DAREDEVIL (John Paesano) JESSICA JONES (Sean Callery) LUKE CAGE (Adrian Younge & Ali Shaheed Muhammad) IRON FIST (Trevor Morris) Marvel / Mondo Tees Records
Cette semaine je ne vais pas vous parler d’une B.O., mais de quatre d’un coup. Ces musiques étant composées pour des séries étroitement liées entre elles, autant faire faire d’une pierre deux coups … ou plutôt quatre dans le cas présent. Avec le concept d’univers partagé lancé par Marvel tant au cinéma que sur le petit écran on se retrouve plongé dans quelque chose de très vaste et interconnecté. Après avoir conquis les écrans ciné avec la franchise Avengers et consorts, Marvel adapte le concept avec la plateforme Netflix pour Defenders. Mais pour cela, ils mettent d’abord en scène les différents protagonistes dans leur propre série avant de les réunir dans une autre. Chaque série a son héros, son atmosphère propre et donc, il faut développer ce concept autour de ça. Avec « Daredevil », « Jessica Jones », « Luke Cage » et « Iron Fist », Marvel bâtit un univers bien à part, mais pas entièrement déconnecté du MCU (Marvel Cinematic Universe). Je vais donc évoquer la B.O. de ces quatre séries puisqu’elles ont eu le privilège de sortir non seulement sur les plateformes de téléchargements, comme toutes les autres séries, mais aussi en vinyles ce qui est beaucoup plus élitiste.
Comme pour toute bande originale, les musiques composées pour une série télé doivent être à la hauteur et de coller aux images. On se souvient de nombreux thèmes de séries tant ils sont emblématiques. On se rappelle de temps en temps certaines musiques intérieures tant elles ont marqué certaines scènes. Les musiques de séries TV marquent peut être plus que celle des films cinéma compte tenu des réutilisations répétées tout au long des épisodes, mais aussi par les multidiffusions de ces mêmes séries. Les B.O. de séries sont devenus au fil des ans de véritables œuvres que nombre de fans cherchent à réécouter et n’hésitent pas à se procurer des intégrales. Depuis près de quinze ans maintenant, quelques labels comme Intrada ou La La Land Records nous gratifient de pépites comme l’intégrale de « Battlestar Galactica » (la version de 1978 comme de 2005) de « Lost in Space » ou encore « Les Mystères de l’Ouest » ainsi que « X-Files » parmi de nombreuses autres.
Pour ses séries diffusées sur Netflix, Marvel fait le choix d’instaurer une atmosphère musicale propre à chacune d’entre elles. Ainsi chaque série a son compositeur attitré, donnant ainsi une identité sonore particulière.
Pour « Daredevil », on fait appel à John Paesano, originaire de Birmingham dans le Michigan. Ce musicien, bien qu’américain, est issu du conservatoire de Paris et finit sa formation de compositeur de musique de film dans les grandes écoles de musique Berklee de Boston. C’est en 2007 qu’il débute en signant le score du dessin animé « Ben 10, le secret de l’Omnitrix ». Il continue pour la télévision sur des films d’animation comme « L’âge de glace Un Noël de Mammouths » ou encore « Superman/Batman, Apocalypse ». Au Cinéma, on lui doit des musiques pour les films « S.W.A.T. Firefight » et surtout la trilogie « Labyrinthe ». Il est alors approché pour composer la B.O. de « Daredevil » en 2015 puis celle des « Defenders » par la suite. Pour le super héros aveugle, John Paesano compose une série de thèmes et d’ambiance électronique parfois subtils et parfois beaucoup plus rythmés. Le savant mélange des sons analogiques et numériques est plutôt bien dosé et le tout a une cohésion qui tient la route. Les séquences subtiles oscillent entre des sons cristallins et de piano avec de temps en temps quelques basses qui pour une fois ne viennent par assourdir l’ensemble. Ce sont également des ambiances assez envolées qui s’invitent afin de donner une certaine légèreté illustrant ainsi l’aspect aérien du personnage. Avec cette B.O. John Paesano confirme son statut de compositeur de musique de film et séries TV.
