Dans le monde du cinéma, il y a bon nombre de genre de films mais aussi une kyrielle d’œuvres aux budgets très différents. Si évidemment, les films à gros budget et les comédies populaires sont ceux que l’on connait le plus grâce aux pubs nombreuses que l’on peut difficilement rater, on voit plus rarement les films de séries B mais également de séries Z. Pour ce cinéma bis, les italiens étaient les rois dans les années soixante-dix et quatre-vingt. En surfant sur le succès des blockbusters américains, les réalisateurs et producteurs italiens enchaînent des dizaines de films low cost en repompant les concepts de leurs modèles US. Mais parfois certaines de ces réalisations sortent du lot. Plusieurs films fantastiques deviennent culte mais chez les italiens, un genre policier très particulier commence dès la fin des années soixante à se faire une place de choix. Avec le « Giallo », certains réalisateurs vont devenir célèbres de par le monde. Ce genre qui connait son heure de gloire dans les 60’s et jusqu’au milieu des 80’s se voit mené de main de maître par plusieurs cinéastes, Mario Bava et Dario Argento en tête. Avec Argento, le côté macabre de ces films s’en voit accentué grâce à son expérience dans les films d’horreur.

Alors vous me direz « Qu’est-ce que le « Giallo » ? » …

L’origine de ce nom, qui définit alors un genre policier alliant parfois un peu de fantastique et d’horreur, vient de la couleur de la collection de romans policier publiés par les éditions italiennes Mondadori de 1929 jusqu’aux années soixante. La couleur de ces livres à énigmes et à l’atmosphère relativement dérangeante était alors jaune afin de les distinguer des autres œuvres. Les autres éditeurs suivirent alors le pas quand Mondadori arrêtèrent leur collection. La couleur jaune devint donc une sorte de code universel pour les romans policiers. Le succès est tel que des grands auteurs comme Agatha Christie ou Georges Simenon parurent avec cette couleur de couverture. Quand les cinéastes italiens commencèrent à réaliser des films policiers à l’atmosphère pesante et angoissante, le terme de « Giallo » fut alors utilisé pour classer leurs travaux. Vous l’aurez compris … « Giallo » veut dire « Jaune » en italien.

Dario Argento est l’un des maîtres du genre. Avec « L’oiseau au plumage de cristal » ou encore « Le chat à neuf queues », il amorce une carrière qui, encore à ce jour, demeure une véritable référence. Mais non content de réaliser ses films, il fait le choix pour les musiques d’une ambiance très particulière qui va conduire à la création d’un style mais également d’un groupe devenu depuis l’un des plus reconnus dans la bande originale italienne. Avec « Tenebrae », Dario Argento mise sur une ambiance glauque comme lui seul sait le faire et le choix musical, sans surprise à cette époque, contribue sans nul doute à l’atmosphère du film.

Peter Neal est en Europe un célèbre auteur de romans policiers. Pour promouvoir en Italie son nouveau livre « Ténèbres », il entame une tournée avec son agent et son assistante avec qui il entretient une relation. Mais avant même son arrivée, une jeune femme est sauvagement assassinée à coups de rasoir. On retrouve alors dans la bouche de la victime une page du dernier roman de Peter Neal « Ténèbres ». La police émet l’hypothèse que le tueur trouve les méthodes de ses meurtres en puisant dans les divers livres de l’auteur à succès. Le journaliste Christiano Berti semble avoir un intérêt grandissant et malsain pour les romans de Neal. Les soupçons se portent sur lui. Mais sa mort brutale vient tout remettre en question bien que ce dernier ait avoué à son meurtrier qu’il avait tué toutes les autres victimes. Y aurait-il un autre tueur ?

