Il existe plusieurs types de films de revenants et « Dellamorte Dellamore » fait partie de ceux qui sortent un peu du lot. Laissant de côté le film de zombie pur qui inonde les écrans dans les années 80, suite au succès du viscéral film de George Romero, le réalisateur italien Michele Sovani adapte le livre éponyme de Tiziano Scalvi, auteur de plusieurs autres romans et scénaristes de nombreuses bandes dessinées comme « Zagor », « Mister No », « Martin Mystère » et surtout « Dylan Dog ». Avec « Dellamorte Dellamore », on plonge dans une histoire plus subtile et plus dramatique tout en conservant certains codes des films de revenants. Réalisé en 1994, ce film se voit alors pister par la musique électronique d’un compositeur qui n’a pourtant pas fait carrière dans le genre, mais qui est pourtant bien installé dans le monde de la bande originale. Manuel De Sica livre pour ce film une musique qui s’éloigne de son style habituel en explorant les possibilités des sons numériques qu’offrent alors les synthétiseurs de l’époque en suivant un cahier des charges précis imposé par Sovani. Pour beaucoup, les films de zombies ont tendance à avoir une B.O. assez typique très souvent calquée sur celle initiée par le groupe italien Goblin. Un mélange électronique et rock progressif avec quelques incursions expérimentales dans certains sons utilisés. « Dellamorte Dellamore » étant quelque peu différent dans le concept, la musique s’en trouve donc logiquement détachée du genre habituel également.

La musique de film obéit à une loi immuable : coller à l’image. Quand il s’agit de films fantastiques et même d’horreur, elle ne doit pas être bâclée. Quelques codes se sont installés tout au long des ans notamment depuis « Psychose » d’Alfred Hitchcock avec ces fameuses notes courtes de violon répétées. Ce même type de thème est présent dans « Amityville », mais également dans « l’Emprise » où une brutale guitare saturée remplace le son plus clair de violon lors de la scène où l’invisible fantôme s’attaque à l’héroïne. Ce sont aussi de longs étirements d’ensemble à corde qui mettent en place les ambiances plus atmosphériques et angoissantes afin de faire monter la tension. Des ondulations stridentes et modulées viennent également étoffer la palette sonore de ce style musical. Ces codes sont la base de toute bonne musique de film d’angoisse et d’horreur. Mais dans les années 70, l’apparition des synthétiseurs va permettre à certains musiciens d’émerger de l’ombre comme John Carpenter avec tout d’abord « Assault on Precinct 13 » (assaut), mais surtout avec « Halloween ». Manuel De Sica va utiliser certaines de ces ambiances glauques tout en suivant une directive particulière du réalisateur afin de créer avec « Dellamorte Dellamore » une musique qui suit les codes du genre tout en lorgnant sur le style musical d’un groupe légendaire comme l’exige Michele Sovani.

Né en février 1949 à Rome Manuel De Sica, fils du réalisateur Vittorio De Sica étudie au conservatoire de Sainte-Cécile en parallèle à ses cours au lycée. Il crée avec des amis le groupe The Ancients qui apparaît dans plusieurs émissions télévisées musicales. Après deux 45 tours, Manuel De Sica se consacre à ses propres travaux et compose des musiques de chambre dont la plupart paraissent sur le label Casa Ricordi. Il est alors repéré par le directeur artistique de l’Orchestre Symphonique de Monte-Carlo, Renzo Rossellini. En 1968 son père l’engage pour signer la B.O. du film « Le temps des amants ». Ce travail va le conduire à composer pour la série TV « FBI – Francesco Bertolazzi investigatore » avec Ugo Tognazzi (inédite en France). Plusieurs bandes originales suivent comme « Gang of War », « Le Voyage » ou encore « Le jardin des Finzi-Contini » pour laquelle il gagne un grammy award. Dans le même temps, il continue de composer des symphonies et des musiques de chambre. S’il se met à la réalisation avec « l’Eroe » (le héros) où il fait jouer son père, il continue sa carrière de compositeur de musique de film notamment pour Dino Risi. En 1989 son travail pour le film « Ladri di saponette » (le voleur de savon) est récompensé au Golden Globe puis il remporte le Ruban d’Argent (récompense décernée chaque année par le Syndicat national des journalistes cinématographiques italiens) pour « Al lupo ! Al lupo ! » (Au loup, au loup) ainsi que le prix David de Donatello (récompenses décernées chaque année par l’Association David di Donatello rattachée à l’Académie du cinéma italien) pour « Remake, Rome ville ouverte ». L’œuvre de Manuel de Sica est reconnue dans toute l’Italie et même dans le monde, et non seulement pour les bandes originales qu’il a composé, mais aussi pour ses travaux dans le domaine de la musique classique. Il est contacté par Michele Sovani en 1994 pour composer la musique de « Dellamorte Dellamore » en utilisant des synthétiseurs, instruments sur lesquels le musicien est très peu familiarisé.

