Avec la sortie de son dernier album « Nocturne » le 25 janvier dernier, Vangelis revient en nous surprenant une nouvelle fois, en nous proposant une ballade musicale avec de nombreuses reprises de ses titres au piano ainsi que quelques compositions inédites. Ce n’est pas la première fois que ce musicien s’offre le luxe d’explorer une voie différente de son travail habituel. Vangelis est un véritable touche-à-tout qui a œuvré, certes dans la musique électronique telle que le grand public la connaît, mais également dans le rock, la variété, la musique classique ou contemporaine et même un peu dans un style électro new wave. Mais le grand public le connaît surtout pour les bandes originales qu’il signe et dont certaines ont marqué d’une façon indélébile la mémoire collective. Après une période en retrait de l’industrie du disque, Vangelis revient en 2016 avec « Rosetta », un album entièrement dédié à la conquête de l’espace, suite à la mission de l’ESA Rosetta dont la sonde Philae se posa sur la comète « Tchourioumov-Guérassimenko » (Tchouri, c’est plus simple). C’est à partir de cet album que Vangelis amorce un retour musical avec notamment des musiques de ballets ou encore pour un défilé de mode, jusqu’à nous offrir cette année un album entièrement architecturé autour d’un piano et de quelques synthétiseurs discrets … un tour de force stylique incroyable … un pari fou. Depuis plus de cinquante ans, Vangelis a marqué le monde de la musique avec ses compositions uniques aux mélodies typiques et aux arrangements que beaucoup ont qualifiés d’Olympiens. Et pourtant ce compositeur hors norme ne sait ni lire ni écrire une partition.

Né en 1943 en Grèce, Evángelos Odysséas Papathanassiou s’intéresse très tôt à la musique. A quatre ans il compose sur le piano familial, mais commence déjà des expérimentations en plaçant divers objets dans l’instrument afin de la faire sonner différemment. Il étudie la peinture à l’école des beaux-arts d’Athènes tout en apprenant la musique de manière entièrement autodidacte. A quinze ans il joue dans divers groupe de jazz et rock, non pour faire des reprises, mais pour le plaisir et il acquiert son premier orgue Hammond à 18 ans. En 1963 il crée avec trois copains de lycée le groupe The Formynx qui interprète des reprises, mais aussi des compositions originales, la plupart composées par Vangelis. Peu de disques sortent, mais le groupe se voit néanmoins immortalisé dans le film grec « Theodor and the Gun ». C’est dès 1963 que Vangelis compose sa toute première musique de film. Avec « My Brother, The Trafic Policememan » de Filippos Fylaktos il découvre cet univers musical. Il récidive en 1966 avec « 5000 Lies » de Giorgios Konstantinou et « The Face of Medusa » de Nikos Koundouros l’année suivante. Après la séparation des Formynx, Vangelis quitte la Grèce pour Londres puis Paris. En 1968 il forme le groupe de rock progressif Aphrodite’s Child avec Lukas Sideras, Anargyros Koulouris et … Demis Roussos.

