurs à sa musique. A cette époque ces machines subissent une évolution majeure avec l’arrivée de la synthèse numérique, mais surtout avec la standardisation d’un protocole de communication entre les instruments électroniques : l’interface MIDI qui existe pourtant depuis déjà plusieurs années et qui permet de synchroniser les synthés entre eux et ainsi que pouvoir jouer d’autres instruments en ayant alors un métronome fiable.

Autour du célèbre synthétiseur Roland D50, Yamashiro Shôji va composer une série de musiques profondément japonaise avec pourtant des sonorités plus continentales avec des instruments balinais et indonésiens.
Sort alors « Echophony Rinne ».
Le son particulier de cet album va séduire Katsuhiro Otomo qui cherche un son à part pour pister son film « Akira ». Shôji voit là l’opportunité, non seulement de faire une musique de film, mais d’amorcer une trilogie « Echophony » avec cette B.O. « Echophony Akira » puis en 1990 avec « Echophony Gaia ». Il livre au réalisateur plusieurs morceaux, tantôt électroniques, tantôt traditionnels, mais toujours très uniques. Quand le film sort, le label Invitation édite la musique du film en vinyle et également en CD (format que Shôji dénonce je vous le rappelle). Mais le titre original « Echophony Akira » n’est pas retenu par Otomo et le label. En effet il faut savoir qu’au Japon, l’édition de musique de film se fait avec des termes bien définis. La musique est, à cette époque, désignée comme BGM (Back Ground Music) ou alors Symphonic Suite. C’est ce dernier qui est choisi alors pour le titre.
La musique d’ « Akira » est sensiblement la même qu’ « Echophony Rinne » avec les mêmes instruments et les mêmes synthés utilisés. Composée sur des gammes indonésiennes telles que le Pelog ou le Slendro elle sonne différemment de tout ce que l’on connaît en occident, donnant ainsi une ambiance étrange à nos oreilles. L’emploi des chœurs uniques de la formation Geinoh Yamashirogumi nous emmène dans des contrées sonores inhabituelles pour les Occidentaux. Si les premiers morceaux sont très électroniques avec un rythme convenu, ils n’en sont pas moins hors des sentiers battus grâce aux percussions très particulières. D’autres morceaux électroniques plus aériens viennent pour illustrer les moments plus calmes du film. Ce sont par contre des pièces plus traditionnelles qui s’immiscent alors afin de rappeler au public que l’intrigue du film se passe au Japon. On trouve alors une longue suite de psalmodies nippones, une exploration zen au Shakuhachi ou encore une composition minimaliste au gamelan.
Et c’est justement le choix des instruments traditionnels qui fait de la B.O. quelque chose d’unique. Si l’on reconnait des instruments japonais, on se demande néanmoins ce que peuvent bien être certains autres.

Les moments de percussions qui rythment le thème de « Kaneda », mais aussi « Battle Against Crown » ne sont pas issus d’un synthétiseur, mais d’un instrument traditionnel indonésien appelé « Jegog ». Il est conçu un peu comme un vibraphone à la différence que ce sont des bambous de différentes tailles qui constituent l’instrument.
Le Jegog est u n instrument de la famille des gamellan originaire de Jembrana à l’ouest de Bali en Indonésie.
Le son est alors assez sourd au premier abord, mais peut paraître beaucoup plus clairs sur certaines hauteurs de notes. En effet pour les notes basses la tailles des bambous, posés alors à la verticale, est énorme et peut parfois atteindre 3 mètres de haut. Pour les notes plus élevées les bambous plus minces sont eux disposé à l’horizontale comme pour les xylophones et autres vibraphones. Le son très boisé est alors unique en son genre et fait de « Akira » une B.O. à part.

Les sonorités cristallines et métalliques sont, quant à elles issues d’un « Gamelan », à savoir un ensemble d’instruments à percussion dont le principal est une sorte de « Metallophone ».
Le Metallophone est un instrument à percussion où on utilise de petites massues de bois pour frapper des tuiles métalliques, pour le gamelan balinais, ou des cloches de tailles variables pour le gamelan javanais. C’est l’origine asiatique du vibraphone en occident. Cet apport métallique et cristallin, dû à l’utilisation de petits marteaux d’acier à la place de massues de bois, est utilisé pour les scènes avec Tetsuo.
Avec une variation sur la force de frappe, on obtient des sons aériens ou des événements plus soudains et brutaux.
Ce son à part est là aussi un atout pour l’originalité de la musique d’ « Akira ».