On peut évoquer le film par son histoire assez simple. Francesco Dellamorte, interprété par Rupert Everett, est le gardien du cimetière de Buffalora où il vit dans une maison délabrée. Il se donne pour mission d’éliminer les morts qui ont tendance à revenir sept jours après leur décès. Sa rencontre avec une riche et jeune veuve va changer sa vie. Après la mort de celle-ci, et ses réapparitions post mortem répétées, il finit par basculer petit à petit dans une folie meurtrière, se vengeant notamment des punks qui le persécutent depuis toujours. Pour ce film, Michele Sovani décide d’engager Manuel De Sica. Il lui expose ce qu’il exige, une musique électronique dans le genre que l’on pouvait entendre dans les années quatre-vingt avec des sons électroniques bien précis. Peu rompu dans ce style, De Sica va pourtant plutôt bien s’en tirer. Il signe plusieurs morceaux assez ambiants avec des sonorités numériques glauques utilisant les ensembles à cordes à outrance et quelques basses relativement lourdes. Peu de rythmes ou de séquences apparaissent ce qui accentue le côté assez malsain de l’atmosphère du film. L’ensemble se retrouve assez uni dans le style, mais on ne sent pas de monotonie étant donné les durées courtes de chacun des titres. Avec « Dellamorte Dellamore », Manuel De Sica montre que finalement les synthétiseurs lui sont à sa portée comme le sont les orchestres, son univers musical de prédilection.

Quand le film sort en 1995, le label italien GDM, qui édite de nombreux Ennio Morricone, sort un CD de « Dellamorte Dellamore ». Mais pour le marché mondial, rien n’est fait. Il n’y a qu’en France avec le label Terrifik sous licence WEA/Warner que la B.O. se retrouve également en CD limité. Aujourd’hui, cette édition demeure l’une des plus rares de la musique de film au même titre que le CD promo de « Fright Night » ou encore l’édition originale entre temps détruite de « Arizona Dream » … c’est dire la rareté de ce CD. Il faut attendre 2008 pour qu’un autre label italien Digit Movies se décide à rééditer en 500 exemplaires le score de De Sica. Mais jamais la musique de « Dellamorte Dellamore » n’a été éditée en vinyle. Cette injustice est dorénavant réparée grâce au label américain Lunaris Records basé à Pittsburg en Pennsylvanie. Spécialisé dans l’édition de musique de film d’horreur, Lunaris Records se permet de sortir des titres rares, voire complètement inédits. On y trouve des pépites comme « Nigh of the Demons », « The Barn », « Thug », « Tarantola » ou encore « Troll 2 ». Avec « Dellamorte Dellamore », sorti fin 2017, le label nous offre un double vinyle de qualité. Décliné en trois colories, cet album offre une dynamique sonore étonnante due à un master original confié par les héritiers de Manuel De Sica. Une magnifique illustration peinte emplit toute la surface de la pochette de ce disque nous plongeant alors dans l’ambiance avant même d’avoir placé le disque sur la platine.

Avec le morceau « Will i see her again », seul morceau réellement séquencé on découvre alors que Michele Sovani voulait une musique bien précise. Si le réalisateur a fait appel à Manuel De Sica ce ne fut pas son premier choix. Tout d’abord il cherche à engager Tangerine Dream pour composer la musique de « Dellamorte Dellamore ». Mais en 1994, le groupe allemand se remet encore à peine d’un procès perdu au profit de l’ancien membre Christopher Franke et de son label Sonic Images. De plus les dernières participations de Tangerine Dream pour le cinéma se font plus rares et sont de moins en moins plébiscitées. « L’affaire Wallraff » leur dernière B.O. est loin de faire l’unanimité tant chez les professionnels que chez les fans. Le leader, Edgar Froese décline alors l’offre de Michele Sovani qui donnait des directives trop rigides en demandant une musique que le groupe avait l’habitude de faire une décennie plus tôt, ce qui exaspérait sérieusement le musicien allemand. À la suite de cette mésaventure, Edgar Froese annonce publiquement que Tangerine Dream ne composera plus jamais de musiques de film.

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.