Il y a des compositeurs de musiques de film qui deviennent des légendes. Il y a des musiques qui demeureront inoubliables. Il y a des films qui deviennent cultes. Avec Jerry Goldsmith, le film « L’Âge de Cristal » (Logan’s Run) bénéficie d’une musique entre deux styles illustrant les deux parties bien distinctes de l’histoire. C’est avec ce genre de d’œuvres que l’on comprend alors toute l’importance d’une bonne B.O., une vraie. « L’Âge de Cristal » se passant en deux endroits bien différents, l’ambiance sonore et musicale s’en trouve alors changée lors de la transition entre ces deux lieux. La MGM (Metro Goldwyn Mayer) venait d’acquérir les droits de « Logan’s Run » en laissant l’adaptation de « Doc Savage » à la Warner. George Pal doit alors renoncer à « L’Âge de Cristal » qui est alors confié au producteur Saul David (et non David Soul, le Hutch de « Starsky et Hutch ») qui choisit le réalisateur Michael Anderson qui venait tout juste de terminer la réalisation de ce même « Doc Savage » (comme quoi « tout se recoupe »).

Anderson a un défi de taille à relever. Les films de science-fiction sont dans le milieu des années soixante-dix relativement pessimistes et surtout de moyenne facture. La plupart de ces réalisations ont tendance à mettre l’humanité dans des situations critiques comme en témoigne le très bon « Mystère Andromède » (Andromeda Strain) ou encore « Silent Running ». Les séries télévisées sont encore plus succinctes, et si on trouve des ratages comme « Starlost », on est plus enthousiaste avec « Cosmos 1999 ». Mais avec « L’Âge de Cristal » on a l’ambition d’adapter à l’écran un roman à succès de William F. Nolan, auteur de nombreux livres tels que la série des Kincaid par exemple. Michael Anderson se lance dans une aventure hors norme avec la mise en scène d’une histoire qui semble être un message d’alerte au monde entier. Et s’il fait appel à des acteurs confirmés comme Michael York, Jenny Agutter, Richard Jordan et Peter Ustinov, il confie la musique à quelqu’un qui se distingue aussi depuis près de vingt ans, Jerry Goldsmith.

On ne va pas vous parler du film, car ce n’est pas le sujet, mais on peut toutefois vous révéler le pitch. Dans un futur où le monde semble être ravagé par une guerre thermonucléaire globale (ça ne vous rappelle pas « Wargames » ce terme ?), une poignée de survivants coulent des jours heureux dans la cité des dômes depuis maintenant près de deux siècles. Ayant oublié les sombres jours de ces guerres, l’humanité restante vit au jour le jour dans la quiétude et les plaisirs de la vie dispensés par l’ordinateur central qui gère toute la cité. Seule ombre à ce tableau paradisiaque : la place limitée confinée par les dômes. Afin d’éviter une surpopulation, la vie des habitants est limitée à trente ans. Gérée par une horloge de vie, un cristal incrusté dans la paume de la main droite, la vie est rythmée par une couleur suivant l’âge de la personne. A vingt-cinq ans le cristal de vient rouge et se met à clignoter au jour anniversaire du trentenaire. Alors vient le Carrousel. Tous ceux qui ont le cristal rouge clignotant assistent à ce rituel pour tenter d’être renouvelés. Jusqu’ici, nul ne sait si quelqu’un a pu être élu pour un nouveau cycle de vie, car un à un les prétendants au Carrousel sont tous éliminés par un laser pendant la cérémonie qui se déroule en public comme un spectacle populaire. Devant cette hécatombe légale et acclamée, quelques rebelles pensent que l’on peut vivre plus longtemps et surtout hors des dômes. Lors du dernier jour fatidique, certains tentent de fuir à la recherche d’un mythique et hypothétique sanctuaire où la vie s’écoulerait sans crainte du Carrousel. Devenant des fugitifs (Runners), ils sont poursuivis par les policiers de la Cité des Dômes, les sinistres limiers (Sandmen). Après avoir terminé un fugitif, Logan 5, un des limiers, découvre sur le corps de la victime des indices pour rejoindre ce fameux sanctuaire. L’ordinateur suprême lui ordonne de rejoindre ce lieu et de le détruire après avoir éliminé tous les fugitifs qu’il trouvera. Pour cela, la machine lui retire ces dernières années en faisant clignoter le cristal de son horloge de vie. Logan comprend alors la vérité sur la Cité des Dômes et avec Jessica 6 décide fuir à son tour. Cette trahison va conduire son ami et coéquipier Francis 7 à le traquer. Cette course poursuite va conduire les deux fugitifs à une découverte qui va remettre en question non seulement le mode de vie de la cité, mais également les croyances des fugitifs.

