JEAN-MICHEL JARRE : EQUINOXE INFINITY (Columbia Records)
Doit-on considérer l’année 2018 comme une année Jarre ? Ça se pourrait bien, car non content de fêter son soixante-dixième anniversaire, Jean-Michel Jarre commémore les cinquante d’une carrière bien remplie avec une compilation intéressante gavée d’inédits espérés par tant de fans, mais aussi les vingt ans de l’album culte « Equinoxe » avec une nouvel album « Equinoxe Infinity » qui ne se veut pas une suite mais plutôt une allégorie musicale autour des personnage qui peuplent la pochette légendaire. Donc après « Planet Jarre » en septembre dernier, le nouvel opus arrive pour apporter son lot de fraicheur sonore. Le « Jarre Nouveau » est arrivé, écoutons cette nouvelle cuvée.
Jean-Michel Jarre est l’une des personnalités de la musique électronique qui a marqué le grand public. Sans lui, le genre en serait peut-être resté pour une audience relativement restreinte. Avec lui, cette musique se démocratise en touchant donc le grand public grâce à des thèmes accrocheurs et des sons inhabituels pour le commun des auditeurs. Il amorce alors un genre qui aura son heure de gloire populaire dans le milieu des années soixante-dix, notamment grâce à la période disco qui a émulé le style.
Alors je ne vais pas vous refaire sa bio, il suffit de relire l’article qui lui est consacré pour en apprendre un maximum. On va néanmoins rappeler que JMJ est né à Lyon en 1948 et que son premier contact avec la musique se fait dès sa plus tendre enfance grâce notamment à Chet Baker et à deux membres de Contemporary Five dans la boite de jazz « Le Chat qui Pêche ». Il étudie le piano dès huit ans et entre au conservatoire pour y étudier les harmonies et autres contrepoints. S’il s’intéresse à la musique contemporaine, il joue de la guitare dans deux groupes de rock « Les Mystères IV » puis « Les Dusbins » (il apparaît d’ailleurs dans le film « les garçons et les filles »). Il entre au GRM (Groupe de Recherche Musicale), grâce à Pierre Schaeffer, où il effectue ses premières expérimentations. De là sortent des pièces contemporaines et notamment pour des ballets comme « AOR » ou encore « Dorian ». Il est sollicité pour la musique du film « Les Granges Brûlées » (avec Alain Delon et Simone Signoret) puis sort « Deserted Palace ». Afin de pouvoir vivre il compose et écrit des chansons pour nombres d’artistes comme Françoise Hardy, Gérard Lenormand, ou encore Patrick Juvet. Voulant continuer une carrière solo, il demande à Michel Geiss de lui expliquer le fonctionnement de certains synthétiseurs. En 1976 Sort « Oxygène » qui va marquer à jamais le milieu de la musique électronique. Avec des thèmes simples et accrocheurs, des séquences justement dosées et des sons étranges jamais entendus par le commun des mortels, Jean-Michel Jarre amène les synthétiseurs au Grand Public. La musique électronique est maintenant pour tous. Jean-Michel Jarre Connaît alors une ascension fulgurante avec les albums suivants, que ce soit « Equinoxe » ou « Les Champs Magnétiques ». Après un concert hors norme le 14 juillet 1979 sur la place de la Concorde, Jean-Michel Jarre devient le premier occidental à se produire en Chine Populaire. Il est aussi le premier musicien à taper du pied dans la fourmilière de l’industrie du disque en créant la polémique avec « Musiques pour Super Marchés », album pressé en un seul exemplaire et vendu aux enchères. Les choses s’accélèrent et albums et concerts s’enchaînent avec son lot d’évolutions sonores et styliques, suivant l’influence des collaborateurs qui le suivent tout au long de ce périple musical. Les concerts pharaoniques se succèdent et il n’est alors pas surprenant de voir le nom de Jarre pour la musique officielle de la Coupe du Monde de football en France en 1998. JMJ devient le compositeur aux multiples records, que ce soit dans les ventes de ses albums ou dans la démesure de ses concerts spectacles. A Partir des années 2000, une mutation s’opère et le son Jarre change. Si avec « Métamorphoses », JMJ s’essaie dans des chansons, il cherche d’autres horizons avec « Sessions 2000 » et « Geometry of Love » teinté Jazz, et tombe carrément dans la dance technoïde avec « Teo & Tea ». Après plusieurs années de silence, Jean-Michel Jarre revient avec « Electronica » conçu pour être entièrement collaboratif en invitant des artistes comme Vince Clark, John Carpenter, Yello, Hans Zimmer, Tangerine Dream, Moby, M83, Laurie Anderson, Gary Numan et quelques autres personnalités dont on se demande bien ce qu’elles peuvent bien faire là. Après avoir fêté le quarantenaire d’ « Oxygène » avec un troisième volet, Jean-Michel Jarre revient cette année avec « Equinoxe Infinity » après la compilation « Planet Jarre » que je vous ai chroniqué en septembre dernier.