Avec « Rain and Tears », le groupe connaît un succès foudroyant et le titre « Five O’Clock » en est la confirmation. Les deux premiers albums sont des succès commerciaux, mais Vangelis n’est guère intéressé par cet aspect de la musique. Il met les bases du concept de leur troisième album en s’inspirant du livre des révélations de la Bible et notamment l’apocalypse de Saint Jean. L’enregistrement de cet opus provoquera de sévères dissensions et le groupe se sépare. L’album « 666 » se verra censuré et raccourci et ne sortira que dans sa version intégrale que bien plus tard. C’est également à cette même période que Vangelis s’affaire de son côté. Il signe la bande originale de « Sex Power » et d’ « Amore » d’Henri Chapier ainsi que de « Salut Jérusalem ». Plusieurs sessions d’enregistrements aux allures free jazz sont effectuées, et un projet assez expérimental voit le jour avec « Fais que ton rêve soit plus long que la nuit » présenté comme un poème symphonique et utilisant des enregistrements des manifestations de mai 1968. Vangelis rencontre alors le documentariste animalier Frédéric Rossif avec qui il amorce une collaboration qui va perdurer jusqu’au décès de ce dernier. L’un de ces premiers travaux est la bande-son de la série télévisée « L’apocalypse des Animaux » en 1973. Avec cette musique Vangelis montre au monde entier sa large palette stylique et sa maîtrise de nombreux instruments. Mais c’est avec « Earth » que le public réalise toute l’étendue de son talent musical. Mélangeant musique traditionnelle grecque avec des rythmes jazz et rock, il crée une musique hors norme. Après plusieurs concerts donnés, il est contacté par Jon Anderson qui semble être fan de la musique du musicien grec. Vangelis va à Londres afin d’auditionner pour remplacer au pied levé Rick Wakeman qui venait de quitter Yes. Vangelis doit décliner l’offre, ne pouvant obtenir de Visa pour travailler en Angleterre à ce moment. Néanmoins la rencontre avec Jon Anderson va conduire à une première collaboration « So Long Ago So Clear », chanson qui apparaît sur l’album « Heaven and Hell ». Avec ce disque, Vangelis explore plusieurs facettes de la musique en y insufflant de nombreuses influences classiques et contemporaines. En intégrant des chœurs ainsi que la voix de Vana Veroutis, il fait de « Heaven and Hell » un album concept référence dont le son deviendra par la suite sa marque de fabrique. En effet c’est à ce moment que le compositeur acquiert le monumental synthétiseur de presque 100 kg, le Yamaha CS80. Le son de ce légendaire instrument va largement contribuer à ce que les fans appellent le son olympien de Vangelis. C’est avec les albums suivants « Albedo 0.39 », « Spiral », « Beaubourg » ou encore « China » que ce statut se confirme. Entre temps, Il travaille sur de nombreuses chansons pour plusieurs artistes çà et là comme Milva, Patty Pravo, Richard Cocciante, Mariangela, Richard Anthony, mais également Demis Roussos, son complice d’Aphrodite’s Child. Dès lors, Vangelis ne chôme pas avec de nombreux albums et diverses B.O. comme « Entends-tu les chiens aboyer » pour François Reichenbach ainsi que pour Fréderic Rossif avec L’opéra Sauvage », mais surtout « La Fête Sauvage », film cinéma remarquable qui sublime les animaux tant par l’image que par la musique. Retrouvant Jon Anderson, une idée d’albums en commun germe et avec « Short Stories », le mariage de la voix particulière de Jon et la musique incomparable de Vangelis marque très vite le grand public, ce qui sera confirmé par l’album « The Friend of Mister Cairo » d’où émerge le tube planétaire « I’ll find my way home ». Ce genre d’album en commun n’est alors pas nouveau. C’est à peu près à la même période que Vangelis sort « Odes » avec l’actrice et chanteuse grecque Irène Papas.

En 1980, Vangelis est contacté pour faire la musique du film « Les Chariots de Feu » de Hugh Hudson. Avec cette bande originale, il est internationalement reconnu en remportant les prix pour la musique du British Academy Film Awards, du Los Angeles Film Critics Association Awards et surtout l’Oscar de la meilleure musique de film. Le film durant plus de deux heures ne contient pourtant QUE vingt minutes de musique. Celle-ci est tellement marquante qu’elle a conquis non seulement les professionnels, mais également le public tant et si bien que le morceau titre servira de générique à l’émission Sport été sur Antenne 2 en France pendant de très nombreuses années. La musique pour « Les Chariots de feu » va ouvrir en grand les portes du cinéma pour Vangelis qui signe dans la foulée ce qui deviendra l’un de ses œuvres majeures cinématographiques : la musique de « Blade Runner » où il livre des morceaux amples avec des envolées uniques, mais également de parties ambiantes et contemporaines sans oublier quelques passages minimalistes. Les années quatre-vingts seront alors marquées par de très nombreux albums tous aussi remarquables les uns que les autres comme « See You Later », « Soil Festivities », « Mask », Direct ou encore « The City ». Les musiques de films ne sont pas en reste avec par exemple « Antarctica », « Sauvage et Beau » ainsi que « De nuremberg à Nuremberg » ou encore des épisodes de Cousteau.

Mais sa musique étant très variée styliquement parlant, Vangelis livre des partitions pour divers événements prévus pour la scène comme des pièces de théâtre comme « Medea », « Electre » ou encore des ballets comme « Frankenstein, the Modern Prometheus ». Il effectue plusieurs concerts live où il démontre sa virtuosité en un véritable direct. Si on ne trouve que peu d’albums, il ne cesse pourtant de composer et l’on retrouve son nom aux génériques des films comme « 1492, Christophe Colomb », « Lune de Fiel », « Cavafy », « La peste », « Francesco », « Alexandre » et bien d’autres encore, il participe au sauvetage financier du musée art national d’Athènes en éditant un album limité sur le peintre El Greco vendu pour renflouer le musée. En 2001 il sort « Mythodea », album rendant hommage à la mission d’exploration de Mars par la sonde Mars Odyssey. Avec cet opus il intègre un orchestre à ses compositions électroniques. La participation des sopranos Jesse Norman et Kathleen Battle, Vangelis montre au monde entier sa maîtrise pour la musique aux consonances classiques comme il le fait depuis « Soil Festivities » et « Mask ». Un concert est effectué à l’Acropole d’Athènes à quelques jours de celui de Jean-Michel Jarre au même endroit. A cette époque Jarre avait proposé un morceau collaboratif qui aurait été interprété en direct lors des deux concerts. Cette collaboration n’aura pas lieu compte tenu du planning chargé des deux musiciens.

