Il y a des dessins animés qui ont marqué l’histoire de bien des manières. Au Japon « Urotsukidôji » a eu l’effet d’une véritable bombe à sa sortie. Résolument violent et gore ponctué de scènes viscéralement pornographiques, cette série d’OAV (Original Animation Vidéo) a pris tout le monde à contre-pied. Là où l’on s’attendait à voir du suggéré, on y voit du véritable rentre-dedans. « Urotsukidôji, La Légende du Démon » a fait couler beaucoup d’encre à une époque où personne ne pensait que l’on pouvait aller si loin. La production de cet animé si controversé a pourtant été très soignée et si l’animation et le graphisme est de très haute qualité, la musique souffre un peu d’un manque de travail sur la recherche de sons. Et pourtant les compositions de Masamichi Amano sont loin d’être bâclée. En effet, ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une production directement prévue pour le marché vidéo que la bande originale doit être faite à la va-vite. On va donc se focaliser sur la musique d’ « Urotsukidôji », série majeure de l’animation japonaise La B.O. aux arrangements convenus des synthétiseurs numériques aux sons d’usine installe une ambiance très singulière et parfois kitsch qui donne à l’OAV une identité à part.

Alors je ne vais pas vous parler de l’animé, car ce n’est pas le sujet, mais on peut évoquer toutefois que c’est l’adaptation du manga créé par Toshio Maeda et qui met en scène Amanojaku, mi-homme mi-démon exilé sur Terre afin de trouver et protéger le Chôjin, un être suprême issu de la dimension des démons devenus la cible d’une reine des enfers qui veut utiliser ses pouvoirs. Amanojaku affronte alors de nombreux démons aussi terrifiants les uns que les autres, mais l’arrivée de son ami lubrique Kuroko et de sa sœur nymphomane Megumi complique singulièrement les choses. Réalisé par Hideki Takayama, l’animé est célèbre pour avoir été le premier à montrer un viol par des monstres avec des tentacules (seul le premier OAV contient qu’une scène de ce genre). Dans une interview dans laquelle Hideki Takayama fût questionné sur la violence et le sadisme de l’histoire, il répondit : « Rien ne provoque une réponse aussi forte chez l’être humain que le sexe ou la violence. La fusion des deux est donc très puissante ». De nos jours « Urotsukidôji », aussi bien que ses suites, est un anime très célèbre, non seulement au Japon, mais aussi dans le reste du monde. Il serait le dessin animé pour adultes le plus reconnu au monde … et pour cause.

Réalisé par Hideki Takayama, « Urotsukidôji » devient culte dans le monde entier non-part par la violence perpétrée par les démons, mais par le côté très sulfureux qui l’entoure, tant et si bien qu’il s’exporte dans une version censurée de toutes les scènes hard. Les copies de la version originale complète circulent alors sous le manteau des otakus en manque de sensations fortes … dans tous les sens. Ce n’est que récemment que cette version non censurée a été proposée dans les dernières éditions DVD. Hideki Takayama prit de grandes libertés avec l’histoire originale d’ « Urotsukidôji » en y mixant des éléments d’horreur, de violence ainsi que des scènes sadiques de viols qui n’étaient pas présentes dans l’œuvre originale. Interviewé par Playboy Japan, Toshio Maeda reconnut lui-même qu’il trouvait que l’anime était répugnant, sadique, cruel et pourtant brillant. Il dit ensuite admirer cette version viscérale de Takayama. « Urotsukidôji » se distingue de la production pornographique animée japonaise classique par le budget alloué et le soin technique apporté à l’œuvre. Les scènes de sexe, bien que violent, y sont beaucoup moins fréquentes que l’on ne le croit (il y en a pas tant que çà) et font partie intégrante du scénario, ce qui en fait un anime difficile à classer.

Pour la partie musicale, on opte alors pour ce qui se fait couramment à l’époque. En 1987, la plupart des animés bénéficient d’une musique électronique réalisée sur les derniers synthétiseurs du moment. La technologie numérique de ces instruments révolutionne le genre avec des sons nouveaux, mélangeant ondes analogiques et samples numériques de sons naturels. Si à l’époque ce son nouveau était très prisé, il devient plutôt vite kitsch et est parfois décrié par les spécialistes de cet instrument. La fin des années 80 souffre en effet du manque d’imagination des musiciens qui n’hésitent pas à utiliser les presets d’usine à outrance dont la plupart sont d’assez basse facture. Mais à ce moment là de la musique électronique, la nouveauté avait simplement permis de surprendre. Pour Urotsukidôji en 1987, c’est le compositeur Masamichi Amano qui s’y colle livrant ainsi une musique convenue aux sons entendus des centaines de fois, et fortement inspirée de certains travaux d’autres musiciens occidentaux comme Claudio Simonetti par exemple.