L’utilisation du Shakuhachi n’est pas anodine dans « Akira ». Ce son est typique du Japon, car cet instrument est omniprésent dans les musiques zen. Si le timbre même est évidemment celui d’une flute, il est légèrement différent de par le bois utilisé … le bambou. Le Shakuhachi est essentiellement droit, mais se retrouve avec des tailles très variées. C’est rare, mais il y en a qui peuvent atteindre 1 mètre afin d’obtenir un son très grave. La manière même de souffler est radicalement différente au Japon ce qui confère aux sonorités quelques choses de très unique ici aussi.
Utilisé lors des scènes d’illusions cet instrument couplé par moment aux synthétiseurs amène une ambiance aérienne et envolée, ce qui ajoute un plus au dépaysement musical qui caractérise la B.O. d’ « Akira ».

Le Taiko est un tambour là aussi de tailles différentes. On le trouve néanmoins assez souvent en grand format … et parfois en très grand. Certains d’entre eux ont un diamètre d’ 1,50 m. Le son obtenu est alors très grave et sourd. Mais il est couplé à d’autres taikos de taille plus modestes (environ 75 cm de diamètre) afin d’étoffer la palette de sons obtenus. Il est utilisé lors de nombreuses cérémonies religieuses ou officielles depuis toujours au Japon.
On peut découvrir des spectacles lors des tournées mondiales d’une célèbre formation musicale japonaise qui est spécialisée dans cet instrument « Kodô ».
Pour la B.O. d’ « Akira », le Taiko est surtout présent vers la fin du film qui sonne alors comme un requiem ce qui est le titre du morceau d’ailleurs.

C’est donc un ensemble complexe d’instruments traditionnels qui soutiennent alors les chœurs de Geinoh Yamashirogumi qui sur certaines compositions se retrouvent pourtant seuls, notamment lors du passage de la mutation brutale de Tetsuo ou lors du requiem. Yamashiro Shôji va jusqu’à faire marcher les chanteurs de la chorale qui se croisent les uns les autres afin qu’à l’enregistrement, les voix évoluent de droite à gauche de manière aléatoire.

Alors vous me direz « pourquoi parle-t-il d’une B.O. d’un film de 1988 ? ».
Et bien tout simplement parce que « Akira Symphonic Suite » vient d’être réédité le 29 septembre en CD, mais surtout en double vinyle pour la toute première fois. En effet, si en 1988, la B.O. était sortie en vinyle, elle ne contenait que quelques morceaux, car le format ne permettait pas de mettre toutes les compositions que Yamashiro Shôji avait livrées. Seul le CD d’époque contenait ces pièces.
Si en 2014, on a pu trouver des vinyles simples ou doubles de la B.O. d’ « Akira », il s’agit en fait de pirates dont le master utilisé n’est autre que le CD, hérésie totale puisque le son du CD est tronqué comme je l’ai expliqué plus haut.
Le vinyle qui vient de sortir a été fait dans les meilleures conditions. Et pour cause, le label qui nous l’offre ici n’est autre que Milan Records, label californien référence en musique de film comme leur collègue de Varèse sarabande.
Pour la réédition d’ « Akira Symphonic Suite » Milan Records réutilise le master original de l’époque pour presser de tout nouveaux disques avec alors les sons optimum y compris les ultrasons, chers à Tsutomu Ôhashi alias Yamashiro Shôji.
Le CD se voit doté d’un livret de 12 pages avec un long texte intéressant sur le monde musical et sonore de Geinoh Yamashirogumi, mais également un texte explicatif sur « L’Hypersound Effect » par Tsutomu Ôhashi lui-même expliquant ainsi que le CD ne restitue pas le son comme l’oreille humaine le perçoit.

« Akira » est l’œuvre majeure de Katsuhiro Otomo qui se développe sur six gros volumes. Quand il l’adapte au cinéma, il en résume l’essentiel.
Mais il a signé de nombreux titre en manga comme « Short Piece », « Fireball », « Dômu », « Roujin Z »,
Pour l’animation il est dans des projets comme « Robot Carnival », « Manie Manie » ou encore « Memories ». Il signe également le scénario de « Harmageddon ».
Mais peu de gens savent qu’il a fait une incursion dans le comics et notamment de super héros chez DC comics.
En effet, en 1996 l’éditeur américain continue son projet expérimental sur son personnage emblématique « Batman » avec un nouveau volume du concept « Batman Black & White » contenant des aventures inédites entièrement dessinées en noir et blanc. Si l’on trouve des pointures tels que Brian Boland Kevin Nowlan et bien d’autres encore, on trouve également quelques dessinateurs réputés non américains. Parmi eux figure donc Katsuhiro Otomo qui livre « The Third Mask » où l’on reconnait bien son style unique.

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.