Si on plonge dans nos lointains souvenirs concernant certains dessins animés qui ont bercé nos jeunes années, on se surprend parfois à en fredonner la musique dans la tête tant celle-ci nous a marqués. Evidemment les chansons génériques sont les premières à nous revenir et on se rappelle alors « Goldorak », « Albator », « Capitaine Flam », « Cobra et j’en passe. Mais on se souvient aussi des musiques instrumentales qui fourmillent dans les épisodes et dont certains thèmes sont récurrents et deviennent mythiques. Qui ne souvient pas du thème de résumé de « Capitaine Flam » ou encore de la marche glaçante de la malédiction des dieux dans « Ulysse 31 » ? C’est ce phénomène qui fait de la musique des « Mystérieuses Cités d’Or » une B.O à part.
Car vous l’aurez compris, je vais encore vous parler de B.O., à savoir une suite de morceaux instrumentaux et non une compilation de chansons. Je ne vais pas revenir sur ce que je pense de ces dernières, je vous ai assez saoulés comme ça avec.

Toute production cinématographique et télévisuelle demande une ambiance sonore et la musique a une importance capitale.
C’est tout aussi valable pour les films d’animation qui demandent une ambiance tout aussi somptueuse que les films live.
En effet, un film de ce genre ne peut pas se retrouver avec une musique bâclée sous prétexte qu’il s’agit d’un dessin animé.
Dès les débuts du genre, on peut noter que les musiques de cartoons sont de vraies compositions qui collent à l’action. Il suffit de voir des pépites comme les « Looney Tunes », les « Tom & Jerry » et les « Tex Avery » pour comprendre que la musique a un rôle capital dans le dessin animé. Les premiers longs métrages de Walt Disney ne sont pas seulement des chefs d’œuvre de l’animation, ils sont aussi de véritables monuments symphoniques. Avec le tout premier film « Blanche Neige », la musique est élaborée comme une vraie B.O. de film. Là où la musique est sublimée dans un dessin animé, c’est avec la sortie de « Fantasia » qui met en valeur quelques grands classiques légendaires comme « La Toccata » de Johann Sebastian Bach ou encore « Casse-Noisette » de Tchaïkovski.
Par la suite les B.O. des Disney sont confiées à divers compositeurs tels que Leigh Harline qui signa une centaine de B.O. dont « Torpille sous les tropiques » et Paul J. Smith que l’on retrouve dans de nombreux autres soundtracks comme « Vingt mille Lieues sous les mers » par exemple. Avec ce choix, Walt Disney montre alors à la profession que le dessin animé de long métrage est un film à part entière qui demande autant de travail pour la musique qu’un film traditionnel.

Au Japon on prend au sérieux les films d’animation dès les débuts et on fait confiance à des compositeurs chevronnés dont certains en font même une carrière. On note alors des noms comme Shunsuke Kikuchi (« Goldorak », « Dragon Ball », « Winchester à Louer »), Seiji Yokoyama (« Albator », « Saint Seiya »), Yûji Ohno (« Capitaine Flam », « Lupin III ») ou encore Kentaro Harada (« Cobra »).
Pour certains longs métrages, les producteurs font parfois appel à des compositeurs qui ne se sont jamais essayés à cet exercice. Ainsi Isao Tomita (spécialisé dans la reprise de musique classique aux synthétiseurs) signe la B.O. de deux films de « Hino Tori » (l’oiseau de feu). On fait appel au célèbre Ryuichi Sakamoto (Ex Yellow Magic Orchestra qui signa « Furyo », « Le dernier Emprereur » et plus récemment « The Revenant ») pour faire la musique des « Ailes de Honneamise ». Leiji Matsumoto (le papa d’ « Albator ») demande à une autre star japonaise Kitaro (« Silk Road », « Entre Ciel et Terre » Golden Globe pour celui-ci) de composer la musique du film « Queen Millenia » (« Princesse Millenium ») et c’est la star internationale Keith Emerson (the Nice, Emerson Lake & Palmer) qui livre une B.O. pour « Harmageddon » de Rin Tarô (écrit par Katsuhiro Otomo).
Ces exemples montrent qu’au Japon on prend très au sérieux les productions de dessins animés et pas seulement avec l’animation en elle-même, mais également avec le son et de ce fait avec la musique.
Pour « Taiyō no ko Esteban » (« Les Mystérieruses Cités d’Or »), le français Jean Chalopin va faire faire le choix d’une musique convenue avec le compositeur Nobuyoshi Koshibe. Mais cette version restera au Japon.

