On va aborder cette fois-ci la bande originale d’un film d’animation particulier datant de 1969 « Senya Ichiya monogatari » (Les Contes des 1001 nuits) conçut et écrit par Osamu Tezuka, grand mangaka qui était à l’honneur lors du dernier salon de la BD d’Angoulême où avait lieu d’une magnifique exposition de planches originales, chose rarissime, car les dessins du maître ne sortent quasiment jamais du musée qui lui est consacré à Takarazuka au Japon. À cette occasion, un livre exhaustif rappelant les « Artist Edition » ou plutôt les « Artifact Edition » aux USA avait été réédité avec de très nombreuses nouvelles illustrations … « Osamu Tezuka, Manga No Kamisama » (Le divin seigneur du manga). On y découvre de nombreux travaux dont certains demeurent totalement inconnus en France. C’est le cas du film « Senya Ichiya monogatari » (Les Contes des 1001 nuits), premier film d’animation à caractère érotique au Japon et faisant partie de la trilogie « Animerama ». Car il y a des films d’animation qui surprennent. Il y a des bandes originales qui étonnent. Et s’il y en a une qui peut déstabiliser, c’est bien celle de « 1001 Nights » tant elle est unique de par la cohabitation de deux styles radicalement différents, la musique orchestrale d’un côté et le rock psychédélique de l’autre. Cette semaine on va donc se focaliser sur la musique de ce film, risqué pour l’époque, de l’animation japonaise réalisée par Eiichi Yamamoto sous la houlette de Osamu Tezuka. La B.O. orchestrale signée Isao Tomita s’inspire très largement du travail de Maurice Jarre pour « Lawrence d’Arabie. À l’opposé, ce sont des morceaux très rock psychédélique du groupe éphémère The Helpful Soul qui viennent s’insérer accentuant ainsi les scènes très colorées qui s’enchaînent.

Avec ces musiques, on se rend compte que l’utilisation de deux genres différents que parfois tout oppose peut de temps en temps être appropriée pour insuffler une ambiance particulière. Car la B.O. est une suite de morceaux instrumentaux spécialement composée pour coller à l’image. Toute production cinématographique et télévisuelle demande une ambiance sonore et la musique a une importance capitale. C’est tout aussi valable pour les films d’animation qui demandent une ambiance tout aussi somptueuse que les films live. En effet, un film de ce genre ne peut pas se retrouver avec une musique bâclée sous prétexte qu’il s’agit d’un dessin animé. Quand Walt Disney met en chantier le premier long métrage de son studio à savoir « Blanche Neige », Il met la barre haute au niveau de l’animation, mais également côté son notamment avec la musique qu’il confie à Leigh Harline qui signa une centaine de B.O. dont « Torpille sous les tropiques » et Paul J. Smith que l’on retrouve dans de nombreux autres soundtracks comme « Vingt mille Lieues sous les mers » par exemple. Avec ce choix, Walt Disney montre alors à la profession que le dessin animé de long métrage est un film à part entière qui demande autant de travail pour la musique qu’un film traditionnel. Au Japon cette méthode est appliquée dès les débuts, et l’on trouve des compositeurs chevronnés dont certains en font même une carrière. On note alors des noms comme Shunsuke Kikuchi (Goldorak, Dragon Ball), Seiji Yokoyama (Albator, Saint Seiya), Yûji Ohno (Capitaine Flam, Lupin III) ou encore Kentaro Harada (Cobra).

Pour certains longs métrages, les producteurs font parfois appel à des compositeurs qui ne se sont jamais essayés à cet exercice. Ainsi on fait appel au célèbre Ryuichi Sakamoto (Furyo, Le dernier Emprereur, The Revenant) pour faire la musique des « Ailes de Honneamise », Leiji Matsumoto (le papa d’Albator) demande Kitaro (Silk Road, Entre Ciel et Terre Golden Globe pour celui-ci) de composer la musique du film « Queen Millenia » (Princesse Millenium) et c’est la star internationale Keith Emerson (the Nice, Emerson Lake & Palmer) qui livre une B.O. pour « Harmageddon » de Rin Tarô (écrit par Otomo). Ces exemples montrent qu’au Japon on prend très au sérieux les productions de dessins animés et pas seulement avec l’animation en elle-même, mais également avec le son et de ce fait avec la musique. Pour « 1001 nights », Eiichi Yamamoto et Osamu Tezuka vont faire faire le choix d’une musique assez risquée de par le mélange de styles.

Alors je ne vais pas vous parler du film, mais on peut évoquer toutefois qu’il s’agit d’une vision plus adulte des contes des mille et une nuits, avec des scènes érotiques assez soft, mais avec une ambiance très psychédélique, surfant ainsi sur le mouvement hippie de l’époque de la fin des 60’s. Quand Tezuka décide de produire ce film, il réalise que c’est un pari risqué dans son pays, mais néanmoins réussi avec un œuvre qui va devenir référence, car étant le tout premier du genre au Japon. Il ouvre ainsi une voie que bien d’autres vont suivre. Conscients que le son a une importance capitale, Yamamoto et Tezuka vont faire un choix là aussi risqué en faisant appel à un jeune compositeur œuvrant dans l’habillage TV nippone, Isao Tomita, mais aussi à un tout nouveau groupe de rock psychédélique japonais The Helpful Soul … choix qui s’avèrera judicieux par la suite.