Avec l’année 2018, Jean-Michel Jarre fête trois anniversaires. Tout d’abord le sien en soufflant soixante-dix bougies, puis celui du cinquantenaire de sa carrière et enfin les quarante ans de l’album culte « Equinoxe », suite plus aboutie d’ « Oxygène ». Mais là où nombre d’artistes se contentent de prolonger l’expérience quitte à s’auto-plagier ou même à s’auto-caricaturer, JMJ préfère extrapoler musicalement autour du concept de la pochette originale de Michel Granger. Depuis les années soixante-dix, Jarre a fait évoluer son style et ses sons … et donc par extension, sa musique. Composer de nouveau comme il y a quarante ans est devenu quelque peu hors de propos, surtout avec les styles et les variantes de musiques électroniques qui se sont créés entre temps. Donc exit les sons qui ont fait du disque original une pièce encore majeure dans le genre. Jean-Michel Jarre annonce clairement la couleur en préférant composer dans son style actuel. Lors de la présentation du projet en septembre dernier en Allemagne, il exprime sa volonté de ne pas faire une suite ou une séquelle à l’album original mais plutôt une sorte d’allégorie musicale autour des « Gardiens » (the Watchers), ces étranges personnages au visage géométrique uniforme qui scrutent l’horizon avec des jumelles. Avec ses nouveaux morceaux JMJ se posent des questions sur ces Gardiens et donnent des éléments de réponses tout en ayant quelques pensées philosophiques sur la planète, et de ce que l’on en fait. Dès les premières secondes, on se rend compte de cette volonté de se détacher du disque original. Ce sont des sons actuels qui prédominent, mais néanmoins ceux qui ont fait la « patte Jarre » dans les 70’s s’immiscent tout de même histoire de nous rappeler le sujet. Ce qui fait le nerf d’ « Equinoxe Infinity », c’est l’équilibre entre les parties séquencées et les parties calmes. Mais il y a quelque chose qui a tendance à surprendre. Avec des morceaux comme « Flying Totems », « Robots Don’t Cry » ou « Machines are Learning » les séquences s’installent avec notamment une ligne de basse qui marque le rythme et divers sons plus clairs qui enrichissent le tout. Quelques thèmes semblent apparaître de manière relativement timide mais donne une certaine cohérence aux compositions. Mais les mélodies accrocheuses qui faisaient la force de la musique de Jarre sont cruellement absentes. On n’en trouve que dans des parties plus calmes et parfois aériennes comme « All What you Leave Behind » et « Don’t Look Back ». On regrettera que « If the Wind Could Speak » soit aussi court car ce morceau construit ainsi n’a pas le temps de se développer, ce qui est dommage. Avec « The Opening », JMJ recycle l’une de ses dernières compositions en changeant certains sons et quelques mesures mais demeure l’un des extraits les plus marquants de ce disque. Là où on a tendance à difficilement suivre le musicien c’est avec un titre comme « Infinity » qui fait figure de pavé dans la mare, tant le style est éloigné du reste de l’album. Si ce morceau est assez joyeux, il n’en demeure pas moins très (voire trop) dance et technoïde cassant ainsi l’unité de l’album. Le final « Equinoxe Infinity » est un morceau qui promet beaucoup dès les premières minutes. Le climat s’installe lentement et les sons analogiques apparaissent petit à petit. Une séquence pointe à l’horizon puis une autre et une autre. Mais au moment où le morceau est véritablement installé et demande à être développé, tout se calme puis disparaît au loin de manière assez frustrante. Les deux morceaux assez progressifs et qui demandent du temps pour se créer s’en trouvent coupés dans leur évolution nous laissant alors perplexes. Pour ce qui est des sons utilisés, on se rend très vite compte que Jarre opte pour des sonorités actuelles afin de conquérir le public actuel mais installe quelques sons classiques afin de conserver ses fans de la première heure. On trouve les fameuses nappes phasées dans « The Watchers » et « Robots don’t Cry », ce qui nous permet de ressentir le style premier du compositeur. La présence d’un Mellotron n’est pas pour nous déplaire.
