LA FÊTE SAUVAGE, L’hommage poignant de Frédéric Rossif aux animaux
Depuis toujours, l’homme vit en compagnie des animaux. Certains lui sont utiles, et d’autres le nourrissent. Mais toujours, il a cherché à en savoir le plus possible jusqu’à ce qu’ils en arrivent à le fasciner. Depuis que le cinéma et surtout la télévision existent, de nombreux documentaires ont vu le jour. Il y a peu de réalisateurs qui ont réussi à filmer les animaux dans leur habitat naturel avec autant d’authenticité. Dans les années soixante-dix en France, trois documentaristes étaient reconnus comme étant les maîtres du genre. Si le Commandant Cousteau se spécialisait dans la vie marine, Christian Zuber (souvenez-vous de « Caméra au poing ») et Frédéric Rossif nous montraient la diversité terrestre. Ce dernier signa plusieurs séries d’émissions, mais également deux films cinéma dont « La Fête Sauvage ».
Une œuvre à part
Actif membre de la cinémathèque française, Frédéric Rossif entre à l’ORTF (l’ancienne et unique chaîne TV nationale) et participe à l’élaboration d’émissions comme « Cinq colonnes à la une » par exemple. Mais très vite, il réalise de nombreux documentaires dans des domaines variés et montre très tôt son goût pour les reportages animaliers avec « la vie des animaux » au début des années soixante. Il réalise également des films documentaires et choisit soigneusement ses sujets. Pendant des années il montre au public le monde à travers son œuvre. Il s’intéresse à la deuxième guerre mondiale (« de Nuremberg à Nuremberg »), à la sociopolitique (« les sentinelles oubliées »), mais également à l’art contemporain avec quatre portraits de peintres (« Georges Mathieu ou la fureur d’être », « Georges Braque ou le temps différent », Picasso peintre », « Morandi »). Mais ce qui caractérise l’œuvre de Frédéric Rossif est sans nul doute la vie animale. Dans les années soixante-dix, Christian Zuber officiait hebdomadairement avec sa célèbre émission « Caméra au poing ». Parallèlement, Rossif nous offre « l’opéra sauvage » avec plus de vingt épisodes tournés à travers le monde. Avant cela, il nous alertait sur l’influence de l’homme sur la nature avec « l’apocalypse des animaux ». Il continue dans les années quatre-vingt avec une nouvelle série diffusée dans les programmes de la jeunesse de FR3, « splendeur sauvage » qui trouve une extension logique « beauté sauvage » émise sur la défunte 5ème chaîne. Mais le format de la télévision ne lui suffit pas et en 1983 il nous livre « sauvage et beau », véritable chef-d’œuvre animalier. Mais si l’on se souvient de ce film, il faut savoir que ce ne fut pas le premier. En 1976, Frédéric Rossif réalise « la fête sauvage », une ode aux animaux qu’il a su sublimer grâce à de magnifiques ralentis soigneusement orchestrés avec une musique authentique de Vangelis Papathanassiou qui vient à peine de connaître le succès avec ses albums « Heaven and Hell » et « Albedo 0.39 ». C’est l’amalgame équilibré des images de Rossif avec la musique de Vangelis qui fait de « la fête sauvage » une œuvre à part.
Une ode à la vie
En 1973, Frédéric Rossif réalise une série télévisée sur la vie animale, mais il montre également l’influence de l’homme sur celle-ci. Avec « l’apocalypse des animaux » il se créé une réputation solide de documentariste du genre. Trois ans plus tard, il décide de montrer une nouvelle fois les animaux. Mais maintenant ses images ont quelque chose en plus. Elles les subliment lumineusement. C’est avec le compositeur grec Vangelis Papathanassiou qu’il compose une ode à la vie animale. Il nous invite à une « fête sauvage » en partant d’une simple phrase : « les animaux sont les compagnons du songe ». Dès le début, on comprend qu’ils étaient sur Terre bien avant nous. C’est un véritable retour aux origines.
