Ces derniers mois ont été très marqués par une campagne de rééditions en vinyles d’albums jusque-là disponibles uniquement en CD de l’un des plus grands pionniers de la musique électronique. Au milieu de toutes ces parutions sur ces galettes noires se distingue le dernier opus de ce légendaire musicien. Avec « Silhouettes » Klaus Schulze effectue une introspection musicale, une sorte de regard en arrière en assagissant son style habituel. En parallèle il lance avec quelques labels une campagne de rééditions en vinyle d’albums sortis uniquement en CD. Si avec One Way Static il amorce la réédition des œuvres fleuves « La Vie Electronique », c’est avec MIG et Music on Vinyl qu’il choisit d’éditer dans ce format analogique les « Dark Side of the Moog » qu’il réalisa avec Pete Namlook dans les années quatre-vingt-dix. Quand Klaus Schulze débute sa carrière, la musique électronique en est à un balbutiement restée dans le très fermé cercle de la musique contemporaine et concrète. C’est avec le mouvement du rock progressif que certains sons vont alors émerger. Si Pink Floyd est reconnu comme le groupe précurseur du genre en ayant notamment provoqué quelques vocations, Tangerine Dream est cité par nombre de musiciens comme pionnier d’un genre qui n’aurait peut-être jamais vu le jour. Ayant lui-même fait partie pour un temps de ce groupe Klaus Schulze fait lui aussi figure de pionnier. Il est l’un des rares compositeurs à avoir maîtrisé le Big Moog, énorme synthétiseur modulaire. S’il est surtout connu pour sa remarquable carrière solo, il a pourtant été membre de certains groupes légendaires du rock progressif allemand et a même créé son propre groupe conceptuel où il invite régulièrement des musiciens d’horizons divers. Klaus Schulze continue son chemin, montrant ainsi que la musique électronique n’oublie pas l’un de ses compositeurs pionniers.

Je ne vais pas revenir sur l’histoire de la musique électronique, je l’ai déjà bien développé dans une chronique précédente en parlant de Tangerine Dream et de Richard Wahnfried (pseudonyme de Klaus Schulze). Rappelons seulement que l’on peut néanmoins situer l’origine de ce genre particulier avec la création du Thérémin inventé par le russe Lev Sergueïevitch Termen (connu sous le nom de Léon Theremin) dans les années 1910. Avec l’arrivée du Vocoder dans les années trente certains compositeurs de musiques contemporaines vont se lancer dans une toute nouvelle voie avec Olivier Messiaen et Pierre Schaeffer et surtout Pierre Henry. Mais si la musique concrète demeure très élitiste malgré son incursion dans le cinéma avec « Planète Interdite », l’arrivée des synthétiseurs va changer tout çà. Avec des groupes comme Pink Floyd et Tangerine Dream, la musique électronique se démocratise peu à peu pour atteindre le grand public dans les années soixante-dix avec Jean-Michel Jarre ou encore Vangelis. Quant à Klaus Schulze, sa voie demeure encore à ce jour une véritable référence pour tout un tas de musiciens officiant dans le milieu techno et électronique. Je ne vais pas revenir sur sa biographie, mais on peut tout de même rappeler que si sa carrière solo est exceptionnelle avec de très nombreux albums studio et une incroyable liste de concerts uniques, son travail avec d’autres artistes est lui aussi remarquable. Il participe aux balbutiements de Tangerine Dream, à la création d’Ash Ra Tempel avec Manuel Goettsching ou de Go avec Stomu Yamash’ta, Steve Winwood Al Di Meola ou encore Michael Schrieve pour ne citer que ceux-là. Il est à l’origine de la carrière solo de Kitaro, un autre grand de la musique électronique au Japon. Il produit plusieurs jeunes artistes qui se lancent dans une aventure hors norme. Il crée un concept collaboratif autour de sa musique en invitant d’autres musiciens et parfois des stars internationales. Il remixe plusieurs singles pour des groupes aussi différents les uns que les autres. Et il s’associe à quelques compositeurs sur des projets ponctuels. C’est d’ailleurs avec l’un d’entre eux qu’il signe onze albums sur un concept unique « La Face Cachée du Moog » (The Dark Side of the Moog). Moog est le nom d’un ingénieur en électronique qui créa dès les années soixante une série de synthétiseurs dont le son deviendra très vite légendaire par la suite. C’est avec Pete Namlook, un autre musicien allemand officiant dans la techno et plus spécialement l’ambiant, que Klaus Schulze enregistre ces onze albums.