Né à Tokyo en 1932, Isao Tomita passe la majeure partie de son enfance en Chine, alors occupée par les Japonais. Revenu au pays du soleil levant il prend des cours particuliers d’orchestration et de composition, alors qu’il est d’abord inscrit en histoire de l’art à l’Université Keiô de Tokyo. C’est en 1955 que ce jeune diplômé va devenir compositeur à temps complet pour la télévision, le théâtre et également le cinéma. Mais après avoir signé de nombreux jingles pour la télévision nippone, quelques musiques à caractère traditionnel pour des spectacles Nô et surtout le thème des Jeux olympiques de Sydney en 1956, Isao Tomita va livrer sa première bande originale en 1966 pour le film d’animation « Jungle Emperor Symphonic Poem » de Mushi productions sous la direction de Osamu Tezuka et narrant les aventures de Léo, le lion blanc. Cette première collaboration étant fructueuse, Tomita sera alors sollicité de nombreuses fois par les mêmes studios par la suite. Mais il va changer radicalement de direction musicale après avoir écouté les albums de Walter Carlos « Switch on Bach » 1 et 2. L’approche de Walter Carlos (devenu entre-temps Wendy Carlos) pour la musique classique interprétée aux synthétiseurs va ouvrir les yeux de Tomita qui s’empresse d’acheter le même équipement électronique que son collègue américain. Armé notamment du célèbre Big Moog, Isao Tomita se lance dans une carrière d’interprète de classique aux synthétiseurs. C’est avec des albums comme « Snowflakes are Dancing », « Pictures at an Exhibition », « Holtz, The Planets » ou encore « The Ravel Album » parmi tant d’autres que le musicien se fait connaître de par le monde à l’instar de son modèle Wendy Carlos. Mais sa carrière ne se limite pas à ces reprises de musique classique. Il compose pour le cinéma avec par exemple « Prophecies of Nostradamus » (La fin du monde d’après Nostradamus). Il est rappelé par les studios Tezuka pour la bande-son d’un des films « Hino Tori » (l’Oiseau de feu). Pour cette B.O., Isao Tomita va proposer sa version de l’œuvre d’Igor Stravinsky. Plus tard il continue dans les B.O. de dessins animés avec « Jungle Emperor Leo » ou encore « Black Jack ».

The Helpful Soul fut un groupe de rock psychédélique japonais formé à Kyoto par des étudiants venus de Kobe en 1965. Tout d’abord connu sous le nom de Young Beats, il change le nom pour sortir leur premier album début 1969. Autour du chanteur et guitariste Junio Nakahara, ce groupe ne va pas perdurer. Il est néanmoins repéré dès leurs premiers concerts par les studios Tezuka et sont alors sollicités pour signer les morceaux rock Psyché pour leur film d’animation « 1001 nights ». En 1971 le groupe se sépare notamment à cause des excès de consommation d’acides variés par le leader. The Helpful Soul laisse derrière eux quelques morceaux qui vont marquer la génération japonaise avec cette nouvelle approche du rock très inspirée des premiers Pink Floyd ou de Jimi Hendrix.

C’est donc avec deux genres très différents … voire même opposés par certains côtés que la B.O. de « 1001 Nights » se distingue. D’un côté la musique orchestrale d’Isao Tomita s’installe de manière assez étirée qui n’est pas sans rappeler la musique de « Lawrence d’Arabie », chef d’œuvre de Maurice Jarre. De l’autre, le rock psychédélique de Helpful Soul ponctue des images très colorées et rythmées dans le ton du style hippies de l’époque. Une véritable révolution dans le pays à ce moment. Alors vous me direz « pourquoi parle-t-il d’une B.O. d’un film de 1969 ? ». Et bien tout simplement parce que « 1001 Nights » vient d’être réédité il y a quelques mois à peine en CD, mais surtout en vinyle pour la toute première fois depuis l’époque. Le vinyle qui vient de sortir a été fait dans les meilleures conditions reprenant les bandes masters remarquablement conservés par le label Mushi Productions qui nous livre un disque vinyle de couleur rose, adéquat pour le caractère érotique du film.

Avec cette musique de film, Isao Tomita commence une carrière qui va devenir très vite internationale, surtout quand il se met à explorer la musique classique avec ses synthétiseurs et notamment avec son Big Moog. Il fait des tournées triomphales autour du monde et recevra plusieurs récompenses. Ses albums deviennent vite dans les années soixante-dix des best-sellers et surtout l’un de ses premiers « Snowflakes are Dancing ». Si ce disque est sorti en 1974, c’est surtout en 1984 … et en France qu’il va devenir l’un des albums les plus vendus de l’année et surtout le 45 tours qui en est extrait « Arabesque ». Centrée sur l’œuvre de Debussy, la musique de « Snowflakes are Dancing » y est sublimée par une utilisation originale des sons. Mais les ventes du disque viennent surtout du fait que les Français ont entendu cette musique « Arabesque » tous les jours sur la chaîne TV FR3, car elle servait en 1983 et 84 de fond sonore lors de la présentation en voix off des programmes.

Comme quoi, le monde a beau être vaste, l’univers a beau être immense, tout se recoupe.