Tiré du roman de William F. Nolan, « L’Âge de Cristal » est un film qui sort en 1976, un an avant « La Guerre des Etoiles ». Les images somptueuses de la Cités des Dômes et les effets spéciaux vont permettre au film de devenir un succès mondial, tant et si bien qu’une série télévisée verra le jour quelques mois plus tard avec des acteurs différents, mais en réutilisant les costumes et les décors du film. Pour cette version sur grand écran, Saul David et Michael Anderson misent non seulement sur des images somptueuses pour l’époque, mais également sur un design sonore futuriste, surtout lors des scènes dans la Cité des Dômes. Ils font appel à un compositeur confirmé en la personne de Jerry Goldsmith, grand nom de la musique de film dont le nom est alors à ce moment rattaché à des chefs d’œuvres comme « Tora, Tora, Tora ! », ou encore « La Planète des Singes ».

Né en 1929 à Los Angeles, Jerald King Goldsmith, commence le piano dès l’âge de six ans et suit les cours du célèbre pianiste Jakob Gimpel, mais également la composition et le contrepoint avec notamment le compositeur contemporain Mario Castelnuovo-Tedesco qui enseigne à de nombreux jeunes musiciens comme Henry Mancini ou John Williams. C’est en ayant vu le film « La Maison du Docteur Edwardes » (Spellbound) que Jerry Goldsmith découvre l’importance de la musique dans les films. La bande-son signée Miklós Rózsa marque à jamais le jeune compositeur qui intègre l’Université de Californie du Sud où il suit les cours de Rózsa en personne. C’est au Los Angeles City College qu’il devient lui-même formateur en coachant des chanteurs et en dirigeant des chorales. En 1950 il est engagé par la chaîne télévisée CBS pour laquelle il compose de nombreuses musiques d’habillages sonores. Il signe des musiques pour de nombreuses séries télévisées ce qui le conduit à être remarqué par les studios hollywoodiens. On lui confie alors la musique de « Seuls sont les indomptés » puis « Freud, passions secrètes » qui lui valent une première nomination aux Oscar. Il enchaîne alors de nombreuses autres compositions, notamment pour la Fox. On lui doit les musiques pour des films comme « L’express du Colonel Ryan », « Le Crépuscule des Aigles », « La Canonnière du Yang Tsé », « Bandolero », « Patton », « Rio Lobo », « Papillon » et « Le Pont de Cassandra » parmi d’autres pépites. Il redéfinit alors le code de la musique de film, qui en était restée à des partitions relativement conventionnelles. Le style de Jerry Goldsmith change complètement le genre et permet à la musique de faire partie intégrante des images des films servant ainsi la narration et l’action plus que l’illustration. Plusieurs musiciens suivront ce chemin que Goldsmith a mis en place par exemple John Williams. Avec « La Planète des Singes » Jerry Goldsmith montre que la musique de film est un art à part entière en y intégrant des instruments tribaux mettant en valeur la civilisation simiesque. Grand amateur de musique contemporaine, il s’intéresse également aux nouveaux instruments que sont les synthétiseurs. Il les utilise de manière ponctuelle avec « L’Âge de Cristal » (Logan’s Run) puis avec « Star Trek, le Film » pour les scènes avec V-Ger. Mais son style orchestral sans pareil est sans nul doute ce qui caractérise l’œuvre de Goldsmith. Parmi ses nombreuses compositions très variées, on note « La Malédiction », « Capricorn One », « Alien », « Outland », « Brisby, le secret de Nihm », « Rambo », « Under Fire », « Legend », « Poltergeist », « Total Recall », « Basic Instinct », « L.A. Confidential », « Mulan », « Hantise » ou encore « Le Masque de l’Araignée ». En 2004, Jerry Goldsmith décède des suites du cancer, laissant derrière lui une œuvre remarquable et qui a fait école avec près de 200 musique de film et séries.