Alors je ne vais pas vous parler du dessin animé lui-même. Rappelons seulement que c’est une coproduction Française et japonaise sous l’impulsion de Jean Chalopin qui créa également d’autres séries comme « Inspecteur Gadget », « les Minipouss », « Les Entrechats », « MASK », « Denis la Malice » et bien d’autres et tout le monde retiendra « Ulysse 31 » dont le projet de Parallax ambitionne de réenregistrer entièrement la B.O.
non je vais vous parler de la musique.

Alors quand la série a été mise en chantier, les Japonais ont donc décidé de faire confiance à Nobuyoshi Koshibe le compositeur de nombreux autres animés dont « Judo Boy » ou encore « Les Aventures d’Huckleberry Finn » par exemple.
Au départ la musique de Koshibe pour « Les Mystérieuses Cités d’Or » devait être utilisée pour l’exploitation mondiale de la série. Mais Bernard Deyriès qui réalise et coécrit le scénario se rappelle de ce que fut la musique d’ « Ulysse 31 » dont il était également l’un des superviseurs. Il se souvient notamment des morceaux électroniques signés par les musiciens producteurs Haim Saban et Shuki Levy, dont il est l’ami. Il impose donc que la musique du marché international soit entièrement différente et confiée au duo Saban/Levy.

Bien qu’israélien, Haim Saban voit le jour en 1944 à Alexandrie en Égypte où il y grandit jusqu’à ses 12 ans où il est contraint de fuir le pays des pharaons suite au conflit israélo-égyptien qui conduit à l’expulsion des juifs et la confiscation de tous leurs biens en 1956. Sa famille et lui s’installent dans le tout jeune pays d’Israël et notamment dans la capitale de Tel-Aviv.
En 1973, il commence sa carrière de producteur, mais se heurte à un cuisant échec. Il s’expatrie et s’installe en France où il retente sa chance en tant que producteur de disques et connaît le succès avec le générique de « Goldorak » qu’il produit. Il fait alors connaissance avec la toute jeune star de l’époque Noam Kaniel.
Haim Saban croise le chemin du compositeur Shuki Levy, qu’il connait depuis longtemps, et voit en lui quelqu’un avec qui créer un univers musical et un véritable empire. Ensemble ils arrivent à imposer leur vision de mettre des chansons aux génériques de séries TV américaines à la place des thèmes originaux. Ainsi « Starsky et Hutch » se voit dépossédé de son thème composé par Thomas W. Scott au profit de la devenue célèbre chanson du duo et chantée par Lionel Leroy qui va devenir le l’interprète attitré sur plusieurs autres génériques.

Né en 1947 à Tel-Aviv, Shuki Levy débute très tôt dans la musique avec son groupe Téléstar avec qui il se produit dans les night-clubs israéliens. Il tente sa chance en solo en Angleterre, mais subit lui aussi un échec cuisant qui le ramène en Israël où il fonde le groupe Chocolate avec Gabi Shushan. Tous deux rejoignent par la suite la célèbre comédie musicale « Hair ». Cette expérience fait comprendre à Shuki Levy qu’il n’est vraiment pas fait pour la scène et préfère alors se consacrer à composer et produire en studio.
Lors de sa participation à « Hair », il rencontre la chanteuse Aviva Paz. Il fonde avec elle le duo « Shuki et Aviva » qui connait alors le succès avec de plusieurs tubes comme « Signorina concertina » (1973), « Je t’aime un peu trop » (1975 Disque d’or – certifié Snep). C’est donc en France que les deux artistes connaissent le plus de succès avec leurs morceaux influencés par les traditions grecques et sud-américaines.
Le duo se sépare et Shuki Levy retrouve une vieille connaissance en la personne de Haim Saban. Tous deux fondent Saban Records à Paris et réussissent l’exploit d’imposer une chanson en lieu et place du thème original pour le générique de « Starsky et Hutch ».