L’atmosphère de « Jessica Jones » est complètement différente. Le personnage étant une détective privée indépendante, il fallait une identité musicale relativement proche de ce que l’on pouvait entendre dans les anciennes séries et films de polar noir. Marvel choisit alors une valeur sure en la personne de Sean Callery. Aussi à l’aise dans les orchestrations qu’avec les synthétiseurs, il devient très vite un grand nom de la B.O. de série. Né à Hartford dans le Connecticut, Il étudie le piano dès son plus jeune âge et joue très tôt dans des clubs de jazz et apprend d’autres styles musicaux en s’essayant à d’autres instruments. Après être diplômé du conservatoire de Nouvelle-Angleterre, il s’intéresse aux nouvelles technologies avec les synthétiseurs et l’informatique musicale. C’est après avoir travaillé sur « Star Trek Deep Space Nine » en tant que sound designer que Sean Callery se lance dans la composition de musique pour des séries. Il débute avec « La Femme, Nikita » puis sur « Sheena, Reine de la jungle », mais c’est surtout la B.O. de « 24 heures Chrono » qui va le faire réellement connaître. Depuis il officie sur de nombreuses autres séries comme « Medium », « Bones », « Homeland » ou encore « Elementary ». Pour Jessica Jones, sa maîtrise des synthétiseurs et ses débuts comme jazzman vont être mis en valeur. En effet, Sean Callery compose une série de thèmes qui varient entre jazz soft et électronique pur. Avec cette alchimie stylique, l’ambiance très polar noir est mise en avant. Là aussi les sons ont été très bien étudiés afin de ne pas tomber dans le déjà entendu. Quelque parties sombres viennent s’insérer au milieu de morceaux plus jazz avec une incursion ponctuée de morceaux plus séquencés afin d’illustrer les rares moments d’action de la série. Quand on lui demande de composer la musique de « Defenders », Sean Callery réussit l’exploit de faire cohabiter les divers styles différents propre à chaque personnage. Avec « Jessica Jones », il nous rappelle qu’il est issu du milieu de jazz.
C’est un univers radicalement différent qui doit être mis en avant avec la série « Luke Cage ». Se déroulant dans Harlem et mettant en vedette un super héros noir, l’ambiance musicale se devait d’être à l’image de la série. Mais au lieu d’opter pour une musique entièrement hip-hop, les producteurs décident de choisir quelques chose de plus subtil. Avec Adrian Younge et Ali Shaheed Muhammad la musique est un judicieux équilibre entre musique électronique et rythmes hip-hop qui soutiennent les thèmes. Originaire de Los Angeles, Adrian Younge joue très tôt dans plusieurs groupes vers la fin des années 90. Il maîtrise assez rapidement plusieurs instruments et surtout les synthétiseurs. Il sort plusieurs albums à son nom, mais devient très vite compositeur pour la télévision et le cinéma avec notamment la B.O. de « Black Dynamite ». Il travaille aux côtés de nombreux artistes comme Prodigy, Jay-Z ou encore le Wu Tang Clan. C’est d’ailleurs son implication dans le style hip-hop et son travail sur « Black Dynamite » qui le conduit à la composition de la musique de Luke Cage. Ali Shaheed Muhammad est un rappeur américain de Brooklyn à New York. Ce vétéran du hip-hop fait partie de ceux qui en ont vécu l’origine. C’est très tôt qu’on le retrouve dans la formation A Tribe Called Quest un group hip-hop qui sort 6 albums et plus d’une quinzaine de singles. Puis il crée le collectif The Ummah qui produit de nombreux jaunes artistes qui se lancent dans ce genre. Son expérience va alors le conduire à signer avec Adrian Younge la musique de « Luke Cage ». La maîtrise des synthétiseurs de Younge et l’univers Hip Hop de Muhammad vont alors s’entremêler subtilement. Là où on s’attendait à entendre des rythmes et des boucles à répétitions avec une boite à rythmes omniprésente, on découvre une musique plus nuancée avec des thèmes électroniques et des ambiances sombres avec juste ce qu’il faut de style de la rue pour rappeler le contexte de la série. C’est une agréable surprise de voir ainsi le mélange réussi du style hip-hop et de la musique électronique. Les rythmes sont plus en arrière-plan afin de donner le ton de Harlem à une musique plus illustrative. Une vraie réussite dans le genre signée Adrian Younge et Ali Shaheed Muhammad.
