En cinq décennies, Jean-Michel Jarre a exploré plusieurs facettes de la musique électronique. Depuis le contemporain électroacoustique jusqu’aux sonorités technoïdes en passant par le mélodique, le séquencé, l’ambiant et l’expérimental. Ces divers aspects de sa musique, qu’il a pu produire notamment grâce à la complicité de ses collaborateurs successifs, sont des identités sonores que le musicien revendique dans la nouvelle compilation « Planet Jarre » sortie le 14 septembre et retraçant sa carrière bien remplie.

Alors, après avoir déjà édité plusieurs autres compilations, pourquoi celle-ci serait-elle mieux que les autres ? A l’exception de la précédente « Essentials and Rarities » paru en 2011 et de « Images » en 1991, toutes ses autres compilations se limitaient à regrouper des titres connus. Avec « Images », Jarre en profite pour faire découvrir deux morceaux inédits prévus pour le concert du Mexique et qui fut annulé. Avec « Essentials and Rarities », il déterre de vieilles productions datant d’avant l’ère « Oxygène », faisant ainsi découvrir des raretés et des inédits. C’est d’ailleurs ce concept qu’il reprend ici en y rajoutant de nouveaux inédits, tant récents que très anciens. Les différentes identités de sa musique étant très prononcées styliquement parlant, Jean-Michel Jarre décide de créer quatre ensembles dans lesquels sont regroupés des morceaux suivant les sujets choisis. Avec « Themes », Jarre rassemble ce qui a fait son succès planétaire. On y retrouve les indéboulonnables « Oxygène IV », « Equinoxe 5 », « Champs Magnétiques 2 » ou encore « Rendez Vous 4 ». On y trouve les non moins légendaires « Oxygène II », « Equinoxe 4 » ou encore « Chronologie 4 ». C’est également la partie thématique de « Révolution Industrielle » qui apparait ici avec « Zoolookologie » (rappelez-vous le générique de « Zenith » l’émission de Denisot sur Canal + dans les 80’s). La harpe laser est à l’honneur avec un extrait de « Rendez Vous 2 » mais le choix le plus surprenant est sans nul doute « Bells » l’ouverture instrumentale de l’album vocal « Métamorphoses » datant de l’an 2000. Cet assemblage de morceaux thématiques permet au public de s’y retrouver car en effet, ce sont surtout ces titres-là qui ont fait la carrière de Jean-Michel Jarre.

La partie intitulée « Sequences » porte bien son nom. Les morceaux regroupés ici sont essentiellement composés autour de multiples rythmes et séquences. L’un des titres le plus représentatif est sans nul doute « Revolutions » qui accompagne d’ailleurs très pertinemment « Arpégiateur » (issu du concert en Chine de 1981). Le classique « Equinoxe 7 » côtoie « Oxygène 8 » (de l’album « Oxygène 7 – 13 »). Mais ce que l’on trouve là est surtout issu du dernier opus de Jarre, « Electronica », double album entièrement réalisé en collaboration avec d’autres musiciens. Ainsi on retrouve « Automatic 1 » avec Vince Clarke (Depeche Mode et Erasure), « Exit » avec Edward Snowden ainsi que « Stardust » avec Armin van Buuren. On regrettera l’absence de « Zero Gravity » avec Tangerine Dream qui aurait très bien figuré ici tant les séquences du groupe allemand se marient avec celle du compositeur français. Mais la surprise vient de la présence de deux inédits que les fans ont pu découvrir lors des derniers concerts. En effet deux morceaux très séquencés s’invitent pour se faire connaître du grand public, « Coachella Opening » puis « Herbalizer ».

L’un des aspects les moins connus de Jean-Michel Jarre est sans nul doute le côté ambiant de certaines de ses compositions. C’est sous l’appellation « Soundscapes » que les parties très aériennes voire parfois plates de quelques-uns de ses titres nous plongent dans des contrées aux sons étranges. La plus connue est bien évidemment « Oxygène I », l’ouverture de son album mythique. On y retrouve le magnifique « Equinoxe 2 » qui en est une sorte de prolongement. Puis, plusieurs autres titres relativement calmes se succèdent alors avec par exemple « Oxygène 19 », « Rendez-vous 1 », ou encore « Chronologie 1 » avec aussi « The Heart of Noise » issu d’ « Electronica 2 ». On y retrouve également un court extrait de la longue plage à la note étirée, « En attendant Cousteau », morceau qui dure à l’origine plus d’une heure et ayant tout d’abord servi pour sonoriser l’exposition Jarre de 1987.

Mais de tous ces ensembles à l’identité sonore bien définie, celui qui nous attire inexorablement demeure « Explorations and Early Works ». Ici sont réunis les morceaux aux aspects plus expérimentaux, mais aussi les travaux datant d’avant l’album « Oxygène ». Alors on retrouve des titres connus comme « Ethnicolor » (l’ouverture de l’album « Zoolook ») ainsi que « Souvenirs de Chine » et « Last Rendez-Vous » dont le style aurait été plus à sa place dans « Soundscapes ». Mais on a le plaisir d’entendre des titres rarissimes. En 2011, « Essentials and Rarities » nous avaient fait déjà découvrir quelques titres comme « La Cage », « Erosmachine », ou encore « Les Granges brûlées ». On les retrouve ici de nouveau avec « Hypnose » (le morceau avec le prestidigitateur Dominique Webb) ou encore « Happiness is a sad Song » ce qui nous permet de découvrir le son brut que Jarre avait avant l’utilisation d’effets multiples qui enrichirent sa musique plus tard. On a enfin la surprise de découvrir un nouvel inédit de 1971 « Aor Bleu » musique expérimentale composée pour un ballet contemporain. Mais là où ne s’attendait pas à voir venir Jean-Michel Jarre, c’est avec la présence d’un extrait complètement inédit de « Musiques pour Supermarchés » qui n’a jamais été entendu depuis la seule et unique diffusion sur RTL en 1983. Avec la présence de « Blah Blah Café » (de l’album Zoolook) dans cette partie ça fait deux morceaux de « Musiques pour Supermarchés » qui se succèdent dans cette compilation ultime. Avec « Planet Jarre », Jean-Michel Jarre nous invite à une introspection musicale nous permettant ainsi de réviser nos classiques mais aussi de découvrir des bizarreries sonores et des pépites antiques.