Depuis Vangelis se fait musicalement plus discret. Se consacrant également à la peinture il présente ses œuvres occasionnellement tout en livrant quelques musiques pour la coupe du monde de Football au Japon ou encore deux morceaux pour le film sur le pape Jean-Paul II sans oublier la B.O. du film sur « El Greco » et du documentaire « Trashed ». C’est en 2016 que Vangelis revient plus assidument avec Rosetta, album essentiellement consacré à la conquête spatiale suite à la mission Rosetta/Philae de l’agence spatiale européenne (ESA). On lui doit les musiques du défilé de mode de la styliste grecque Mary Karantzou (fin 2018) ainsi que du ballet « The Thread » (1er semestre 2019), mais également la musique du film « Le Crépuscule des Ombres ». C’est cette année qu’il nous prend à contre-pied avec un album de piano « Nocturne » après la réédition vinyle de « Mythodea », d’ « Alexander » de « Blade Runner » entre autres.

Avec « Mythodea », Vangelis nous invite à un opéra spatial. Ses synthétiseurs, plus discrets qu’à accoutumée sont remarquablement soutenus par un orchestre philharmonique où, ensembles à cordes dialoguent avec les cuivres en se mariant avec les voix de soprano de Kathleen Battle et Jesse Norman. Les mélodies que lui seul est capable de composer se placent subtilement sur ces ensembles excellemment dosés. Orchestre, voix et synthétiseurs se marient à merveille dans cette œuvre majeure qui montre au public que la musique de Vangelis ne se limite pas qu’aux « chariots de feu ».

Pour « Alexander », Vangelis utilise les mêmes arrangements que pour « Mythodea » en utilisant l’orchestre que les synthétiseurs viennent seulement appuyer légèrement. Les chœurs ont une place indispensable rendant l’ensemble épique, notamment avec le titre « Titans », exemple même des thèmes simples, mais efficaces propres au compositeur. Plusieurs passages plus traditionnels s’immiscent et la participation de la violoniste Vanessa Mae sur le titre « Roxane Veil » se remarque agréablement.

Lors du Record Store Day de l’année dernière, c’est un picture disc vinyle de « Blade Runner » qui voit le jour, l’occasion de redécouvrir dans ce format analogique l’une des B.O. majeures de Vangelis. Réédition du CD de 1992, ce disque contient quelques passages du film, mais également de nombreux morceaux simplement inspirés par le film et qui n’y apparaissent d’ailleurs absolument pas. Néanmoins c’est toujours avec plaisir que l’on écoute cette musique légendaire aux sons typiques dus aux synthétiseurs qui ont fait « la patte Vangelis ».

Il y a quelques années, Monster Melodies, vendeur de disques bien connu de Paris obtient les droits d’édition de la bande originale de « Amore » film d’Henri Chapier datant de 1973. Ne pouvant avoir les masters stéréo, c’est avec les bobines mono qui ont servi à pister le film que le vinyle est pressé. Si le son en souffre on découvre tout de même le son Vangelis de cette époque.

Dès les premières mesures du disque, on se rend bien vite compte que « Nocturne » est un album de piano. Mais on peut toutefois entendre quelques synthés discrètement en soutien des notes de l’instrument acoustique. Si l’on retrouve des thèmes connus, on a le plaisir de découvrir de nouvelles compositions. Le piano offre de magnifiques mélodies comme seul Vangelis sait le faire. Mais si l’album est excellent pour une musique de fond ou d’ambiance, il faut aimer le son du piano pour apprécier « Nocturne » en tant qu’album pur que l’on écoute en s’y plongeant pleinement. Toute personne qui n’apprécie pas le son du piano risque de décrocher assez vite.

« Alexander », « Mythodea » et bientôt « Sex Power », sur le label « Music on Vinyl » sont très facilement trouvable que ce soit en magasin ou en ligne. « Nocturne » qui vient de sortir est disponible partout, il faudrait être sur une autre planète pour ne pas le trouver.

Vangelis a marqué le monde de la musique avec ses nombreux albums, ses musiques de films, de ballets, de théâtre et j’en passe. Mais parfois, on a la surprise de la voir sur des projets ponctuels assez curieux par exemple deux morceaux fournis pour un livre de photos sur les Seychelles du photographe italien Gian Paolo Barbieri. Ce genre de projets peu courants est relativement confidentiel. C’est également de manière élitiste qu’il fournit plusieurs heures de musiques calmes pour le neurochirurgien Stergios Tegos en 1995 qui utilise alors ces compositions pour pister les vidéos des diverses interventions chirurgicales pour l’ensemble de la profession médicale grecque. Mais c’est tout aussi confidentiellement que Vangelis crée un morceau qui sera inclus en CD single dans l’Artbook de Micheline Roquebrune Connery. Ce morceau « Ithaka » très lancinant, lui aussi, soutient un texte de Constantinos Kavafis et récité par Sean Connery.

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.