Tout au long du film, on prend conscience que la vie sauvage est une lutte perpétuelle où les proies et les prédateurs jouent un jeu cruel. Mais l’on découvre aussi que d’autres combats se livrent comme chez les impalas pour conquérir les femelles, devenant alors vulnérables au guépard, le félin le plus rapide du monde, amorçant ainsi la fantastique course de la vie et la mort. On est étonné de voir que les hippopotames offrent un contraste curieux grâce aux eaux du fleuve qui les font paraître légers. On est attendri de voir les tigres, l’un des rares fauves à aimer nager, jouer avec une tendresse féline. On est fasciné par le langage du corps de la mante religieuse, mais également par celui, plus sensuel, de la girafe muette à cause de son cou trop long. Comment ne pas être interrogatif en sachant que le paresseux qui ne se déplace au sol qu’à 200 mètres à l’heure existe depuis cinquante millions d’années. Comment a-t-il pu échapper aux prédateurs ? Parmi les scènes qui défilent sous nos yeux, on découvre que le lièvre d’Afghanistan est une cible de choix pour le renard alors que le lièvre sauteur a beau être joueur, il est attentif tout comme les suricates d’Afrique, véritables sentinelles de la savane. On s’attendrit devant les loutres joueuses qui filent dans l’eau avec aisance. Dans les montagnes les bouquetins exécutent un remarquable ballet pour l’amour jusqu’à l’épuisement. Il est dit « Il s’appuie sur le vide pour voler ». Les hommes ne sont pas les seuls à vivre en société, les éléphants aussi. En Inde, le pachyderme est considéré comme étant à l’origine du monde soutenant les quatre points cardinaux. Il grandit toute sa vie et un orphelin trouve toujours une femelle pour prendre soin de lui. En Afrique, quand les éléphants courent ils paraissent légers, tout comme le rhinocéros galopant en troupeau. Notre peur ancestrale des loups s’efface quand on découvre leur vie également sociétaire. La panthère, plus solitaire, est un danger ultime dans les arbres comme au sol où elle peut même capturer un babouin isolé pendant qu’en Amérique latine, son cousin le jaguar attrape sa proie dans le fleuve. Parmi les ruminants, les coudoux sont si discrets que l’on ne crut pas à son existence pendant longtemps.
De nombreux passages sont consacrés aux oiseaux dont le vol représenté au ralenti nous rappelle leur majesté. Que ce soit l’ibis rouge, le pélican, la grue, la frégate ou le flamant rose, l’envol de ces êtres à plumes laisse songeur. « La fête sauvage » se conclut sur le roi des animaux. Les lions sont les seuls félins à vivre en clan. Ces grands fauves nous invitent à partager des moments intimes de leur vie, que ce soit la chasse au gnou ou les instants de tendresse entre eux. Quelquefois le mâle dominant doit se faire respecter des autres, surtout des jeunes qui cherchent à prendre sa place pour conquérir les lionnes qui ne se laissent pas facilement séduire. Après dix jours d’approche, le lion finit par parvenir à ses fins avec elles. Avec cette scène le film de Frédéric Rossif s’achève par un moment rarissime et unique qui n’avait jamais été filmé auparavant.
Une prouesse inégalée
Filmer les animaux dans leur milieu naturel est un exploit en soi. Mais les sublimer de la sorte relève de la prouesse artistique. L’un des points qui caractérisent les films animaliers de Frédéric Rossif est le soin particulier apporté au ralenti de certaines séquences. Grâce à cet effet, certaines espèces ne semblent plus du tout être ce qu’elles paraissent. Les éléphants et les rhinocéros courant dans la savane deviennent légers comme l’air. La course des gazelles est une véritable révélation quand elle est montrée ainsi. La chasse de la panthère est plus fascinante avec cette lente vitesse. Mais ce qui est le plus magnifique, c’est l’envol des nuées d’oiseaux où chaque battement d’aile est clairement défini. L’autre caractéristique des films de Rossif est la méticulosité de la bande-son. Les bruits et les cris naturels sont remarquablement traités à part, afin de les isoler de l’ambiance de fond. Ainsi, seul l’essentiel est entendu au point de paraître irréel. Le montage de tous ces éléments est également reconnaissable. Parfois de longs plans s’étirent pour accentuer une scène dramatique ou intimiste. Parfois de courtes séquences très tranchées rythment la violence sauvage omniprésente dans les diverses contrées du monde. Un passage où des plans d’oiseaux sont promptement entrecoupés par de vives images de fauves sur une musique répétitive à la flute est alors perçu comme un ballet de la vie et de la mort. Les proies et les prédateurs.
