a_l_aube_de_la_nuit
Par une froide soirée de novembre, alors que la nuit était déjà tombée depuis plusieurs heures, une silhouette se hâtait dans les rues de la grande ville de M. Il s’agissait d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, aux cheveux bruns coupés très courts et aux beaux yeux verts. Ce secrétaire d’une grande maison d’édition avait dû travailler plus tard ce soir-là à cause du nouveau stagiaire dont il avait la charge et qui cumulait les gaffes. Il arriva au milieu d’une grande avenue qu’il traversa avec peine car elle était encore très fréquentée malgré l’heure tardive. Il se dirigea ensuite vers une petite rue parallèle sombre et déserte. Il s’y engouffra et la descendit à pas rapides. Le jeune homme se hâtait car il commençait à faire froid et il n’était vêtu que d’un pantalon marron assorti d’un seyant pull bleu très léger. En retard le matin même, il avait oublié, dans la précipitation, son long pardessus noir. Comme il commençait à frissonner, il décida de couper par le petit parc situé au milieu de cette rue pour arriver plus rapidement chez lui. Il hésita quelques minutes avant d’y pénétrer… il avait l’air lugubre ! Il était seulement éclairé par de vieux réverbères en fer forgé et la poussière qui s’était accumulée sur le verre rendait la lumière blafarde et opaque. Les bancs en bois vert étaient défraîchis et affaissés. L’herbe folle commençait à envahir les allées et les rares fleurs qui avaient été plantées le long des pelouses étaient entièrement fanées. Le jeune homme n’était pas très rassuré de passer par cet endroit, mais il gagnait facilement dix minutes. L’épais brouillard qui commençait à se former le décida complètement. Il s’enfonça alors d’un pas mal assuré dans les profondeurs du parc. La lumière pâlotte des réverbères et les silhouettes sombres des arbres disparaissaient au fur et à mesure de sa progression, happés par cet épais brouillard. Il écoutait avec angoisse le craquement des branches nues des arbres, ballottées par la légère brise glaciale qui venait de se lever. Il se mit à trembler de peur et de froid. Il tenta néanmoins de se calmer en pensant au délicieux chocolat chaud qu’il se ferait en arrivant chez lui. Mais, tout à coup, un réverbère s’éteignit derrière lui avec un claquement sec. Il sursauta et accéléra le pas pour atteindre la sortie du parc située à quelques mètres de là. La lumière des réverbères se mit soudain à vaciller. Puis, d’un seul coup, ils s’éteignirent avec le même claquement sec. Le jeune homme s’arrêta, paralysé par la peur. Immobile, dans le noir complet, les yeux grands ouverts. Il essaya de scruter autour de lui pour trouver la sortie du parc. Un silence de mort régnait à présent. Le souffle court, il s’aperçut qu’il n’entendait même plus le bruit des voitures qui passaient non loin de là sur la grande avenue. Le sang se glaça alors dans ses veines et une sueur froide glissa le long de son dos. Autour de lui, le brouillard s’épaississait de plus en plus et le froid était devenu mordant. Il prit son courage à deux mains : il respira profondément un bon coup et se remit en route. Mais il lui était difficile de repérer le chemin qui menait à la sortie tant le brouillard était devenu épais. Il peinait même à voir ses propres mains ! Comme il lui semblait que la sortie se trouvait en face de lui, il décida d’aller tout droit. Tel un aveugle, il poursuivit lentement sa route, en tendant ses mains devant lui. Ses pas résonnaient comme s’ils étaient amplifiés par l’étrange silence qui s’était installé. Tout à coup, des grognements déchirèrent ce silence. Le jeune homme sursauta. Il s’arrêta. Ses mains se mirent à trembler. Des bruissements dans les buissons se firent entendre. Soudain, de gros yeux rouges apparurent devant lui. Paniqué, il fit alors demi-tour et prit ses jambes à son cou. Il se mit à courir en zigzagant au hasard entre les arbres. Les branches et les buissons lui griffaient le visage et les mains. Il trébucha contre une racine qui dépassait du sol et tomba lourdement à terre. Immédiatement, des yeux rouges apparurent tout autour de lui et les grognements s’intensifièrent. Horrifié, il se releva d’un bond et dans un dernier sursaut de désespoir, il traversa le cercle formé par ces yeux flamboyants et se remit à courir. Mais il buta presque aussitôt contre un banc et tomba lourdement à la renverse. Les yeux rouges se rapprochèrent tout autour de lui. Il vit de de grands crocs blancs luirent dans la nuit et se précipiter sur lui. Il ferma les yeux et essaya de se protéger avec ses mains. Il sentit les crocs se planter dans son bras, sa gorge et ses jambes. Il hurla lorsque les chairs furent arrachées. Un flot de sang gicla et dégoulina le long de son corps, inondant le sol poussiéreux du parc. Le jeune homme eut alors un dernier soubresaut. Il se réveilla brusquement dans son lit, en sueur, enroulé dans ses draps.