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Roman : Black*Out
Auteur : Andreas Eschbach
année : 2010
Editions : l’Atalante

Je reprends ma plume enthousiaste pour vous convaincre de rejoindre un nouvel univers imaginé par un auteur allemand de science-fiction, Andreas Eschbach, publié en France par L’atalante. Je sais, ça peut paraître déjà surprenant pour qui, comme moi, l’Allemagne se résume à un pays qui nous a fait des misères lors des deux dernières guerres mondiales, mais aussi lors des phases finales de coupe du monde de football, même si sur ce point la génération Zidane a su remettre quelques compteurs à zéro. Côté auteurs, bien-sûr, il me reste quelques notions du lycée avec les grands noms de la philosophie comme Hegel, Nietzsche et j’en passe, ou encore pour la littérature l’immense Goethe chez les classiques et plus récemment Gunther Grass. J’avoue néanmoins que je ne m’attendais pas à découvrir chez nos cousins germains un écrivain excellant dans le domaine de l’imaginaire, et en l’espèce plus précisément de l’anticipation voire de la science-fiction. Mais bon, en arrivant à mettre de côté ma beaufitude, j’ai réussi quand même à me rappeler que les frères Grimm avaient arpenté, depuis déjà bien longtemps, les chemins de l’étrange…

Et de ce côté là, j’affirme sans détour qu’Andréas Eschbach a su reprendre brillamment le flambeau pour mettre un coup de pied violent dans ma représentation stéréotypée de la géographie de ce genre ! Pourquoi ? me direz-vous, l’eau déjà à la bouche à l’idée de découvrir de nouveaux horizons. Eh bien simplement parce qu’il a su s’approprier de manière magistrale un vieux thème de la science-fiction, dont la version certainement fondatrice est « Frankenstein », mais qui depuis a su resurgir dans des œuvres comme « 2001 Odyssée de l’espace » ou encore « Matrix », à savoir une réflexion sur la capacité inventive de l’homme et ses dérives, voire ses dangers, quand sa créature lui échappe et se retourne contre lui. Je sais, je sais… Rien de nouveau sous le soleil… Sans doute et c’est bien pour ça que j’ai pris soin d’évoquer cet aspect d’emblée, juste pour pouvoir vous répondre que le classicisme du thème n’oblitère en rien l’originalité et l’intérêt de cette œuvre. Alors développons, vous permettez ?

Oui ? Alors je me lance, même s’il n’est pas très aisé d’être assez convaincant tout en ne vous déflorant pas les surprises du roman. Bon. Parlons donc d’abord du monde développé. L’auteur part du notre en l’enrichissant d’un point primordial, une capacité nouvelle à créer des prothèses d’un nouveau genre, à savoir des puces informatiques minuscules qu’il suffit de placer dans notre cerveau, à la base du nerf olfactif, pour nous permettre de nous brancher à internet. Quelle nouveauté ! vous entends-je déjà railler en cœur, vous dépêchant de me rappeler que Gibson a déjà inventé les cyberpunks depuis au moins deux décennies.

Là encore c’est vrai. Sauf que l’originalité chez Eschbach ne réside pas en la capacité pour un cerveau de se connecter directement sur le réseau informatique, mais plutôt dans l’idée poussée jusqu’au bout des conséquences que pourraient entraîner l’utilisation de cette technique pour permettre à différents cerveaux de communiquer sans entrave. Autrement dit, nous voilà en présence de plusieurs individus qui peuvent instantanément connaître leurs pensées les plus intimes. Je vous laisse imaginer ce que cette capacité peut donner dans l’intimité de deux personnes, mais là n’est pas l’essentiel. Non, l’essentiel réside dans une interrogation simple. Que vais-je devenir si j’ai accès instantanément aux pensées des autres ? Arriverai-je à préserver mon individualité, mon caractère, ce qui constitue l’essence de ma personnalité ? Ou vais-je me fondre irrémédiablement dans une entité supérieure, bien sûr fondamentalement différente de moi, et ceci même si ce que je suis la définit en partie ? Je vous laisse le soin de découvrir la réponse de l’auteur…

Je sais, parfois j’aime bien torturer mes lecteurs. Cela m’arrive quand je reste trop longtemps loin du clavier pour tourmenter mes personnages. Mais n’est-ce pas là le terreau essentiel de tout nœud dramatique bien mené ? Bien-sûr que si… Et d’ailleurs parlons-en, du nœud dramatique et de cette capacité dont l’auteur fait preuve en construisant son œuvre pour tenir en haleine ses lecteurs jusqu’au bout, ciselant son scénario comme un orfèvre, ménageant des rebondissements toujours à propos, nous entraînant donc jusqu’à la dernière page en une traînée de poudre avec une seule idée en tête, courir à Ombres Blanches pour acheter le deuxième tome. Ce que j’ai fait, bien sûr, et promis, je vous en parlerai dès que je l’aurais avalé.

Bon, vous êtes certainement en train de vous dire que j’en fais un peu trop côté passage de pommade, sauf que je m’inscris tout de suite en faux ! Je suis tout à fait sincère. Alors arrêtez ces médisances, je vous prie, et écoutez plutôt ce que j’ai à vous dire. Je voulais vous parler du dernier ingrédient indispensable pour camper un bon roman à mon sens, à savoir le développement nécessaire de personnages assez caractérisés pour prendre vie devant nos yeux. Là encore, Eschbach ne se plante pas, et il utilise même pour cela une technique qui a déjà fait ses preuves dans les œuvres que nous chérissons le plus. Il crée un groupe engagé dans un combat désespéré contre un ennemi d’une puissance quasi-divine. Bon là j’en dis peut-être un peu trop, mais tant pis pour vous, vous n’aviez qu’à déjà arrêter de lire pour aller acheter ce roman…

Vous êtes encore là ? Alors je me permets d’enfoncer le clou. Si l’utilisation d’un groupe permet à cette histoire de rejoindre ces épopées déjà cultes qui fondent notre culture fantastique (pas besoin de vous faire un dessin, si?), il offre surtout un terrain idéal pour faire vivre les protagonistes et multiplier des interactions enrichissantes. Nous assistons donc d’abord à l’émergence d’un héros, adolescent tout à la fois hacker surdoué et autiste relationnel, doté contre son gré de compétences fantastiques tirées de sa capacité à utiliser sa prothèse cérébrale tout en parvenant à protéger son individualité. Puis bientôt voilà notre Christopher entouré d’un mentor charismatique militant contre les effets pervers du progrès technique, de son ex femme qui n’aspire plus qu’à mener une existence paisible, de leur fille adolescente qui joue le rôle du regard innocent et critique dans cette histoire, de leur fils aîné fasciné par l’aura du père et qui n’a de cesse de mettre ses pas dans les siens, d’un neurochirurgien dont les travaux ont rendu possibles la création de prothèses cérébrales et qui ne cesse de se le reprocher, d’un indien en quête de la culture et de la sagesse de ses ancêtres, de sa jeune sœur, adolescente magnifique qui ne rêve au contraire que de célébrité, du père informaticien de notre héros qui a payé très cher sa participation aux travaux développant la nouvelle technologie… Là j’abuse, je sais… Je vais donc arrêter mon énumération de cette galerie de personnages attachant et je vais vous laisser le soin de la compléter. Car j’en suis maintenant certain, vous n’allez pas pouvoir résister à la tentation de nous rejoindre. De rejoindre la Cohérence. Alors écoutez donc votre envie ! De toute façon, rappelez-vous, toute résistance est futile. Et plus jamais vous ne serez seul.

Servi par Salvatore.
Ou ce qu’il en reste…