Quand le réalisateur italien s’attaque à « Tenebrae » en 1982, il a déjà derrière lui plusieurs Giallos à son actif, mais également deux films fantastiques et horrifiques avec « Suspiria » et « Inferno ». Avec cette nouvelle expérience, il va insuffler à son nouvel opus une pointe d’horreur dans les meurtres commis dans « Tenebrae ». Pour la partie son, et surtout musicale, Dario Argento fait de nouveau appel à Goblin, le groupe avec qui il travaille maintenant depuis quelques années. L’alchimie entre le réalisateur et les musiciens est telle que le résultat est à chaque fois une réussite. Alliant rock progressif teinté de jazz et surtout magnifiée par l’apport des synthétiseurs, la musique de Goblin, très étrange pour l’époque, se marie à la perfection avec les images des films où elle apparaît. Seulement l’un des membres étant absent lors de la conception de la B.O. de « Tenebrae », les trois musiciens restant décident de ne pas utiliser le nom du groupe. La musique est alors signée Simonetti / Pignatelli / Morante.

C’est en 1972 que le claviériste Claudio Simonetti rejoint le guitariste Massimo Morante, le bassiste Fabio Pignatelli et le batteur Walter Martino pour enregistrer des bandes démos de leur groupe Oliver. C’est Eddie Offord, le producteur de Yes qui les remarque et les fait venir à Londres et leur adjoint le chanteur Clive Haynes, faisant ainsi passer le groupe à 5 membres. Après plusieurs concerts donnés dans la capitale anglaise, le groupe comprend que le producteur étant plus impliqué dans Yes ne va pas les signer pour un album. De retour en Italie, les membres d’Oliver signent chez Cinevox et Tony Tartani se voit alors invité à remplacer le chanteur anglais. Dès lors les choses s’accélèrent. Un premier album sort mais le nom du groupe a été changé à leur insu par le label. Oliver n’existe plus faisant place à Cherry Five. En 1975, Cherry Five est contacté par le compositeur Giorgio Gaslini afin de l’aider pour la B.O. du film de Dario Argento « Profondo Rosso » (Les frissons de l’angoisse). Mais après un conflit assez houleux avec le réalisateur, le collaborateur de longue date quitte le projet laissant Argento seul avec Cherry Five. Après avoir écouté leur album, Dario Argento voit en eux une nouvelle vague musicale pour les productions cinématographique. Cherry Five se retrouve quelque peu secoué par quelques changements internes. Walter Martino, le batteur quitte le groupe pour rejoindre un autre, Libra. C’est alors Agostino Marangolo qui vient à la rescousse compléter les parties déjà enregistrées de son prédécesseur. Ce changement radical va également conduire le groupe à changer de direction musicale. Très influencé par Keith Emerson et Rick Wakeman, Cherry Five devient Goblin sous l’impulsion de Dario Argento. Commence alors une histoire qui deviendra très vite légendaire. Après « Profondo Rosso », Goblin enchaîne les B.O. et surtout pour Argento. Ainsi on découvre leur son avec « Suspiria », « Zombi », « Patrick », « Contamination » « La Chiesa » et bien d’autres. Parallèlement, Claudio Simonetti profite de la première dissolution de Goblin après la B.O. de « Phenomena », pour entamer sa carrière solo. En signant lui aussi des musiques de films. Son approche des synthétiseurs et de la musique de films étant proche de celle de John Carpenter, il est sollicité pour de nombreux travaux tels que « Conquest », « Amazonia », « Atomic Cyborg », « Nightmare Beach », « Versace Murder », « Démons » et tout récemment « Dracula 3D ». Dans les années 90 il fonde Daemonia, groupe de hard rock/heavy métal électro qui reprend essentiellement les soundtracks de Goblin. Mais les problèmes juridiques pour l’utilisation du nom Goblin conduit à un compromis. Après s’être reformé pour la B.O. du film « Le sang des Innocents » de Dario Argento, les membres se séparent définitivement. Le groupe formé maintenant autour Morante, Pignatelli et de deux autres musiciens font leur chemin de leur côté alors que Simonetti continue sous le nom Claudio Simonetti’s Goblin, enchaînant notamment depuis trois ans des concerts à guichets fermés.