Avec « Iron Fist », la musique est beaucoup plus convenue. On entre dans l’univers de la musique électronique comme on en entend souvent dans les récentes séries TV. Avec Trevor Morris, on choisit une valeur sure. Ce Canadien originaire du Londres de l’Ontario, est dès son enfance dans les écoles d’arts et apprend le violon et chante dans des chorales. À treize ans, son école le choisit pour composer une musique spécialement pour accueillir la visite du Pape Jean-Paul II au Canada. Il est repéré par Hans Zimmer qui l’engage dans son complexe de Los Angeles. Trevor Morris va alors travailler aux côtés de nombreux compositeurs comme James Newton Howard, Hans Zimmer, Steve Jablonski, Trevor Rabin ou encore Danny Elfman. Il signe ainsi de nombreuses musiques additionnelles pour des films comme « La chute du Faucon Noir », « Le cercle », « Bad Boys 2 » « Pirates des Caraïbes », « The Island » et bien d’autres encore. Mais c’est pour la télévision qu’il sort de l’ombre avec « Moonlight », « Les Tudors », « Les Borgias » et surtout « Vikings ». Pour « Iron Fist », Trevor Morris livre une musique simple et efficace. Essentiellement électronique, la musique s’étale sur plusieurs thèmes avec des sons là aussi savamment choisis. Quelques passages séquencés ponctuent les scènes d’action et de nombreux thèmes plus sombres installent une ambiance dramatique lorsque cela est nécessaire. Une B.O. plutôt convenue, mais qui fait son office.
Avec ces quatre titres, Marvel nous livre une œuvre unique. Quatre ambiances différentes sont mises en place, mais pourtant il y a une cohésion entre elles. L’emploi de sons électroniques similaires donne alors à l’ensemble une identité unique … un univers musical partagé.
Si toutes ces B.O. sont sorties sur les plateformes légales de téléchargements, Marvel s’associe à Mondo Tees Records pour les éditer non pas en CD, mais directement en vinyle. Ainsi on a tout le loisir d’écouter ces musiques dans des conditions d’audiophiles avertis. Si « Daredevil » et « Iron Fist » sont en format simple album, c’est bien deux LPs que l’on retrouve pour « Jessica Jones » et « Luke Cage ».
Ces B.O. signées par plusieurs musiciens montrent que l’on peut faire du différent tout en étant dans un style relativement similaire. Comme nous l’avons vu, c’est Sean Callery qui est choisi pour la B.O. de « Jessica Jones ». Il signe alors une musique qui réunit plusieurs styles et crée une musique équilibrée. Mais ce n’est pas anodin d’avoir choisi Sean Callery pour réaliser cet exploit. En effet issu du milieu Jazz, ce compositeur a signé de nombreuses musiques pour les séries TV, mais il a été très tôt en contact avec les technologies musicales avancée. Ainsi dans les années 80 il maîtrise les synthétiseurs et l’informatique musicale qui vient tout juste de voir le jour. Il en initie de nombreux musiciens parmi lesquels on note Alan Silvestri, James Newton Howard, Mark Snow et même Herbie Hancock qui va alors sortir par la suite les morceaux hip-hop électro « Rock It » et « Hard Rock » avec les albums « Future Shock » et « Sound System ».
Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.
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