Retour aux sources, puisque je vais de nouveau vous parler de B.O. et plus particulièrement de celle de « La dernière tentation du Christ ». Mais je ne vais pas vous parler du disque qui est sorti il y a presque 30 ans. Non, je vais vous parler du triple vinyle qui vient à peine de sortir dans les bacs des disquaires français bien que le disque soit disponible depuis juillet dernier.

Et bien que Peter Gabriel qui a composé cette musique soit surtout connu en tant que chanteur par le grand public, « Passion » (c’est le titre de l’album) n’est pas une compilation de chansons comme on a tendance à nous le faire croire depuis quelques décennies maintenant. Alors, je rappelle que … la B.O., la VRAIE est une suite de morceaux instrumentaux spécialement composée pour coller à l’image soutenant ainsi l’émotion, l’action ou la contemplation.

Toute production cinématographique et télévisuelle demande une ambiance sonore et la musique a une importance capitale. Dans les années 80, un phénomène s’installe chez les compositeurs de musique de film. Ce qui restait quelque peu marginal dans les 70’s, devient plus abondant la décennie suivante. La sophistication des synthétiseurs va permettre à certains musiciens d’émerger de l’ombre. Initié par le couple Louis et Bebe Barron, la musique électronique entre dans le panthéon de la B.O. en 1956 avec le score très « musique concrète » de « Forbidden Planet » (Planète Interdite). Dès lors le public découvre une nouvelle forme musicale avec des sons jusqu’à lors totalement inconnus. La musique électronique restait alors trop intellectualisée. Mais elle conquiert un plus large public grâce à un certain John Carpenter avec tout d’abord « Assault on Precinct 13 » (assaut), mais surtout avec un thème qui fait frémir à l’époque « Halloween ». C’est surtout avec « Chase » de « Midnight Express » que l’engouement du public va devenir mondial. D’autres noms alors se voit plébiscité et les années quatre-vingt vont amorcer une période faste et on découvre de nouveaux compositeurs comme Howard Shore (Videodrome), Ryuichi Sakamoto (Furyo), Vangelis (Les Chariots de Feu, Blade Runner), Harold Faltermeyer (Running Man, Tango & Cash, le Flic de Beverly Hills), Goblin (Suspiria, Phenomena, Zombi), Fabio Frizzi (L’au-delà, Frayeurs) et de nombreux autres encore. Parmi ce panel d’artistes, on trouve parfois des stars internationales qui n’ont pourtant peu (voire jamais) officié dans l’exercice de la bande originale. C’est le cas de Peter Gabriel, star internationale grâce à son tube planétaire « Sledgehammer » qui n’a composé qu’une seule autre musique de film avant « Passion » avec Birdy, magnifique soundtrack pour le poignant film d’Alan Parker. Ce travail remarquable avec les synthétiseurs et sa récente implication dans la production de musique du monde va conduire Peter Gabriel à composer la bande originale du film de Martin Scorcese « La dernière Tentation du Christ » film controversé à l’époque.

Peter Brian Gabriel, né en 1950 à Chobham dans le Surrey en Angleterre apprend très tôt le piano par sa mère issue d’une famille de musiciens. Il joue de la batterie dans deux groupes de rock The Spoken et The Millords au lycée de Charterhouse aux côtés de Mike Rutherford qui confiera plus tard que Peter était à cette époque un batteur plutôt frustré dans son rôle. C’est surement ce qui va le conduire à la création de Genesis avec Mike, mais également avec d’autres étudiants, Tony Banks (claviers) et Chris Stewart (batterie) et Anthony Phillips (Guitare). Peter Gabriel leader de cette formation écrit les morceaux et en est le chanteur. Le premier album « From Genesis to Revelation » en 1969 est un échec commercial notamment dû à un manque de communication. Le titre ayant une forte consonance biblique amène le disque à être classé dans la musique religieuse. Pourtant les chansons de Gabriel et Banks avec les arrangements orchestraux du producteur Jonathan King avaient tout pour conquérir le public, car fortement influencé par les Beatles et les Bee Gees très populaires à cette époque. Le groupe se sentant manipulé par Jonathan King décide de rompre le contrat et d’aller dans une direction qui leur est propre. King tentera par la suite de tirer un maximum de profit des seuls titres de Genesis dont il a les droits à travers de multiples rééditions.