Avec ce nouvel opus essentiellement basé sur les personnages de la peinture de Michel Granger « Le Trac », Jean-Michel Jarre a l’idée de revoir le design de ces Gardiens. C’est Filip Hodas qui revisite ces personnages en en faisant des statues de pierre. Mais afin de marquer l’événement, JMJ décide d’avoir deux versions de la pochette. La première montre trois Gardiens de pierre au milieu d’un paysage de verdure où l’homme est complètement absent laissant la nature inaltéré. L’autre plus pessimiste est d’ailleurs plutôt post-apocalyptique avec des gardiens perdus dans des nuages rougeâtres de pollution avec un homme sans tête qui déambule au milieu de ce paysage de mort très fortement inspiré d’un visuel de « Blade Runner 2049 ». Avec ces deux versions, JMJ veut alerter sur l’influence néfaste de l’industrialisation ainsi que sur la fragilité de plus en plus précaire de la santé de notre planète. C’est donc avec deux pochettes que sort « Equinoxe Infinity ». On peut facilement choisir celle que l’on veut dans les bacs des disquaires. Mais si vous faîtes une commande en ligne, vous n’aurez pas le loisir du choix. La version envoyée est faite de manière aléatoire. Si vous voulez une version spécifique, vous avez une chance sur deux de l’avoir. Seul le distributeur néerlandais Groove Unlimited a eu l’intelligence de comprendre que les gens ont quand même le droit de choisir et propose alors les deux versions séparément. Sorti en CD et en vinyle « Equinoxe Infinity » se voit également en Box collector avec l’album original en prime en CD et en vinyle. Là aussi la version de pochette du nouvel opus est aléatoire. Le mieux étant alors d’acheter directement chez un disquaire excepté pour les collectionneurs qui prendront les deux versions quoi qu’il arrive. Pour ceux qui ont le box mais qui sont déçus de la pochette du CD, ils ne pourront même pas le remplacer en achetant l’autre version séparément car les designs sont incompatibles. Les CDs dans le box sont dans des pochettes de type mini LP et les disques sont sérigraphiés avec un design vinyle, alors qu’à l’unité ce sont des digipacks avec un picture CD.
Jean-Michel Jarre est connu du monde entier pour ses albums mais également pour ses concerts pharaoniques qui tiennent plus du spectacle que du concert proprement dit. Mais ce que l’on sait moins c’est la présence de sa musique dans des contextes plus médiatiques. S’il a signé deux musiques de films, on lui doit le générique de « Sport en Fête » en 1974 ainsi que de « Situation 82 » en … 1982. Sa musique a été utilisée nombre de fois dans des documentaires et autres reportages films hongkongais. On en utilise pour des génériques (« Zenith » sur Canal +). Alors il n’est pas étonnant qu’on fasse appel à lui pour le générique d’un épisode des émissions de Cousteau à savoir « Pallawan ». Pour cette émission Jarre compose un titre. Pour l’épisode en lui-même la production choisit alors d’utiliser sa musique issue d’albums variés. Mais là où on n’attend pas JMJ c’est par exemple avec l’habillage musical de la chaîne « Match TV » dans les années 2000. Cette chaîne finira par s’éteindre définitivement faute d’audience. Mais cette expérience de compositeur de jingles (avec Francis Rimbert) amènera Jean-Michel Jarre à créer les jingles que les téléspectateurs peuvent entendre régulièrement s’ils mettent le canal 27 de la TNT car il s’agit de l’habillage de « France Info TV ».
Comme quoi, le monde a beau âtre vaste, l’univers a beau être immense, TOUT SE RECOUPE !!!