Symphonie sauvage
Un film d’une telle beauté devait forcément être accompagné d’une musique appropriée. Frédéric Rossif confie cette tâche à Vangelis Papathanassiou avec qui il avait alors travaillé pour « l’apocalypse des animaux » entre autres choses. Originaire de Grèce, Evangelos Odysseas Papathanassiou apprend seul le piano dès l’âge de quatre ans. Mais ce qui le fascine c’est le son et sa nature changeante. Adulte il participe diverses formations avant de faire partie des Forminx puis plus tard d’Aphrodite Child aux côtés de Demis Roussos. Qui ne se souvient pas de « Rain and Tears » ? Au début des années soixante-dix, il entame une carrière solo qui reste encore une référence dans ce métier. Car s’il écrit et réalise de nombreux titres et albums pour des artistes renommés comme Richard Cocciante, Demis Roussos ou Richard Anthony, il s’impose comme un maître multi-instrumentiste qui donne la part belle aux synthétiseurs. Il popularise le CS80 de Yamaha grâce aux sonorités qui caractérisent son œuvre. Il signe des albums impressionnants comme « Heaven and Hell » véritable opéra synthétique, « Albedo 0.39 » exploration cosmique du rock progressif un peu jazzy, « Spiral » son album le plus commercial et bien d’autres encore. Il navigue entre la pop électronique jusqu’au néoclassique en passant par l’expérimental et la new wave. Vangelis se fait également connaitre du milieu cinématographique en composant des musiques pour Ridley Scott avec « Blade Runner » et « 1492 », Koreyoshi Kuruhara avec « Antarctica », Costa Gavras avec « Missing », Roman Polanski avec « Lune de Fiel » et il est oscarisé pour l’inoubliable « Chariots de feu ». Mais c’est dès 1973 qu’il travaille avec Frédéric Rossif pour « l’apocalypse des animaux » et « Georges Mathieu ou la fureur d’être ». Pour ce dernier une session improvisée est filmée où l’on voit le compositeur jouer sur ses instruments pendant que le peintre exécute un gigantesque tableau, témoignant ainsi de l’osmose entre ces deux arts majeurs. La collaboration entre Frédéric Rossif et Vangelis durera près de vingt ans, jusqu’à la disparition du réalisateur en 1990. C’est donc tout naturellement que le musicien est embarqué pour « la fête sauvage » en 1976. Si Frédéric Rossif a su sublimer les animaux par l’image, Vangelis a su le faire avec la musique. C’est avec un générique endiablé synthétique rythmé par des percussions africaines que la symphonie sauvage débute. Tout au long du film Vangelis nous expose la large palette de son génie musical. Depuis des thèmes minimalistes au vibraphone jusqu’à la plus sophistiquée des compositions aux synthétiseurs, il nous invite à partager la vie des animaux. Quelques moments uniques avec comme seuls instruments des percussions nous permettent de suivre avec intérêt l’affut des fauves à la chasse. Avec des percussions métalliques, le jeu des suricates attendrit le spectateur. Le thème principal apparaît çà et là de manière lancinante pour nous émerveiller notamment lors de fabuleux ralentis surtout sur l’envol des oiseaux. Parfois de petits morceaux de flute ponctuent les scènes de la vie sauvage. Lors de sa sortie en salle, « la fête sauvage » a marqué les esprits par les images, mais également par la musique. Un album est édité alors avec deux longues plages de près de vingt minutes chacune. Mais si le générique du début et le thème principal figurent sur le disque, les morceaux présents dans le film sont cruellement absents. Il faut savoir que les soundtracks de Vangelis sont différents du film pour une raison bien simple. Si la musique colle parfaitement aux images, elle peut paraître étonnamment hors propos quand on l’écoute seule. C’est pourquoi le musicien rejoue les parties les plus emblématiques et rajoute des compositions originales afin de produire un véritable album pouvant être apprécié du grand public y compris par ceux qui n’ont pas vu le film. Comme au cinéma, le disque démarre avec le générique qui nous plonge alors au cœur de l’Afrique. On y reste d’ailleurs avec des passages où les synthétiseurs de Vangelis côtoient les percussions africaines et les chants traditionnels. La deuxième plage est architecturée autour du thème principal. Il est décliné plusieurs fois entrecoupé de passages plus originaux où la voix de Vana Veroutis nous berce allègrement. L’album de « la fête sauvage » est le compagnon idéal du film, car il en en est une véritable extension audio.
Avec « la fête sauvage », Frédéric Rossif nous fait partager sa passion pour les animaux. Son film nous fait voyager à travers le monde nous rendant témoin de la variété animale qui nous entoure. C’est avec ce film que l’on apprend à respecter la nature. Et si le réalisateur nous le rappelle avec ses séries télévisées, il nous émerveille au cinéma. Les éditions Zoroastre qui ont déjà remastérisé « Georges Mathieu ou la fureur d’être », autre film de Rossif, ont entièrement restauré le chef-d’œuvre animalier qui ressort au cinéma le 18 juin puis en DVD et Bluray le 8 septembre 2014. Espérons que cette initiative recevra l’attention qu’elle mérite, car il existe un autre film remarquable de ce réalisateur qui mérite d’être redécouvert : « Sauvage et Beau ».
Pour accéder au site du film, une adresse lafetesauvage.com