Ayant alors plus de liberté, Genesis explore une nouvelle musique avec le rock progressif et les albums concepts. Les morceaux sont plus longs et plus recherchés tant sur les arrangements que sur le style variable que permet ce genre. Peter Gabriel comprend alors très tôt les immenses possibilités des synthétiseurs en observant son complice Tony Banks. En 1970 sort l’album « Trespass » qui rencontre un succès inattendu. Les concerts s’enchaînent, mais Anthony Phillips souffrant d’excès de trac lors des prestations live décide de quitter le groupe. Son remplaçant John Mayhew est très vite jugé de trope faible niveau pour les ambitions artistiques de Genesis se voit alors remercié très vite. L’arrivée de Phil Collins va amener le groupe dans une nouvelle ère. En répondant à une annonce dans le Melody Maker, Phil se présente et conquiert les autres membres par sa virtuosité de batteur, mais également par sa voix incomparable. Pour l’anecdote Phil Collins faisait quelques longueurs de piscine pendant que les autres candidats faisaient leur audition, se familiarisant ainsi avec les morceaux sur lesquels jouer. En se relaxant ainsi, il comprit très vite les ambitions de Genesis dans le rock progressif et sa prestation impressionnera alors les membres du groupe par sa technique. Avec une autre annonce dans le même magazine, Peter Gabriel reçoit alors Steve Hackett. Ced eux nouveaux musiciens apportent alors à Genesis un nouveau souffle et l’album « Nursery Cryme » en 1971 et surtout « Foxtrot » assoit le groupe dans le rock progressif notamment avec le morceau de 23 minutes « Supper’s Ready » considéré comme une ouvre emblématique dans ce genre particulier du rock. Lors des concerts, Peter Gabriel instaure un concept bien à part. Surfant sur l’idée initiée par David Bowie, il entre en scène vêtu de costumes exubérants et introduit chaque morceau par un monologue surréaliste. Cette mise en scène devient la marque de fabrique de Genesis. L’album « Selling England by the Pound » amène le groupe à percer aux États-Unis. C’est la consécration mondiale.

Après l’album concept et la tournée « The Lamb Lies Down on Broadway », Peter Gabriel quitte Genesis pour commencer une carrière solo. Sa présence envahissante proche de la mégalomanie provoquant de sérieuses et nombreuses dissensions ajoutées à de très gros problèmes personnels (sa fille à peine née a survécu par miracle) conduit Peter Gabriel à la porte de sortie. Gensis, alors repris par Mike Rutherford et surtout Phil Collins survit au départ de leur leader charismatique et connaît la carrière internationale que l’on lui sait. De son côté Peter Gabriel commence avec son premier album solo, fortement influencé par le style progressif électronique et les expérimentations de Robert Fripp. Sans titre, l’album est premier d’une série relativement autobiographique et produite par Bob Ezrin, producteur de génie (notamment de Pink Floyd) qui en plus a l’idée d’engager Hypgnosis pour le design de ces disques prévus en quatre volume « Peter Gabriel » simplement numérotés I, II, III, IV. C’est grâce à ce dernier album que le chanteur va commencer à être connu du grand public avec le titre « Shock the Monkey ». Mais la consécration mondiale vient en 1986 avec l’album « So » d’où est issu le cultissime « Sledgehammer » dont le clip a la particularité d’être entièrement tourné en animation image par image … y compris Garbiel lui-même.