Dès lors Haim Saban et Shuki Levy vont s’imposer sur les génériques de nombreuses autres séries comme « Wonder Woman », « Sheriff fait-moi peur », « Les quatre fantastiques » et éditent des disques de chansons inspirées de divers dessins animés comme « Spider-Man », « Mightor », « Goldorak » etc … toutes chantées par Noam.
En 1981, Saban/Levy croise le chemin de Bernard Deyriès superviseur d’une nouvelle série d’animation adaptant « l’Odyssée » d’Homère en une version futuriste « Ulysse 31 ». Si la B.O. est majoritairement signée Seiji Yokoyama, elle n’est pas retenue pour l’exploitation internationale et on confie alors la partition à Denny Crockett et Ike Egan. Haim Saban, alors finit par faire comprendre à Deyriès que la chanson anglaise n’est pas adaptée pour le marché français même si elle est traduite, et impose donc deux de leurs titres « Ulysse » et « Ulysse 31 ». Il va même jusqu’à convaincre le superviseur de leur confier une partie des musiques intérieures.
Ce succès va conduire le duo à composer des B.O. pour de nombreux autres dessins animés et séries comme « Les Entrechats », « Les Minipouss », « Bomber X », « Inspecteur Gadget », « Les Maîtres de l’Univers », « Mister T » et bien d’autres. Il continue à imposer des chansons pour les génériques de « L’homme qui tombe à pic », « Agence tout risque », « Punky Brewster », « Frank Buck chasseur de fauves », « Winchester à louer », « Buck Rogers au 25ème siècle » et j’en passe.
Les productions Saban sont alors à la tête d’un empire en créant aussi plusieurs séries avec « Les Chevaliers de Tir Na Nog », « Masked Rider » ou encore, et surtout, « Power Rangers » qui demeure encore à ce jour leur plus grand succès de production.

C’est donc ce duo qui est appelé pour signer la B.O. de la série animée « Les Mystérieuses Cités d’Or » en 1982.
Quand elle a été mise en chantier par Jean Chalopin avec Bernard Deyriès, c’est avec les studios japonais Pierrot et avec MK Productions. Cette collaboration conduit à engager le compositeur nippon Nobuyoshi Koshibe qui livre une musique orchestrale qui colle à l’image. Mais Bernard Deyriès ne voit pas cette musique pour le marché international et se souvient des thèmes électroniques présents dans leur précédente production « Ulysse 31 ». Il impose alors Haim Saban et Shuki Levy pour la musique internationale. Mais contrairement à « Ulysse 31 », le duo se voit confier l’intégralité de la partition, et non le générique seul. Jusqu’à lors, les musiciens producteurs n’avaient fourni que des génériques et leur unique expérience comme compositeur de B.O. se limitaient à une dizaine de morceaux pour Bomber X. Ils vont alors se lancer dans une toute nouvelle aventure. L’intrigue du dessin animé se situant en Amérique latine au temps des conquistadors et des Incas, la musique est alors fortement imprégnée de cette influence. On y trouve des flutes de type Quena ou encore des Flutes de Pan qui sont typiques de la culture précolombienne, des instruments à cordes là aussi issus de cette contrée lointaine. Mais la musique des « Cités d’Or » ne pouvait pas être basée uniquement là-dessus. Shuki Levy est avant tout un grand musicien travaillant essentiellement sur des synthétiseurs. Il compose alors une série de thèmes qui restent encore dans nos mémoires. Utilisant le tout dernier Yamaha DX7, premier synthétiseur à technique de synthèse FM, il crée une ambiance sonore alors inédite avec des sons nouveaux par exemple un violon assez particulier. D’autres morceaux sont plus électroniques avec par exemple une séquence de basse régulière qui est survolée par un thème étrange, ou une longue note tenue aérienne sur laquelle vient s’installer un motif léger et un bip qui se perd dans un écho, ou encore des thèmes plus expérimentaux et d’autres plus convenus. Toutes ces compositions vont s’enchaîner avec de temps en temps une influence précolombienne et parfois espagnole afin de donner l’ambiance nécessaire à certaines scènes. Quelques jingles plus comiques se font entendre ponctuellement afin de souligner les passages cocasses. Cet ensemble de morceaux (un peu plus de 80) va contribuer au succès de la série et les fans se souviennent non seulement du générique, mais également de la plupart des musiques instrumentales devenues alors légendaires.