Né en 1960 à Francfort en Allemagne, Peter Kuhlmann est très tôt influencé par la musique électronique. Les pionniers germaniques qui foisonnent sont la base de ses influences bien qu’il revendique une référence plus musique contemporaine avec Oskar Sala, grand compositeur considéré dans son pays comme l’un des plus innovateurs de son temps avec Karlheinz Stockhausen. Peter Kuhlmann sort de la prestigieuse Université de l’Institut Goethe et commence très vite sa carrière de musicien. Il est très intéressé par le son des synthétiseurs et comprend immédiatement que la nouvelle vague des synthés numériques ne rivalise pas avec le son très particulier de leurs ainés analogiques. Rassemblant une collection d’instruments légendaires, Peter Kuhlmann intègre le groupe de musique électronique jazz rock et new age, Romantic Warrior avec qui il signe trois albums dès 1985. Mais il préfère très vite être maître de ses productions. Il choisit alors le nom, plus anglicisé, de Pete Namlook. Namlook est en fait la phonétique de Kuhlmann à l’envers. Au début des années quatre-vingt-dix, il commence d’abord par être DJ afin de gagner assez d’argent pour pouvoir produire ses albums. Il crée alors le label FAX essentiellement pour sortir ses propres créations. Le concept du label est alors simple. Internet n’existant pas à cette époque, le moyen le plus simple pour commander des disques directement à un label était alors le FAX. En appelant son label FAX +49-69/450464, il donne directement le numéro qui permet de le contacter pour passer commande. Pete Namlook se lance dans une campagne de création et d’édition-fleuve uniques en son genre. C’est près de 135 albums qui sortent avec parfois un rythme d’un disque tous les trois mois. Si beaucoup de ses réalisations sont personnelles, d’autres en revanche mettent en évidence une collaboration avec d’autres artistes. La plupart sont d’ailleurs eux aussi bien ancrés dans la musique électronique, que ce soit la techno ou la new wave sans parler de la pop. Quelques musiciens plus spécialisés dans la musique du monde viennent apporter leur univers sonore qui se marie étonnamment bien avec ses séquences et ambiances synthétiques. Avec ces collaborations, Pete Namlook reprend un peu le concept de Richard Wahnfried initié par Klaus Schulze des années auparavant. C’est sans doute pour çà que Pete Namlook invite Klaus en 1994 pour enregistrer « The Dark Side of the Moog ». L’expérience est telle que les deux hommes collaboreront sur onze albums et deviendront de très bons amis. C’est d’ailleurs au nom de cette amitié que Klaus Schulze va mettre en vente dans les années 2000 son fameux Big Moog afin de sauver financièrement le label Fax de Pete Namlook qui connait alors quelques déboires. En 2012, une attaque cardiaque foudroie Pete Namlook qui laisse derrière lui une discographie qui rivalise avec les plus grands noms de la musique.

Quand Klaus Schulze et Pete Namlook se lancent dans l’enregistrement de « The Dark Side of the Moog », le concept de départ est de montrer l’étendue de la palette sonore de ces synthétiseurs mythiques. Cela ne les empêchera pas d’y rajouter tout un tas d’autres synthés et même quelques samples de temps en temps. Mais l’ambiance globale est analogique comme on peut s’en douter. On y trouve de larges ambiances froides par moment, mais également plus chaleureuses quand il le faut. Certaines séquences s’installent et le style schulzien s’impose alors, mais se laisse parfois rattraper par quelques notes plus actuelles propres aux mouvements technos d’où est issu Namlook. Heureusement le rythme lourd qui caractérise la musique de cette époque est peu présent ce qui réconcilie les amateurs de musiques électroniques de toutes époques. On entend de temps en temps quelques thèmes qui apparaissent donnant une certaine structure à l’ensemble qui semble plus en suspension. Les envolées aériennes des nappes très typées Klaus Schulze raviront les fans du maître. L’ensemble des différents « Dark Side of the Moog » est un équilibre parfait entre les univers sonores des deux musiciens. On comprend alors aisément qu’il y ait eu onze albums.

Sortis en CD sur le label FAX dans les années quatre-vingt-dix, les quatre premiers volumes n’avaient jamais été sortis en vinyle ce qui est aberrant compte tenu du milieu DJ dans lequel évoluait Pete Namlook. Seuls quelques extraits choisis des volumes III et IV avaient vu leur jour en maxi 45 tours. C’est en cette année 2018 que le label MIG, détenteur des droits, s’associe avec Music on Vinyl pour commencer une campagne d’édition dans ce format analogique. C’est en double albums que sortent alors ces quatre premiers opus reprenant le design initié par la réédition en box CD quelque temps plus tôt. Si les ventes sont satisfaisantes, et espérons que ce soit le cas, il est fort à parier que les autres albums verront le jour en vinyle également. Croisons les doigts.