Dès lors Peter Gabriel est une star internationale ce qui est confirmé lors de son duo avec Kate Bush. Les récompenses et autres prix affluent. Les albums s’enchaînent. C’est à ce moment que le réalisateur Alan Parker lui confie la composition de la bande originale de son nouveau film « Birdy ». Entre temps Peter Gabriel s’équipe avec l’incroyable sampleur Fairlight, mais également du Synclavier. Son amour pour la musique traditionnelle du monde le conduite à explorer de nouveaux sons. Constatant que la musique du monde est très peu distribuée dans le monde occidental, il fonde alors son propre label Real World afin de populariser cette musique très riche. En 1989, Peter Gabriel travaille sur une nouvelle musique de film. Martin Scorcese fait appel à lui pour son nouvel opus « La dernière tentation du Christ ». L’approche de Gabriel très orientale de cette B.O. va lui permettre de remporter son premier Grammy Award. Depuis Peter Gabriel se fait plus rare et ne sort que de ponctuels albums aussi riches en sons que variés styliquement. Son implication en tant que producteur (surtout pour la musique du monde) est telle que ses propres productions se font plus espacées. On note toutefois que d’autres B.O. lui sont confiée comme OVO en 2000 et « Long Walk Home » en 2002 pour le film « le chemin de la liberté ».

Alors je ne vais pas vous parler du film, mais il est de notoriété publique que le sujet a été sujet à controverses. Martin Scorcese montre dans son film un Christ en proie à divers doutes et tentations qu’il devait combattre, mettant en évidence le côté humain du personnage. À sa sortie, les communautés religieuses criant au scandale invitaient à boycotter ce sacrilège cinématographique. En France un groupe Intégriste catholique provoque un incendie dans le cinéma Espace Saint-Michel faisait plusieurs blessés. Le film a été interdit ou simplement censuré dans des pays comme la Turquie, le Mexique, le Chili, l’Irlande et l’Argentine. Il est à ce jour toujours interdit aux Philippines et à Singapour. Malgré cette controverse marquée, « La dernière tentation du Christ » est plusieurs fois nominé aux Oscars, Golden Globes et obtient le prix Bastone Bianco à la Mostra de Venise ainsi que le Grammy Award pour la musique.

Peter Gabriel signe pour « La dernière tentation du Christ » une musique électronique calme avec quelques rythmes et séquences avec discrétion. Les ambiances assez froides sont alors mises en valeur par l’apport de petits thèmes orientaux que des instruments traditionnels amènent. Ce sont surtout les percussions parfois lourdes qui rappellent le côté World Music de cette Bande originale. Les quelques instruments traditionnels qui s’invitent dépaysent un peu l’auditeur le plongeant alors dans le Moyen-Orient où se situe l’action du film.

Sorti en 1989 sous licence Real World, « Passion » se voit édité dans le monde entier en double vinyle et en CD grâce aux labels comme Geffen Records pour le marché américain et Virgin pour le reste du monde. C’est en juillet dernier que le label américain Caroline décide de le ressortir en vinyle dans un format assez inhabituel. C’est un triple album qui voit le jour. Ce qui tenait sur deux disques se voit étalé sur trois. En effet, Peter Gabriel et le Label misent sur la qualité du son et décident alors de graver ce nouvel album en … 45 tours, permettant ainsi de restituer les hautes fréquences de manières plus fines. C’est alors cinq faces qui s’offrent à nous, la sixième étant vierge.

Peter Gabriel s’est taillé une solide réputation dans le monde de la musique. Son travail pour promouvoir la musique du monde a permis de faire connaître de remarquables compositeurs jusqu’à lors inconnus. Ses chansons ont fait le tour du monde et ses quelque rares B.O. ont marqué le public ne serait-ce que par le film particulier qui ont fait coulé l’encre des journalistes. Sa musique est telle que de nombreux producteurs n’hésitent pas à la réutiliser. Ainsi quelques titres dans la série « Deux flics à Miami ». « Shock the Monkey » apparaît dans le film « Projet X », « I have the Touche dans « Chocolate War » ainsi que dans « Phénomène » (avec Travolta). Rares sont les musiciens qui sont autant utilisé dans des séries et des films.

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.