Né à Akita au Japon (vous vous en serez douté) Masamichi Amano se distingue par une œuvre oscillant dans divers styles, que ce soit le genre classique, avant-garde ou électronique incluant des éléments de sons traditionnels avec parfois quelques incursions dans l’univers de la bande originale. Après le lycée, Il entre dans une école de musique pour y apprendre les fondements de la musique classique comme contemporaine sans oublier les bases du jazz, du rock ou encore de la musique populaire ainsi que traditionnelle ce qui lui confère un large éventail d’activité musicale. En 1980 il en sort est diplômé du département compositeur en recevant en prime le prix Takeoka et deux ans plus tard il est diplômé du département « création » de la « Graduate School of Composition ». Il part alors en Australie afin de découvrir et maîtriser un tout nouvel instrument le Fairlight CMI, l’un des premiers sampleurs assistés par ordinateur et dont les sons deviennent très vite mythiques dans le monde musical. Amano est alors le pionnier de l’informatique musicale au Japon. Il commence à travailler pour divers artistes et compose pour de nombreux spots de pubs et pour la télévision. Dès lors il enchaîne de nombreux travaux commandés, mais aussi plusieurs œuvres personnelles dans la musique symphonique. On lui connaît des concertos, des musiques de chambre, des symphonies et plusieurs pièces orchestrales de tous horizons sans compter quelques compositions contemporaines et expérimentales. Parallèlement il signe plusieurs bandes originales de films, d’animés et même quelques jeux vidéo. On lui doit par exemple « Giant Robo », « Maetel Legend », « Urusei Yatsura, Only You » et des dizaines d’autres. Son œuvre est telle qu’il est reconnu par ses pairs comme l’un des grands compositeurs du siècle. Il est chef d’orchestre au 59ème festival du National Tree et est nommé directeur général de la musique pour le 29ème festival culturel national en 2014. Depuis, en parallèle à de nombreux travaux, Masamichi Amano enchaîne plusieurs concerts à guichet fermé à travers le Japon.

Pour « Urotsukidôji », Masamichi Amano se lâche avec les toutes nouvelles technologies de l’époque. Une utilisation massive des sons d’ensemble à cordes issus des synthétiseurs numériques donne un aspect propre aux années 80. Mais si ces sons étaient à l’époque très plébiscités, ils sont à l’heure actuelle devenus plutôt kitsch. Heureusement l’apport de rythmes et autres séquences relève le tout et confère à la musique l’ambiance qui lui faut pour soutenir les images de l’animé. Les parties illustrant les scènes d’action sont clairement inspirées des B.O. que Claudio Simonetti livre pour les films de séries B à la même époque. Ce sont par contre des ambiances plus glauques et plus angoissantes qui s’insèrent avec l’équilibre des ensembles à cordes, mais aussi de cuivre que seuls les synthés numériques peuvent produire dans le genre. Très inégales cette B.O. est pourtant l’une des plus recherchées par les fans d’animés. Peut-être est-ce surtout dû à l’aura sulfureuse qui entoure « Urotsukidôji » plutôt que la musique en elle-même. En 1987 quand l’animé sort dans les rayons vidéo, sa réputation est telle que la bande originale ne voit pas le jour. Il faut attendre 2005 pour qu’un double CD apparaisse. L’édition même de cet album est sujette à controverse. Aucun label ne veut se risquer à sortir une B.O. aux sons anciens et kitsch d’un animé à la réputation malsaine. Alors apparaît un tout nouveau label « Quatum Leap Music » qui n’éditera d’ailleurs rien d’autre que des disques sur les divers épisodes de l’animé maudit en question. C’est fin 2017 que le label américain Tiger Lab Vinyl se lance dans l’édition de ce titre en double LP. Créé en 2015, Tiger Lab Vinyl voit le jour avec pour vocation l’édition sur galette analogique de scores d’animé relativement peu sorti auparavant. On ne lui doit pour l’instant que quatre titres, mais jugez du peu : « Wicked City » (La cité interdite) de Osamu Shôji, « Devil Man, the Birth » de Kenji Kawai et « Perfect Blue » de Masahiro Ikumi. « Urotsukidôji » vient enrichir le catalogue avec le CD1 du premier album étalé sur deux vinyles. Si les ventes suivent, espérons alors que le label décide de sortir les autres B.O. de cette série dont la musique s’affine au fil des épisodes.

Avec Cette B.O. on voit bien que la musique de Amano est fortement inspirée des B.O. kitsch des séries B et Z italiennes comme Claudio Simonetti pouvait en livrer à cette époque. Mais Amano va plus loin et va même jusqu’à pousser son inspiration au plagiat puisqu’il réutilise l’ouverture de « Nucleogenesis II » issu de « Albedo 0.39 album de Vangelis. Le Plagiat est encore plus flagrant avec le générique de fin du deuxième OAV puisqu’il est calqué sur le générique de fin du « Bounty » de … Vangelis également. Mais, ce n’est pas les seuls exemples. Il y a de nombreux emprunts tout au long de la B.O. d’ « Urotsukidôji » ce qui fait d’elle quelque chose à part, et peut être de tout aussi controversé que l’animé lui-même.

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.