Mais si les albums collaboratifs de Klaus Schulze et Pete Namlook sont réédités en vinyle, ce n’est pas le seul projet que Klaus Schulze met en chantier cette année. Nous avons pu voir en avril dernier, que deux albums de Wahnfried « Trance Appeal » et « Drums ‘n’ Balls » avaient eux aussi été sortis sous ce format chez Universal. Et bien parallèlement, le label One Way Static lance également une campagne de réédition en vinyle. En misant sur « La Vie Electronique » l’éditeur américain tente un véritable coup de poker sur le long terme. « La Vie Electronique » est une réédition des cinquante volumes parus en trois vagues dans les années quatre-vingt-dix « Silver Edition », « Historic Edition » et « Jubilee Edition ». Ces box exhaustifs réédités entre temps, agrémentés de cinq CD supplémentaires regroupent une collection d’albums studio et de concerts entièrement inédits et répartis sur une période allant depuis les débuts en 1967 jusqu’aux années quatre-vingt-dix. Avec la réédition « La vie Electronique » dans les années 2000, on permet au public de retrouver ces box confidentiels de manière plus accessible et surtout dans un ordre chronologique. Avec trois CD par volume, cette réédition s’étale sur seize sets exceptionnels. Mais jusque-là rien n’était édité en Vinyle. Cette année voit l’édition du premier set en trois doubles albums. Regroupant les travaux de Klaus Schulze datant de la fin des années soixante, « La Vie Electronique » 1.0, 1.1 et 1.2 est une collection de morceaux expérimentaux avec des collages de bandes magnétiques et des envolées furieuses avec divers orgues électriques. Plus musique contemporaine expérimentale que musique électronique séquencée, cette période de Klaus Schulze risque d’en surprendre plus d’un. Néanmoins c’est un must have pour les amateurs du genre et les fans de Klaus Schulze.

Parmi toutes ces rééditions, Klaus Schulze nous livre son nouvel album « Silhouettes ». Ces dernières années ayant été assez dures pour le musicien à cause de quelques problèmes de santé, on avait plus eu de véritables nouvelles compositions. A maintenant soixante-dix ans, Klaus Schulze évite de se lancer dans des concerts éprouvants et se livre à une introspection musicale avec « Silhouettes », album aux ambiances calmes, image même d’une veine plus réflexive et contemplative. Klaus Schulze nous emmène dans une aventure musicale plus aérienne avec des ambiances en suspension. De nombreux sons s’ajoutent aux accords étirés et aux nappes synthétiques devenues une véritable marque de fabrique du compositeur. On ne trouvera qu’un seul passage séquencé qui ponctue et relève un peu cette remise en question sonore. Klaus revient avec « Silhouettes » à l’essentiel en misant plus sur l’émotion musicale que sur les séquences kilométriques endiablées. Avec cet album on se sent transporté dans une contrée lointaine encore inexplorée de la musique électronique ambiante. Sorti chez SPV, l’album nous est livré en CD, mais aussi en Vinyle, format qui semble être revenu comme étant un standard incontournable. Mais comme on veut faire les choses en grand pour le nouvel album de l’une des grandes légendes du synthé, c’est un box limité qui regroupe les deux formats avec en prime le portrait dessiné de Klaus Schulze imprimé sur toile. Un bel objet de collection pour tout fan de Klaus Schulze.

Si avec « Silhouettes » Klaus nous livre son nouvel album, il nous offre avec « Dark Side of the Moog » 1 à 4 et « La Vie Electronique » 1.0, 1.1 et 1.2 une série de rééditions vinyle bienvenu. Il faut rajouter à cela les deux Wahnfried « Trance Appeal » et « Drums ‘n’ Balls » qui marquent là aussi une volonté de rééditer les albums collaboratifs de Klaus Schulze. Mais curieusement, c’est le premier album de Richard Wahnfried « Time Actor » qui voit également le jour sur un double vinyle ce qui lui donne une meilleure dynamique du son. Cette réédition passée totalement inaperçue est pourtant l’une des plus importantes dans la carrière de Schulze. Certes, il s’agit du premier album collaboratif dont le concept est d’inviter des artistes d’univers variés qui viennent s’exprimer sur les séquences de Klaus. Mais il est surtout marqué par la présence d’un artiste assez hors-norme en la personne d’Arthur Brown. Il y place ici sa voix reconnaissable. Arthur suivra Klaus Schulze sur la tournée « Dune » en faisant plusieurs prestations live avec lui. Arthur Brown est l’une des figures du rock les plus surprenantes des années soixante et soixante-dix notamment avec « The Crazy World of Arthur Brown » et le grand public se souvient encore du furieux titre « Fire ».

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.