Afin de marquer dignement le cinquantenaire de la carrière de Jean-Michel Jarre, Columbia Records mets les petits plats dans les grands. Tout au long de ces cinq décennies, l’industrie musicale a connu quelques métamorphoses et notamment dans les supports d’édition. Dans les années quatre-vingt, l’arrivée du CD sonnait le glas du Vinyle. Et pourtant ce support analogique a non seulement survécu, mais connait maintenant une résurrection. La démocratisation du CDR et l’arrivée des autoradios CD préfiguraient l’arrêt de la cassette audio. Et pourtant des artistes recommencent à éditer leurs albums en cassettes. La dématérialisation de la musique avec les plateformes de téléchargements annonçait la mort des supports physiques. Et pourtant le CD et le vinyle sont toujours là. L’évolution de l’industrie du disque est telle que les supports demeurent immuables dans la mémoire du public actuel. On verra ce que çà deviendra dans vingt ans. Jean-Michel Jarre a connu pendant sa carrière plusieurs supports. Ses albums sont sortis en vinyle, en cassettes, en CD en DVD audio 5.1 et aussi en téléchargement. « Planet Jarre » est la compilation qui célèbre cinquante ans de musique du compositeur. Il fallait alors aussi faire une sorte de rétrospective sur les formats qui se sont succédés pendant cette période. Columbia Records sort alors le double CD sur un format des plus simples dans un boitier cristal normal. Un digipak est également de la partie. Le format vinyle n’est pas oublié. C’est un énorme livre qui sert alors de pochette à quatre disques. Un autre coffret parait aussi avec le digipak double CD mais également avec deux cassettes audio, pour ceux qui auraient encore une platine ou un vieil autoradio. Un coupon de téléchargement permet aussi l’accès à deux types de formats numériques. L’un étant le mixage stéréo habituel, l’autre étant le mixage 5.1 seulement lisible sur une installation home cinéma. De quoi fêter dignement les cinquante ans de carrière de Jean-Michel Jarre.

Avec « Planet Jarre », on replonge dans l’univers musical de Jean-Michel Jarre, nous remémorant les grands classiques et les concerts géant qui ont marqué les foules. Mais le musicien ne s’arrête pas là. L’année 2018 marque non seulement le cinquantenaire de sa carrière mais également le quarantenaire de l’album « Equinoxe ». Le 12 septembre dernier Jean-Michel Jarre annonce, lors de la présentation de « Planet Jarre » au planétarium de Hambourg, la sortie d’ « Equinoxe Infinity » afin de marquer l’événement. Ce nouvel album ne se veut pas une séquelle du disque original de 1978 mais plutôt une sorte d’allégorie musicale autour des « Gardiens » (the watchers), les personnages qui peuplent « Le Trac », l’illustration de la couverture mythique signée Michel Granger. Dix nouveaux morceaux seront alors édités dans ce nouvel opus. Deux visuels de la nouvelle pochette ont d’ailleurs été présentés et envahissent les réseaux sociaux et autres blogs, et donne une nouvelle interprétation à ces mystérieux personnages. L’une est optimiste et montre l’harmonie future de l’homme avec la nature. L’autre pessimiste montre l’inverse, une sorte d’apocalypse provoquée par l’homme. Là aussi, l’événement est tel que des éditions de luxe verront le jour. Rendez-vous le 16 novembre pour la sortie mondiale.

A travers le temps, la musique de Jean-Michel Jarre a marqué le grand public. Avec « Oxygène », il crée un style en démocratisant la musique électronique, la rendant ainsi accessible à tout le monde. Les thèmes simples que l’on retient facilement permettent de reconnaître tout de suite le compositeur. Les concerts gigantesques ont beaucoup contribué à cette accessibilité. Mais si Jarre s’est distingué avec ses albums et prestations, il a également officié dans la musique de film. Il a signé « les granges brûlées » mais plus récemment « Qui veut devenir une star ? ». Certains jeux vidéo reprennent eux aussi quelques morceaux connus.

Mais il y a quelques musiques que l’on connait sans jamais trop savoir d’où ça peut venir comme les thèmes et jingles que Jean-Michel Jarre a composés afin de faire l’habillage de la chaîne de télévision France Infos TV. Un album a d’ailleurs été édité en quantité très limitée et qui ne sera finalement pas mis en vente et qui devient très vite impossible à trouver à prix raisonnable (on le voit aux alentours de 400 euros minimum). Ce n’est pas la première fois que Jarre fait l’habillage d’une chaine TV. En effet, il signa au début des années 2000, celui de de Match TV (canal aujourd’hui disparu). De plus on lui doit aussi des musiques pour des émissions ponctuelles comme « Sport en Fête » en 1973 et « Situation 82 » en … 1982 ce dernier étant une version studio épurée d’ « Arpégiateur » présent sur l’album « Les Concerts en Chine ».

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.