Pour « L’Âge de Cristal », Jerry Goldsmith voit là un défi intéressant à relever. Le film se divise en deux parties distinctes. Si le début se passe dans la Cité des Dômes, la suite se déroule à l’extérieur. Le compositeur va alors diviser ses compositions de la même manière. En optant pour une musique relativement expérimentale, Jerry Goldsmith illustre le futurisme des lieux de vie de l’humanité dans le confort dispensé par un super ordinateur. Ce sont des sons électroniques qui sont utilisés pour les parties du Carrousel ou encore de la chasse au fugitif. Assez brut dans l’ensemble, les sons des synthétiseurs sont l’image même du minimalisme et de la simplicité que l’on peut percevoir en voyant les scènes où ils apparaissent. Des séquences simples et efficaces marquent le côté rythmé d’une course poursuite entre les limiers Logan 5 et Francis 7 traquant un fugitif qui n’a aucune chance. Ce sont également des sons primaires qui s’envolent lors de la cérémonie du carrousel, alors que des sons plus élaborés avec une réverbération étrange qui viennent soutenir la chambres des plaisirs. Mais l’orchestre reprend le dessus dès que l’on sort de la Cité des Dômes. En effet, la découverte du soleil est soutenue par un ensemble à cordes dont les notes étirées intensifient la chaleur de l’astre. Quelques passages de cuivres s’invitent par moments, notamment lors de la découverte de certains monuments emblématiques pour tout américain. Le combat final opposant Logan et Francis est violemment rythmé par de brusques notes et accords de cuivres soutenus par des percussions qui ponctuent chaque coup porté. La cohabitation Orchestre/Synthétiseur est également au rendez-vous. Avec l’ouverture du film, les thèmes orchestraux s’installent doucement grâce aux cordes, mais dès que les images montrent la Cité des Dômes, ce sont les synthétiseurs qui prennent le relais avec des notes cristallines à l’image de l’horloge de vie. La musique de « L’Âge de Cristal » est un véritable équilibre entre deux univers sonores et stylique que beaucoup considèrent comme opposés. Jerry Goldsmith prouve avec cette bande originale que les conventions sont là pour être brisées en créant une musique équilibrée qui fait cohabiter l’orchestre et les synthétiseurs avec harmonie.

Quand le film sort en 1976, la MGM décide d’éditer sur leur label la musique de Jerry Goldsmith. Le vinyle fait partie des meilleures B.O. pour les connaisseurs, et maintenant il devient relativement difficile d’en trouver en bon état. Il faut attendre 1992 pour voir la B.O. sortir en CD. Mais de nombreux passages expérimentaux qui soulignent le côté futuriste de la Cité des Dômes sont cruellement manquants. C’est en 2002 que le label devenu culte Film Score Monthly obtient les droits pour éditer en CD l’intégralité du soundtrack. Le public découvre alors les parties les plus expérimentales de l’œuvre et réalise ainsi que Jerry Goldsmith est un maître du genre en étant à l’aise tant avec des orchestres qu’avec des synthétiseurs. En cette année 2018, la MGM décide de rééditer le vinyle avec les mêmes morceaux que l’album d’origine datant de 1976, donc avec les parties électroniques en moins. C’est quelques mois plus tard que le label Waxwork Records sort une toute nouvelle édition du score complet sur un double vinyle agrémenté d’un nouveau design. Réutilisant le master original analogique que Film Score Monthly avait employé, le son gravé sur des disques 180 grammes bénéficient d’une dynamique qui met en valeur les musiques expérimentales aux synthétiseurs qui génèrent des sons cristallins, mais aussi bruts de décoffrage. Un must pour tout fan de Jerry Goldsmith, pour tout amateur de musique de film et pour tout connaisseur de musique contemporaine électroacoustique.

Jerry Goldsmith est donc l’un des grands noms de la musique de film. Il a initié un style qui a fait école en redéfinissant certains codes pour la composition destinée à soutenir les images, non en les illustrant, mais en servant à la narration et en rythmant les actions. Plusieurs musiciens ont suivi cette voie alors ouverte. Goldsmith a marqué de sa patte nombre de films, mais a commencé à la télévision. S’il a signé plusieurs habillages sonores pour la radio et le petit écran, il a aussi commencé à marquer de son style certaines séries. C’est dès la fin des années cinquante qu’il se distingue avec notamment à son actif plusieurs épisodes mythiques de la légendaire série « Twilight Zone » (La Quatrième Dimension).

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.