Quand Dario Argento demande à Goblin de composer la musique de « Tenebrae », le batteur Agostino Marangolo avait déjà quitté le groupe qui connait alors quelques problèmes internes. C’est alors Claudio Simonetti, Fabio Pignatelli et Massimo Morante qui bouclent le travail avant de partir chacun de leur côté. Mais le résultat est là. La musique sonne Goblin comme tous leurs fans aiment à l’entendre. Les synthétiseurs de Simonetti supplantent les sons de guitares de Morante le tout rythmé par les basses variées de Pignatelli. Ce sont des sons percussifs retravaillés électroniquement qui viennent parfois mettre en avant le côté violent et angoissant des scènes du film. Les ambiances électroniques propres à Claudio Simonetti demeurent l’identité sonore même de Goblin. Le tout est un savant mélange stylique qui a fait la renommée du groupe avec une teinte prog rock un peu jazzy par moment ponctuée par des expérimentations discrètes qui amènent une atmosphère angoissante et parfois malsaine comme le veut le sujet du film. Le thème principal est une sorte d’hymne à la violence meurtrière du tueur. Les voix vocodées qui fredonnent le thème semblent surgir des ténèbres et s’installent avec une reprise aux synthés sur un rythme qui pourrait sonner un peu italo disco. Avec « Téenebrae », Claudio Simonetti, Fabio Pignatelli et Massimo Morante signent une dernière B.O. poignante qui demeure l’une de leurs plus grandes réussites.

Avec la sortie du film en 1982, la B.O. voit le jour aussitôt. La renommée de Goblin est, à cette époque, telle que leur musique se voit constamment éditée à l’exception de « Buio Omega » (« Blue Holocaust » sortie depuis dans les années 90). C’est sur leur label italien habituel Cinevox Records que le vinyle de « Tenebrae » sort. Il faut attendre la fin des années quatre-vingt-dix pour voir édité ce titre avec de nombreux inédits comme les différentes versions des thèmes qui apparaissent à l’écran de manière déclinée. Avec ces versions on découvre les variations d’un même morceau ce qui permet de comprendre l’utilisation de la musique de manière récurrente mais différente dans un film. Cette version « étendue » de la bande originale n’était jamais parue en vinyle. C’est maintenant chose faite grâce au label Waxwork Records que je vous ai déjà évoqué avec la chronique de « L’Âge de Cristal« . Ce label américain est devenu en une douzaine d’années, un des éditeurs les plus consciencieux avec Death Waltz Records. D’autres suivent le pas et je vous en parlerai bientôt avec quelques B.O. improbables que l’on n’aurait jamais cru voir un jour sortir. Le double vinyle de « Tenebrae » pressé en 180 grammes offre un son de très grande qualité grâce aux masters analogiques originaux fournis par Cinevox. La pochette avec une nouvelle imagerie a la particularité d’être découpée laissant apparaître le visage en partie voilé d’une des victimes.

« Tenebrae », le Giallo de Dario Argento fait partie de ses réussites. Certains connaisseurs prétendent même que ce serait le dernier chef d’œuvre du cinéaste. Il faut reconnaître qu’avec les acteurs présents dans ce film, le résultat ne pouvait être que remarquable. En effet, parmi les noms que l’on peut lire dans le générique, on trouve Giuliano Gemma à la carrière très chargée de films variés que ce soit dans le polar, la comédie, les péplums ou encore en campant l’inoubliable Ringo dans les westerns spaghetti. On y trouve Lamberto Bava, fils de Mario Bava qui deviendra comme son père un réalisateur reconnu dans son pays. C’est également l’acteur britannique John Steiner qui apparaît ici suite à sa carrière essentiellement italienne. Mais on a surtout la surprise de constater la présence de l’incontournable John Saxon, grand maître des séries B américaines qui a marqué bon nombre de téléspectateurs en tant que guest star dans de nombreuses séries et téléfilms telles que « Starsky & Hutch » (il joue un vampire), « Les rues de San Francisco », « Agence tous risques », « Magnum » et bien d’autres comme par exemple « Kung Fu » ce qui lui vaudra d’ailleurs d’apparaître aux côtés de Bruce Lee dans l’unique film américain de l’acteur asiatique « Opération Dragon ».

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.