Quand la série est diffusée à la télévision, il ne faut pas attendre longtemps pour voir débouler le 45 tours dans les bacs des disquaires. La chanson générique y figure ainsi que le thème de Zia que l’on entend à peine une ou deux fois dans la série. Mais on a la surprise de voir arriver un album dans la foulée. Mais alors on se souvient de la malheureuse déconvenue que l’on a tous eue quand le 33 tours d’ « Ulysse 31 » était paru. En effet, celui-ci était gavé de chansons qui n’avaient rien à voir avec la série et une face était entièrement remplie de la bande-son d’un épisode. Même le deuxième vinyle est décevant, car si l’on retrouve des morceaux instrumentaux, ils sont tous en mono.
Le mécontentement des fans était tel que pour « Bomber X », Saban et Levy éditent les quelques thèmes instrumentaux qu’ils avaient créés. Pour « Les Mystérieuses Cités d’Or », ils décident de ne pas faire la même erreur qui fut commise pour « Ulysse 31 » et livrent alors un 33 tours qui fait la part belle à certains thèmes emblématiques de la série. Certes, on y trouve les thèmes de Zia et Tao, que l’on n’entend qu’une ou deux fois dans le dessin animé, mais on a le plaisir d’entendre quelques thèmes bien plus marquants comme « le dieu des Incas », « en navigant » ou encore « le vol du condor ». Mieux, des thèmes récurrents de la série y figurent comme « Heureux Esteban », que l’on entend à chaque fin d’épisode et qui illustre ce qui va arriver au suivant ou encore « les aventures électroniques » qui revient également de manière récurrente. C’est en tout 16 morceaux qui constituent l’album qui sort en 1983 en vinyle.
Mais ce disque devient vite mythique, car il disparaît pratiquement dès sa sortie. En effet, le succès foudroyant de la série a entraîné une frénésie d’achat de la part des fans qui se ruent sur l’album. On ne le trouve plus depuis, sauf dans des conventions de disques ou alors sur Internet et un prix hallucinant de 150 € minimum … Il a été vu une fois à 350€.
Mais alors vous me direz « pourquoi parle-t-on d’un album sorti il y a 34 ans et que l’on ne trouve plus, car très vite épuisé ? ».
Et bien depuis maintenant quelques semaines le label ZAG records a réédité cet album sous licence Wagram … à l’identique. En effet, il utilise alors le master analogique stéréo de l’époque pour presser un nouveau vinyle et réutilise même la maquette d’origine pour la pochette à la différence que les logos des chaînes A2 et RTL ainsi que celui de Saban ont disparu. Faites attention, car il y a certains disquaires peu scrupuleux qui tentent de le faire passer pour l’original de 1983. Vérifier le dos de couverture et si vous voyez un code-barres, alors c’est la réédition de 2017 car en 1983 les codes-barres n’existaient pas sur les disques français.

Mais cette réédition n’a eu aucune communication et beaucoup de disquaires en ignorent jusqu’à même l’existence.
Vous trouverez ce disque uniquement chez les disquaires qui ont vu le titre dans les listings de prévente de leurs distributeurs. Si la FNAC l’a en stock (en ligne uniquement), il y est à un prix exorbitant. Vous aurez l’occasion de le voir dans certains Cultura. Mais c’est surtout chez les disquaires indépendants que l’on le plus de chances de le trouver.

En vous parlant de Shuki Levy, je vous avais dit qu’il avait connu une carrière avant de faire équipe avec Haim Saban. Il avait été dans des groupes comme Téléstar et Chocolate, et avait même fait partie de la comédie musicale « Hair ». Je vous ai évoqué aussi le duo Shuki et Aviva qui connut le succès surtout en France avec de nombreux tubes. Mais c’est également en Allemagne que les deux artistes se font connaître et remportent un franc succès. Le duo devient célèbre outre-Rhin à tel point qu’ils sont pressentis pour représenter ce pays pour le concours de l’Eurovision en 1975. Mais c’est Joy Flemming qui sera finalement choisi et finira 4ème de la compétition.

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.